Défense : le second porte-avions touché, coulé par la crise

Par Michel Cabirol  |   |  823  mots
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La marine fait une croix sur le second porte-avions, qui aurait permis à la France d'avoir une présence permanente d'un groupe aéronaval à la mer. "Une décision devait être prise en 2012 sur le deuxième porte-avions mais je me vois mal aujourd'hui réclamer entre 3 et 5 milliards d'euros", a explique le chef d'état-major de la marine, l'amiral Bernard Rogel.

Tout le monde s'en doutait. Aujourd'hui tout le monde en est sûr. Et en premier lieu les marins. Le second porte-avions, nécessaire pour avoir une présence à la mer en permanence, est semble-t-il rangé pour longtemps dans les cartons de la marine nationale. C'est ce que vient d'avouer devant les députés de la commission de la défense de l'assemblée nationale, le chef d'état-major de la marine, l'amiral Bernard Rogel. "Une décision devait être prise en 2012 sur le deuxième porte-avions mais je me vois mal aujourd'hui réclamer entre 3 et 5 milliards d'euros à cet effet, ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas indispensable ! Quand on n'en a qu'un, on prend nécessairement le risque de n'en avoir aucun disponible à certaines périodes ! Pour autant, il serait inopportun de déséquilibrer la cohérence de nos armées afin d'acquérir cet équipement".

L'Europe n'a plus qu'un porte-avions

Une situation qui contraint l'amiral Rogel à miser sur son partenaire britannique. Un véritable révolution vu l'histoire des deux marines. "Il faut aider nos amis britanniques, qui sont aussi confrontés à des réductions temporaire de capacité (RTC) à s'en doter d'un à l'horizon 2020, dans le cadre de la coopération que nous avons lancée avec eux, a-t-il expliqué aux députés. Il convient que l'Europe dispose d'une capacité de porte-avions permanente". Le 25 juillet 2007, le Premier ministre britannique, Gordon Brown, avait annoncé sa décision de faire construire deux porte-avions, en remplacement des trois porte-aéronefs en activité jusqu'en 2011 au sein de la Royal Navy. Ces bâtiments de la Classe Queen Elisabeth devaient être achevés entre 2018 et 2020 au plus tôt et porteront les noms de HMS Queen Elisabeth et HMS Prince of Wales. Ils seront finalement terminés après 2020.

Et le chef d'état-major de la Marine de rappeler que "l'opération Harmattan en Libye a montré la confiance opérationnelle que nous partagions avec eux, ce à quoi les accords de Lancaster House et les initiatives lancées dans le cadre du partenariat franco-britannique ont largement contribué". Même si les Britanniques n'ont pas les mêmes avions que la France. "Cela aurait été un rêve que nous ayons les mêmes avions mais le Royaume-Uni n'a pas fait ce choix. Ayons donc au moins un groupe aéronaval européen en permanence à la mer ! Si les Britanniques renonçaient à leur porte-avions, nous nous retrouverions seuls à disposer de cette capacité en Europe, avec une réduction temporaire de capacité, qui ne sera plus temporaire !"

Une marine crédible jusqu'à quand ?

Les deux marines britannique et française souffrent actuellement des choix budgétaires, qui pèsent sur leur capacité opérationnelle. " Notre marine est crédible sur le plan international : elle est, comme la Royal Navy, l'une des rares marines de premier rang en Europe", a fait valoir l'amiral Rogel. Et de souligner que la Royal Navy "n'a plus l'ensemble des capacités que nous avons, la Grande Bretagne ayant repoussé la construction de son porte-avions à 2020, n'ayant pas des BPC comme les nôtres et plus d'aviation de patrouille maritime". A l'heure actuelle, les Britanniques n'ont plus à leur disposition ni BPC, ni porte-avions, ni patrouille maritime.

Du coup, la France est "la dernière marine possédant l'ensemble des capacités et donc, en quelque sorte, capable de représenter la puissance navale de l'Europe. Il faut en avoir conscience", a affirmé l'amiral Rogel. Pour autant, la marine nationale souffre d'une "juste suffisance". Ce qui veut dire qu'elle ne peut "pas réaliser toutes les missions du contrat opérationnel (fixées par le Livre blanc de 2008, ndlr) en même temps". Lors de l'opération Harmattan, qui a mobilisé toutes les composantes de la marine, soit 27 bâtiments de combat déployés pendant six mois, le chef d'état-major a "dû faire des arbitrages et abandonner provisoirement certaines missions, notamment contre le narcotrafic ou l'immigration illégale - dans le cadre de l'opération européenne Frontex -, ou des missions de sûreté au profit de la FOST (Force océanique stratégique)", qui constitue la principale composante des forces nucléaires françaises (FNS).

Quelles solutions ?

La mutualisation ? Elle semble avoir des limites selon le chef d'état-major de la marine. « Je rappelle à cet égard que pour mutualiser, il faut avoir une valeur d'échange. Or nous avons des capacités navales que nous sommes seuls à maintenir en Europe, ce qui limite les possibilités en la matière. Par ailleurs, les enjeux maritimes recouvrent souvent des enjeux de souveraineté. Le jour où l'on abandonne certaines capacités, il faut être sûr qu'elles ne sont pas nécessaires pour ces missions souveraines". Ce que devra décider le livre blanc, qui doit déterminer la stratégie de la France en matière de défense... qui se fera essentiellement sous la contrainte budgétaire.