Peugeot aux États-Unis : les différentes options pour éviter le crash

Par Nabil Bourassi  |   |  1094  mots
(Crédits : Stephane Mahe)
La marque au lion a été mandatée par Carlos Tavares pour représenter l'industrie automobile française sur le sol américain. Aussi convoité que complexe, le deuxième marché du monde en volume est saturé et culmine à son maximum historique. Pour autant, le constructeur français imagine d'autres portes d'entrée et ainsi prendre sa part d'un gâteau qui reste très lucratif...

Des Peugeot aux États-Unis ? C'est le nouveau chantier de Carlos Tavares... Le patron de PSA avait annoncé en 2016 qu'il se donnait dix ans pour retourner aux États-Unis. On sait maintenant que c'est la marque au lion qui a été mandatée pour attaquer ce marché. Mais Jean-Philippe Imparato, le patron de Peugeot, ne prévoit pas d'y aller avant 2025 et son plan d'action ne sera pas dévoilé avant l'année prochaine. Il est urgent d'attendre! Mais pas sans raisons car, en réalité, l'exercice est hautement périlleux.

Trente ans d'absence

Il faut dire que le marché américain est un marché totalement saturé de marques et sans aucune perspective de croissance. Avec 17 millions d'unités, le marché est revenu à son niveau d'avant-crise et à un maximum que pourrait autoriser sa démographie, nous explique Xavier Mosquet, du Boston Consulting Group et réputé comme un très bon connaisseur de ce marché. Autrement dit, les fenêtres de tir sont très minces.

Trente ans après le départ des marques tricolores du continent américain, Bernard Jullien, maître de conférence à l'Université de Bordeaux et grand spécialiste de l'industrie automobile, estime que les gammes actuelles des constructeurs français ne sont pas adaptées.

"Le marché automobile américain peut paraître exotique pour les marques françaises, c'est un marché qui compte sur des moteurs de plus de 3 litres, des SUV autrement plus grands que ce que l'on peut trouver en Europe...", explique-t-il.

Il est vrai que si PSA est réputé pour ses moteurs essence Puretech, ceux-ci ne dépassent pas 1,6 litre, là où le cœur de gamme américain se situe davantage entre 2 et 3 litres. Et les Américains n'ont, pour l'heure, aucune raison d'aller sur des segments inférieurs tant les cours du carburant sont bas et pourraient le rester... Xavier Mosquet rappelle, en outre, qu'avec "la crise de 2008, le marché américain est devenu très compétitif et les produits ont fait un saut qualitatif important".

Les cycles inversés, enjeu majeur

Pour autant, aucun groupe automobile ne peut prétendre à un statut de groupe mondial en faisant l'impasse sur le deuxième marché automobile du monde. Jusqu'ici les grandes régions automobiles étaient réputées pour avoir des cycles inversés: ainsi, lorsque le marché européen s'effondrait au début des années 2010, le marché chinois crachait des taux de croissance à deux chiffres. Depuis trois ans, c'est le marché européen qui a pris le relais et compensé le fort ralentissement du marché chinois.

Lire aussi : Le plan de Carlos Tavares pour internationaliser PSA

Pour PSA, l'implantation aux États-Unis s'inscrit dans une stratégie plus large d'internationalisation. Carlos Tavares a ainsi confié à Linda Jackson, directrice générale de Citroën, la responsabilité de s'implanter en Inde. Un plan de redressement en Chine est en cours, tandis que l'Asean est l'objet d'un déploiement commercial ambitieux. Sans parler du marché africain.

Mais, aux États-Unis, Carlos Tavares veut éviter de reproduire le schéma du rouleau compresseur, à l'allemande. Volkswagen sait combien lui a coûté son plan d'implantation aux États-Unis. L'usine de Chattanooga (Tennessee), mise en service en 2011, a coûté la bagatelle de 1 milliard de dollars. Mais, à une période de carburant très cher, la marque souhaitait faire du diesel un avantage concurrentiel pour percer sur ce marché... Quitte à tricher... Tout le monde connaît la suite de l'histoire: plus de 20 milliards de dollars d'amende et dommages en tous genres. Huit ans plus tard, Volkswagen vend 350.000 voitures aux États-Unis (chiffres 2018) soit 2% du marché. Soit le seuil minimal pour exister sur le marché américain, d'après Xavier Mosquet, mais payé au prix fort.

Le marché le plus profitable du monde

Bernard Jullien confirme que les barrières à l'entrée du marché américain sont très coûteuses, et ce, y compris hors complications judiciaires et réglementaires. « Structurer un réseau coûte très cher, surtout sur un marché verrouillé par des marques nationales, c'est un travail de longue haleine, il faut avoir les reins solides », explique l'universitaire. « Mais quand ça marche, ça rapporte cash, comme disent les Américains », ajoute Bernard Jullien, pour illustrer un marché devenu extrêmement rentable.

« Le marché américain est le plus profitable au monde: la fiscalité et le prix de l'essence permettent aux consommateurs d'acheter dans des segments supérieurs », confirme Xavier Mosquet du Boston Consulting Group.

Fort d'une rentabilité désormais robuste (marge opérationnelle à environ 8%, trésorerie de plus de 9 milliards d'euros), PSA pourrait très bien s'offrir ce luxe. Mais, pour Carlos Tavares, il n'est pas question de perdre d'argent et il ne compte d'ailleurs pas bâtir d'usine sur place, en tout cas, pas avant d'avoir des volumes de ventes suffisants. Le charismatique patron du groupe français ne veut pas se retrouver dans la situation chinoise, c'est-à-dire avec trois usines sous-utilisées. Celles-ci se serviront d'ailleurs de leurs surcapacités pour alimenter le marché américain. Encore faudra-t-il que les conditions douanières le permettent...

Vers une solution innovante

En outre, PSA n'a pas non plus l'intention de se construire un réseau de concessions sur le sol américain : trop complexe à mettre en place, et trop coûteux. Peugeot travaille donc sur plusieurs pistes comme la vente digitalisée, ou encore des solutions dites de mobilités alternatives, déjà expérimentées par la filiale Free2Move à Washington.

"Il y a une tendance forte sur un nouveau rapport à la mobilité qui ne passe pas nécessairement par la propriété automobile. C'est un marché où il y a moins de clients à recruter, et cela peut être une opportunité pour un groupe pour attaquer le marché américain", souligne Xavier Mosquet.

Impossible, toutefois, de ne pas imaginer Carlos Tavares nourrir un dessein plus fracassant en s'implantant sur le marché américain par effraction. Depuis plusieurs semaines, une vieille rumeur occupe tous les esprits de la presse économique: celui d'un « rapprochement » avec Fiat Chrysler Automobile. Le groupe italo-américain fait l'objet de toutes les spéculations quant à son avenir, notamment celui d'un démantèlement. Racheter une des marques américaines (Chrysler, Jeep, RAM ou Dodge) de ce groupe serait une opportunité immanquable pour PSA. Mais cette option n'est pas exclusive au groupe automobile français, d'autres marques pourraient se montrer intéressées et surenchérir, comme vient de l'indiquer le Financial Times qui a révélé un projet de rachat de FCA par Renault. Un autre français aux États-Unis !