Pourquoi Volkswagen fait si peur

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1966  mots
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Alors que la Golf VII vient d'être sacrée "voiture de l'année", la Tribune a mené l'enquête sur une groupe qui désormais vise le haut du podium de la construction automobile mondiale. L'insolente réussite du constructeur, avec un bénéfice net faramineux de 21,9 milliards d'euros l'an dernier, inquiète en effet ses concurrents. Présent sur tous les continents, fort de son image de haute technologie, le groupe allemand paraît réussir tout ce qu'il entreprend. Avec 50 milliards d'euros d'investissements annoncés sur trois ans, VW arme vouloir devenir le premier constructeur du monde d'ici à 2018. Et s'en donne les moyens.

Volkswagen, ennemi public numéro un de... tous les autres constructeurs automobiles? Le bénéfice net faramineux (21,9 milliards d'euros) engrangé en 2012 par le géant automobile allemand aux douze marques représente cinq fois celui de Ford, douze fois celui de Renault. Le profit du groupe germanique représente plus de quatre fois la perte nette de PSA l'an passé.
Certes, c'est l'intégration de Porsche, marque de voitures sportives à forte marge, qui génère en partie ce résultat. Il n'empêche. Le consortium de Wolfsburg ache quand même un bénéfice opérationnel historique de... 11,5 milliards d'euros. Soit une marge de 6%, honorable pour un groupe qui fabrique certes des Audi, mais aussi des Seat, des Skoda, des Volkswagen à bas prix (Brésil). De tels profits donnent au groupe de Basse-Saxe un immense trésor de guerre qui fait peur aux concurrents. Malgré la crise, le consortium est parvenu l'an passé à accroître de 11,2% ses ventes, à 9,07 millions d'unités. Toutes les marques, sauf l'espagnole Seat, affichent des chiffres historiques.

50 milliards d'euros à investir en trois ans

Volkswagen ne se contente pas d'être devenu le troisième constructeur automobile mondial. Non, Martin Winterkorn, le président du directoire, martèle son objectif de devenir le numéro un mondial d'ici à 2018. Pour cela, le constructeur a provisionné la bagatelle de... 50,2 milliards d'euros à investir sur trois ans, soit 16,7 milliards par an. Une somme colossale par rapport à la concurrence. PSA n'a investi pour sa part que 3,8 milliards l'an dernier (y compris 861 millions pour sa filiale équipementière Faurecia) et Renault 2,9 milliards. Revue de détail des recettes d'un succès qui participe à la puissance exportatrice de l'Allemagne, où le groupe est l'un des premiers employeurs.

>> Lire les chiffres de Volkswagen dans les ECONOPICS spécial Volkswagen, la "voiture du peuple" ...

Une stratégie délibérement mondiale

Le consortium vend d'ores et déjà 60% de ses véhicules hors d'Europe. L'an dernier, ses ventes ont surtout progressé aux États-Unis (+30,6%, à 580286 unités). Le groupe y a battu son record de... 1970, au temps de la Coccinelle! Un bel exemple d'obstination, alors que le consortium était à l'agonie aux États-Unis il y a encore quelques années. Les décennies 1980, 1990 et 2000 ont été en effet catastrophiques, avec des produits bas de gamme fabriqués au Mexique pâtissant d'une déplorable image et des pertes récurrentes. Mais, « nous sommes repartis à l'offensive », expliquait Martin Winterkorn début janvier au salon de Detroit. Le groupe y a investi « plus de quatre milliards de dollars depuis 2008 », pour construire notamment une usine aux États-Unis mêmes.
Le constructeur s'est également très bien comporté l'an passé en Asie-Pacifique (+23,3%, à 3,17 millions d'unités). Sur la seule Chine, il a écoulé 2,81 millions de véhicules (+24,5%). C'est son premier débouché mondial, et de loin. Volkswagen écoule six fois et demie plus de véhicules en Chine que PSA, alors que les deux groupes étaient arrivés tous deux en pionniers au milieu des années 1980.En Amérique du Sud, le constructeur, installé depuis les années 1950 au Brésil, a encore accru ses volumes de 8,2%, à plus d'un million. Volkswagen est traditionnellement le numéro un des voitures particulières en Chine et le deuxième au Brésil. Sur le Vieux Continent en pleine dégringolade où les ventes de PSA ont fléchi de presque 15% l'an dernier, le groupe Volkswagen est parvenu à maintenir ses volumes (-0,3% à peine). Une prouesse. En Europe de l'Ouest (hors Allemagne), il a reculé, mais la baisse a été contrebalancée par la progression en Allemagne et surtout en Europe centrale et orientale (+17,6%)!Pour 2013, Martin Winterkorn pronostique « une croissance, surtout aux États-Unis, en Chine, en Amérique du Sud ». Le groupe possède une centaine d'usines à ce jour dans le monde. Il a d'ores et déjà prévu un nouveau site en Russie, deux autres au Mexique et quatre en Chine dans les toutes prochaines années.

