"Avec Trump, l'automobile américaine pourrait vivre une nouvelle ère" Xavier Mosquet (BCG)

Par Propos recueillis par Nabil Bourassi  |   |  863  mots
Xavier Mosquet estime que le marché automobile américain devrait désormais stagner autour d'un point d'équilibre. La hausse des taux d'intérêt ne devrait pas remettre en cause cette stabilité.
Xavier Mosquet (directeur associé au Boston Consulting Group) est un des grands experts du marché automobile américain. Il avait fait partie de la task force qu'avait constituée Barack Obama pour restructurer l'industrie automobile américaine. Il livre ici son analyse de ce marché à la veille de l'arrivée de Donald Trump, le prochain président américain, et tandis que le salon de Détroit ouvre ses portes.

LA TRIBUNE - Aux Etats-Unis, le salon automobile de Détroit ouvre ses portes ce lundi 9 janvier. Nous n'avons pas encore les chiffres définitifs sur la tenue du marché en 2016, pouvez-vous néanmoins faire le point sur l'état du marché automobile américain ?

XAVIER MOSQUET - Fondamentalement, nous devrions rester, à quelques centaines de milliers d'unités près, au même niveau qu'en 2015, c'est-à-dire autour de 17,5 millions d'immatriculations. C'est en soit une bonne nouvelle puisque cela montre que le marché américain tient sur des facteurs démographiques, et que ce n'est pas un marché subventionné. C'est ce qui me fait penser que désormais, le marché va fluctuer autour de ce niveau de 17,5 millions d'immatriculations.

La remontée des taux d'intérêts que semble amorcer la banque centrale américaine pourrait pourtant impacter le marché en 2017...

Il est vrai que la faiblesse des taux d'intérêts a permis de soutenir le marché automobile américain. La volonté des autorités monétaires américaine de resserrer les taux devrait effectivement impacter les conditions de financement d'achat d'automobiles. Mais l'économie américaine est en bonne santé, les constructeurs se sont restructurés et le marché pourra absorber la hausse des taux d'intérêts.

Dans ce contexte de marché saturé, c'est-à-dire où on ne peut plus espérer de croissance en volume, les constructeurs ne sont-ils pas tentés de conquérir des parts de marché par une guerre des prix ?

Globalement, les constructeurs ont été raisonnables en 2016. Il n'y a pas eu de guerre des prix. General Motors, Ford et Toyota, les trois premiers groupes qui dominent le marché américain ont préféré de légères pertes de parts de marché, plutôt que baisser leurs prix. A l'inverse, Nissan, Honda ou Fiat Chrysler, ont été plus offensifs en matière commerciale. En fait, les groupes comptent plus sur leur stratégie produit pour faire de la conquête. Celle-ci repose sur deux axes : la qualité des produits et de l'image de marque, et les nouveautés produits.

Autrement dit, faire de la valeur plutôt que du volume ?

Le marché américain est resté stable en volume, mais le mix-produit (part des produits à haute valeur ajoutée, ndlr) s'est nettement amélioré. Si on prend seulement la segmentation du marché, on a observé une forte progression des gros SUV et pick-ups. En 2012, ces deux segments représentaient 29% du marché total. Il est passé à 33% du marché en 2016. Il y a une véritable substitution d'un segment par un autre. Sur le segment des berlines C par exemple, en un an, les volumes ont baissé de 8%, tandis que son équivalent crossover a progressé de 6%. Cela montre à quel point, les constructeurs ont dégagé beaucoup plus de valeurs sur des volumes quasi-constants. Cela a été favorisé par la baisse des prix du pétrole.

Les prix très bons marché du carburant, ont-ils eu un effet défavorable aux motorisations électrifiées (hybrides et voitures 100% électrique) ?

Depuis quatre ans maintenant, les ventes de voiture électrique et hybrides n'ont cessé de baisser. L'arrivée d'une nouvelle administration pourrait aggraver la situation puisque celle-ci a d'ores et déjà annoncé son intention de passer en revue toutes les subventions fiscales. Elle pourrait ainsi remettre en cause l'aide de 7.500 dollars sur les voitures électriques.

2016 a-t-il marqué un coup d'arrêt sur les ventes de diesel qui étaient en progression les années précédentes, c'est-à-dire avant le scandale Volkswagen...

Oui, mais le diesel est et reste un phénomène marginal aux Etats-Unis. Contrairement à l'Europe, le diesel n'est pas subventionné, et il est plus cher à la pompe. Le groupe Volkswagen avait effectivement tendance à le subventionner lui-même, mais le scandale qui la frappé a stoppé net cette politique commerciale. Au final, le diesel est soumis à des conditions de marché très transparent, et sa baisse s'effectue indépendamment de ce contexte d'image de marque.

Vous parliez des projets de la nouvelle administration Trump qui doit prendre les rênes de la présidence à la fin du mois. Celle-ci a d'ores et déjà mis la pression sur les constructeurs automobiles américains y compris étrangers comme Toyota, pour maintenir la production automobile sur le territoire américain. Dans quelle ambiance, les constructeurs appréhendent cette nouvelle orientation politique ?

Le niveau d'incertitude a nettement augmenté, et certains sont inquiets. C'est notamment sur les accords de libre-échange que Donald Trump a adressé ses plus vives critiques, annonçant leur révision. Du traité transpacifique, signé récemment par l'administration Obama, et le Tafta (traité transatlantique) en cours de discussion avec les Européens, Donald Trump voudrait décélérer sur les politiques de libre-échange qui ont prévalu jusque-là. A cela, il faut ajouter les incertitudes sur les relations avec la Chine, mais également sur les réglementations sur les systèmes anti-pollution, et comme je le disais sur les incitations sur certaines motorisations comme la voiture électrique. L'arrivée de Donald Trump pourrait signifier la fin d'une période où l'interventionnisme étatique était de moins en moins la règle. C'est assez nouveau.