Un seul pilote dans le cockpit des Airbus et des Boeing, est-ce inéluctable ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1109  mots
Un équipage d'Air France, commandant de bord à gauche, copilote à droite (Crédits : Reuters)
Airbus planche sur le passage à un pilote dans le cockpit (en phase de croisière) des avions commerciaux vers 2023. Si la technologie a permis à la sécurité du transport aérien d'atteindre un niveau de sécurité très élevé, cette étape de l'automatisation n'est pas sans poser question. Il sera l'un des sujets abordés lors du prochain Paris Air Forum, organisé par La Tribune, qui se déroulera le 14 juin. Interviendront notamment Patrick Cipriani directeur de la sécurité à la DGAC, Vincent Gilles, commandant de bord, et Pierre Vellay, PDG de New and Next Consulting.

Alors que des projets de taxis volants autonomes commencent à voir le jour, la question du passage à un seul pilote dans le cockpit des avions commerciaux en phase de croisière sera la prochaine grande avancée de l'aviation commerciale. Même si les déboires du Boeing 737 MAX avec la défaillance de son système anti-décrochage relancent le débat sur les dangers d'une automatisation mal maîtrisée, cette révolution est peut-être à portée de mains. Notamment chez Airbus qui espère proposer cette possibilité en 2023 sur les A350, comme l'avionneur l'avait indiqué l'an dernier à La Tribune.

«Airbus travaille sur un projet visant à réduire le nombre de pilotes sur les vols long-courriers A350 avec une éventuelle mise en service en 2023 », expliquait-on au sein de l'avionneur.

Le calendrier n'a pas changé. Son directeur de l'ingénierie, Jean-Brice Dumont l'a confirmé à nos confrères de l'Usine Nouvelle :

«Nous sommes en train de tester toutes les briques technologiques nécessaires et nous serons en mesure de communiquer à ce sujet auprès des compagnies aériennes en 2023 », a-t-il dit.

Or, une éventuelle mise en service en 2023 signifie au regard des délais nécessaires pour la certification d'un tel projet que celui-ci est à un stade avancé et qu'à partir du moment où les autorités de certification auront mis le dossier du B737 MAX derrière eux, il ne tardera à être soumis à la certification. Reste à savoir combien de temps cela prendra. Avec les deux accidents mortels du B737 MAX, celui de Lion en octobre 2018 et celui d'Ethiopian Airlines en mars 2019, les règles de certification vont être renforcées. Et la formation des pilotes également pour franchir cette nouvelle marche de l'aviation.

Automatisation renforcée

Comme l'a précisé Grazia Vittadini, Chief Technology Officer (CTO) d'Airbus, lors des journées de l'innovation de l'avionneur qui se sont déroulées les 21 et 22 mai, Airbus compte s'appuyer sur l'automatisation développée pour les objets volants autonomes pour arriver au concept de « Single Pilot Operations (SPO)».

« Nous développons à Toulouse un cockpit disruptif. Notre ambition est de développer de plus en plus de systèmes automatisés qui permettent d'améliorer la sécurité. L'automatisation a des effets positifs sur la sécurité », a-t-elle déclaré en rappelant l'absence de tout accident fatal en 2017 dans l'aviation commerciale.

L'ajout de technologies a fait chuter le nombre de navigants dans le cockpit

Alors qu'à la fin des années 50-début des années 60, les équipages comprenaient 4 ou 5 personnes dans le cockpit (deux pilotes, un mécanicien, un navigateur, un responsable radio), ils sont passés à deux pilotes dans les années 80. Ce qui reste aujourd'hui la norme. Pour autant, sur les vols long-courriers, l'équipage est renforcé en fonction de la durée du vol (trois, voire quatre pilotes sur des très long-courriers) et des pratiques de certaines compagnies aériennes. Sur l'Atlantique Nord par exemple, Air France a deux pilotes quand les compagnies américaines en ont trois.

Organisation du repos à bord

Les partisans du passage à un pilote dans le cockpit estiment que la question de la présence de deux pilotes dans le cockpit se pose en phase de croisière « où l'on surveille essentiellement les systèmes » et, qu'en allégeant demain les tâches de l'équipage en transférant une partie d'entre elles à « la machine », cette présence de deux pilotes n'est plus nécessaire. Ceci dans les phases de croisière uniquement.

«En croisière pourquoi pas, mais pas pour les approches d'atterrissage un peu complexe », explique un pilote d'essai, néanmoins sceptique.

Selon les partisans du « Single Pilot Operation (SPO)», n'avoir qu'un seul pilote dans le cockpit en croisière pendant que l'autre se reposerait permettrait de mieux organiser les temps de repos

«A deux pilotes à bord, on peut structurer la sieste. Toutes les compagnies n'ont pas un système de siestes tactiques. C'est l'un des éléments que regardent les compagnies », explique-t-on chez Airbus.

En outre, affirment-ils, la réduction du nombre de pilotes à bord permet à chaque pilote de faire plus de décollages et d'atterrissages et donc de lutter contre un problème de compétence observé sur les pilotes de vols à équipage renforcé.

Moins de pilotes, moins de salaires

Les compagnies aériennes sont évidemment très attentives à un tel projet considéré plus sûr par leurs promoteurs et plus économique puisqu'il permettrait de réduire la masse salariale des pilotes (un milliard d'euros à Air France, soit le quart de la masse globale par exemple). Il permettrait aussi de trouver une parade à la pénurie de pilotes dans le monde. Selon Airbus et Boeing, les compagnies aériennes auront besoin de plus de 500.000 nouveaux pilotes au cours des vingt prochaines années.

Une pénurie qui n'est pas sans poser de problème aux compagnies car elle entraîne une hausse des salaires des pilotes mais aussi, dans certaines régions du monde, des problèmes de formation. Pour autant, il va falloir peut-être un peu de temps de temps pour ne pas heurter leurs pilotes. Les plus anciens se souviennent tous du passage de trois à deux pilotes dans les cockpits d'Air France dans les années 80.

«Nous sommes en sous-activité en croisière, c'est une évidence. Pour autant, il faut être capable de répondre à l'immédiateté d'une situation dégradée. Les pilotes sont là pour ça. L'être humain a une capacité de réaction et un niveau de finesse que n'a pas la machine, mais il commet des erreurs », explique un commandant de bord, qui se demande comment un pilote seul pourra gérer une situation dégradée soudaine en situation de stress le temps que le commandant de bord ne revienne de sa couchette, notamment le principe de « cross check ».

Au-delà de toutes ces questions, l'inquiétude des pilotes revêt d'autres formes qui n'ont pas grand-chose à voir avec la sécurité des vols. Notamment le financement, en France, des retraites des navigants. S'il y a moins de pilotes, il y a de facto « moins de cotisants à la CRPN (caisse de retraites des personnes navigants)», explique un pilote.

Le passage à un pilote dans le cockpit sera, potentiellement, la dernière l'étape avant l'avion autonome. Un sujet qui irrite les pilotes, y compris les moins réticents au « SPO ». Evidemment, même si l'appel à la technologie a permis de rendre le transport aérien très sûr, la question de l'acceptation des passagers va évidemment se poser dès le SPO. C'est pour cela que les experts voient les premières mises en service sur les avions cargo.