De la petite VW Up à la Bentely Mulsanne, une gamme complète de véhicules

Volkswagen dispose de la gamme la plus large de toute la production mondiale, de la minuscule Volkswagen Up produite en Slovaquie à l'hyperluxueuse limousine Bentley Mulsanne britannique, en passant par les petites Volkswagen Polo ou Seat Ibiza, les compactes Volkswagen Golf ou Audi A3, la familiale Volkswagen Passat, toute une pléiade de 4x4, du Skoda Yeti à l'Audi Q7 ou au Porsche Cayenne, des cabriolets, monospaces, pick-up... Il y a aussi les ultrasportives d'exception comme la Porsche 911, la Lamborghini Aventador ou la Bugatti Veyron. Enfin, toute une gamme de modèles « locaux » inconnus en Europe existe en Amérique du Sud (Gol, Fox...) ou en Chine (Lavida, Santana...). Et le groupe va encore accélérer le rythme des nouveautés grâce aux nouvelles plates-formes modulaires, qui permettent de formidables économies d'échelle.



L'éventail comprend aussi les motos de Ducati. Et le large spectre des utilitaires va de la petite fourgonnette à l'énorme camion MAN ou Scania. Bref, pas un créneau qui soit négligé, conséquence de la volonté hégémonique de l'ancien patron emblématique Ferdinand Piëch, petit-fils de Ferdinand Porsche et toujours président du conseil de surveillance de Volkswagen AG! Pour animer tous ces modèles, Volkswagen propose en parallèle une gamme de moteurs impressionnante, avec ses fameux diesels TDI, du petit tricylindre de 75 chevaux au V8 de 350, ou ses blocs à essence, du « mini » trois cylindres de 60 chevaux au V12 de 700 chevaux, voire au W16 de 1200 chevaux (Bugatti)!

Des plate-formes communes à de nombreux véhicules

Patron du directoire de Volkswagen de 1993 à 2002, Ferdinand Piëch s'était forgé la réputation de roi des plates-formes. Volkswagen fut en effet l'un des premiers constructeurs à systématiser la stratégie d'une multiplication des modèles à partir de plates-formes communes, engrangeant un durable avantage compétitif. Et la dernière plate-forme modulaire du consortium, celle de la dernière Golf VII, franchit une étape supplémentaire. « Nous allons réaliser plus de 40 modèles, soit plus de 3,5 millions d'unités annuelles d'ici à 2018 » sur cette nouvelle base roulante, nous expliquait récemment Ulrich Hackenberg, directeur de la recherche et du développement de Volkswagen. Soit un record absolu dans toute la production mondiale. Et de loin.

PSA vise de son côté 1,8 million de véhicules par an seulement sur une même plate-forme à l'horizon 2018.La firme de Wolfsburg promet une pléthore de modèles-niches inédits, avec des concepts totalement nouveaux. Cette plate-forme modulable permettra de « réduire les délais de gestation d'un nouveau véhicule de trois à deux ans et demi ». Des véhicules sur cette plate-forme seront produits en Allemagne, en Espagne, en République tchèque, en Amérique du Sud, en Chine. « On peut fabriquer des modèles très différents dans une même usine. Admettons qu'un jour les volumes de la Passat baissent trop et que nous manquions de Golf, par exemple, eh bien, on peut vite reconvertir un site de production », arguait le responsable de la recherche et du développement.

