Perrier : comment la stratégie anti-délocalisation des élus gardois face à Nestlé est tombée à l'eau

Par Adeline Raynal  |   |  798  mots
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Face à Nestlé, la mairie de la petite communce de Vergèze, dans le Gard mène un combat depuis près de sept ans. Craignant une délocalisation de la production, elle a renommé le lieu-dit d'où provient la célèbre eau pétillante en utilisant la marque déposée par Nestlé, qui conteste cette utilisation. La dernière décision de justice en date lui donne raison.

Beaucoup de bruit pour des bulles.

Il est des batailles que l'on mène davantage par principe que par crainte réelle. Celle qui voit s'opposer en justice la commune de Vergèze, dans le Gard, et le géant suisse Nestlé Waters en est une. Au c?ur de la querelle: le nom du lieu-dit qui abrite la source d'où provient une célèbre eau gazeuse, la Perrier.

"Le champagne des eaux de table"

Pour bien comprendre, un rappel historique s'impose. En 1890, le docteur Perrier devient l'unique propriétaire d'une source située à Vergèze, qui produit une eau louée pour sa qualité, dans laquelle du gaz carbonique est naturellement présent. Il met au point le procédé qui donne naissance à l'eau Perrier finement pétillante, telle qu'on la connaît de nos jours, et lui trouve des vertus thérapeutiques. Il s'associe en 1903 à un Lord anglais, Sir John Harm-Sworth, qui choisit de baptiser la source du nom du médecin et commence à exporter le breuvage. Jusqu'à la Seconde guerre mondiale, il le promeut auprès de la bourgeoisie et de la noblesse européenne, la surnommant "le champagne des eaux de table".

Rumeurs de délocalisation en 2004

Ce n'est qu'au début des années 1990 que Nestlé Waters prend possession de la source et enregistre la marque Perrier. L'activité économique autour de l'eau de la source Perrier génère à ce moment là plus de 3.000 emplois à Vergèze, dont la population est alors estimée à environ 3.200 habitants. Le lieu-dit sur lequel se trouve la source, lui, s'appelle Les Bouillens, "l'eau à bulles" en patois.

Mais en 2004, un conflit social se déclare sur le site de production des petites bouteilles vertes lorsque Nestlé Waters France annonce un plan social. Le quatrième depuis l'achat de l'usine. Plus de 300 postes sont menacés. Les effectifs ont alors déjà été réduits de plus de 700 personnes depuis la reprise de l'activité par Nestlé. Des rumeurs de délocalisation circulent, bien que jamais confirmées par la direction de l'usine. Dans les faits, la production n'a jamais quitté Vergèze.

Perrier, une marque propriété de Nestlé

Mais la mairie, inquiète, réfléchit à un moyen de préserver la production de l'eau de Perrier sur son territoire. Elle décide, en 2006, de faire les démarches pour baptiser le lieu-dit qui abrite la fameuse source : "Source Perrier-Les Bouillens". Et s'attire ainsi les foudres de Nestlé. Depuis, la bataille juridique n'en finit pas, étant passée devant les tribunaux de Nîmes, Marseille et même par le Conseil d'Etat. "Notre marque est enregistrée, on ne voulait pas qu'elle soit utilisée", explique un porte-parole de la direction de Nestlé Waters, Fabio Brusa. "Notre objectif, c'est de protéger la marque et son usage", fait-il valoir.

La commune de Vergèze n'a pas encore abandonné l'affaire, malgré le fait que la dernière décision en date, celle du 14 février 2013, donne raison au géant de l'agroalimentaire. La cour administrative d'appel de Marseille a prononcé l'annulation de la délibération du conseil municipal de 2006 (changeant le nom du lieu-dit), en raison d'un vice de forme, tout en reconnaissant sur le fond l'existence d'un "intérêt public local" à cette décision. "Il s'agit de faire reconnaître que l'eau de Perrier vient de Vergèze, uniquement, et qu'il y a là un intérêt public local", témoigne René Balana, le maire du village gardois depuis 2001. Aujourd'hui, ce sont près d'un milliard de bouteilles de Perrier par an qui sortent de l'unique site de production, qui emploie 1.000 salariés à Vergèze, village aujourd'hui habité par 4.465 habitants.

Un accord à l'amiable?

Bientôt la fin de l'histoire? "Deux possibilités s'offrent à nous, indique le maire, soit nous contestons le fait qu'il y a eu vice de forme dans la procédure, soit nous réenclenchons une procédure et une délibération nouvelle, en bonne et due forme". Mais la commune se bat déjà depuis sept ans, et vient d'être condamnée à verser 2.000 euros à Nestlé au titre des frais de justice. Dans le village, les habitants sont bien conscients de l'importance de sauvegarder l'usine Perrier à Vergèze, mais cette histoire de nom de lieu-dit ne passione pas les foules. "on n'en entend pas beaucoup parler dans les rues de Vergèze" témoigne une commerçante.

Et si un accord à l'amiable était finalement possible? "Nous entreprenons en ce moment d'entrer en communication directe avec Nestlé Waters France", déclare René Balana. Depuis 2006, le dialogue ne se fait que par avocats interposés, confie-t-il. Visiblement, il y a des chances que cette concertation aboutisse puisque côté Nestlé, Fabio Brusa l'assure, "la délocalisation de la production n'est pas d'actualité".