Une image qui allie haute technologie et qualité

Les Volkswagen ne sont pas forcément les modèles les plus fiables de la production mondiale. Les diverses enquêtes auprès des consommateurs ont en effet plutôt tendance à plébisciter les marques japonaises (Toyota et Honda surtout). Mais, si le taux de pannes de ses voitures est souvent supérieur à celui des nippones, le constructeur germanique n'en demeure pas moins synonyme de qualité sur tous les marchés.
Une solide réputation qu'il doit notamment à l'image d'indestructibilité de la fameuse Coccinelle originelle de 1938. Le constructeur allemand a aussi compris très tôt qu'il fallait soigner la qualité de finition, c'est-à-dire l'apparence des véhicules. Du coup, les véhicules du groupe font robuste et les carrosseries, les intérieurs, vieillissent bien. La qualité perçue des Audi est même jugée aujourd'hui comme la meilleure dans la production automobile mondiale par la plupart des experts.
Cette réputation de qualité s'accompagne d'une image de haute technologie. Le groupe Volkswagen a su lancer dès le milieu des années 1970 un petit diesel léger sur sa Golf, et en même temps un petit moteur sportif à haut rendement (GTI); en 1980, le fameux système « sécuritaire » à quatre roues motrices (« quattro »); en 1988, son premier moteur noble de forte cylindrée V8; en 1989, le premier TDI (diesel à injection directe) ultrasobre; en 2003, la boîte à double embrayage de série qui combine douceur de la transmission automatique, rapidité de réaction et basse consommation.

>> (Re)voir le diaporama voiture de l'année 2013 : "And the winner is"... la Golf VII !

Des dirigeants issus du sérail

Contrairement à GM, Fiat ou PSA, Volkswagen se caractérise par l'incroyable stabilité de ses dirigeants, imprégnés de culture maison. Après un début de carrière chez l'équipementier auto Bosch, Martin Winterkorn entre dès 1981 chez Audi, où il s'occupe essentiellement de qualité. En 1993, il passe chez Volkswagen où il supervise également la qualité. Il se chargera aussi du développement technique de la marque, puis de la recherche et du développement. En 2002, il repassera chez Audi pour prendre la présidence de la firme aux quatre anneaux, avant de devenir président directeur du consortium en janvier 2007. Bref, une carrière qui se sera totalement déroulée dans l'industrie automobile allemande et en presque totalité au sein du consortium. Fort de ce savoir-faire, Martin Winterkorn examine et essaie personnellement toutes les nouveautés du groupe et de la concurrence. L'homme est réputé pour sa connaissance et son souci du détail. Il est capable sur un salon de tester la commande de réglage de la colonne de direction ou d'ouverture d'un capot de n'importe quel modèle rival!
Le patron s'est entouré de dirigeants tout aussi spécialistes que lui. Rupert Stadler, patron d'Audi depuis 2007, est ainsi entré au sein de sa marque il y a... vingt-trois ans. Christian Klingler, le directeur des ventes et du marketing du consortium, a démarré chez Porsche en 1992. L'homme a acquis une remarquable expérience de la distribution automobile en dirigeant notamment le groupe de distribution multi marques PGA (appartenant à Porsche Holding), qui écoule en particulier des véhicules de Peugeot et de Citroën. Martin Winterkorn n'a pas hésité à aller chercher les meilleurs talents en dehors du groupe, comme l'Italien Luca De Meo, qui, après une brillante carrière automobile chez Renault, Toyota et Fiat - où il a lancé la 500 -, est aujourd'hui le directeur du marketing du groupe et patron du commerce d'Audi...

La crainte d'une levée de bouclier "anti-VW" ?

Au total, l'offensive généralisée de Volkswagen ne sera toutefois pas un long fleuve tranquille. Le groupe va devoir gérer une très forte croissance, avec un portefeuille disparate de marques, aux quatre coins du monde. Pas facile, alors même qu'il va devoir trouver un successeur à son président, Martin Winterkorn fêtant bientôt son 66e anniversaire. Par ailleurs, son insolente réussite en fait... la bête noire de ses concurrents, voire de quelques États étrangers.
Chez Volkswagen, tous se souviennent de Toyota, qui avait été stoppé net dans son déploiement mondial par les levées de boucliers aux États-Unis, où on avait vu en lui le fossoyeur indirect de GM ou de Chrysler. Du coup, le japonais ne s'est toujours pas relevé de la contre-publicité générée par les millions de véhicules rappelés en 2009-2010 outre-Atlantique, sous prétexte qu'ils étaient « accidentogènes », avant... d'être blanchis par l'agence de sécurité NHTSA. Mais, trop tard! Volkswagen n'est pas à l'abri de ce genre de réactions.