Pourquoi les ouvriers américains de Nissan appellent la France au secours

Par Nabil Bourassi  |   |  876  mots
Christian Hutin répond à des journalistes aux Etats-Unis, entourés d'ouvriers de l'usine Nissan de Canton au Mississippi.
D'après les ouvriers de Canton dans le Mississippi, la direction de l'usine Nissan entraverait la constitution d'une représentation syndicale à travers des intimidations et des pressions psychologiques et sociales. Ils en appellent à la France pour faire pression sur la direction par le truchement des participations croisées de l'Etat dans Renault, premier actionnaire de Nissan...

Les Américains en appellent à la France sur la question du... droit syndical ! Un député français s'est rendu dans la semaine du 27 juillet à l'usine Canton de Nissan dans le Mississippi pour soutenir les 6.000 ouvriers de l'usine Nissan qui, 13 ans après l'inauguration du site, n'ont toujours pas de représentation syndicale. Ils accusent la direction de l'usine d'entraver par tous les moyens l'élection de délégués syndicaux.

Un député français s'implique dans le combat

Christian Hutin, député du Nord (MRC), avait été sollicité en novembre 2015 par une délégation de syndicalistes de l'UAW accompagnés de salariés de l'usine. Ces derniers avaient demandé à rencontrer les membres de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale.

"S'ils ont décidé de nous contacter nous, c'est qu'ils ont la notion de l'actionnariat, et l'État français est le premier actionnaire de Renault, qui est lui-même le premier actionnaire de Nissan", explique à La Tribune, Christian Hutin, vice-président de la commission des Affaires sociales.

"Ce qu'ils m'ont raconté est terrible... La direction de Nissan se livrerait à des méthodes d'intimidation psychologique afin de dissuader les salariés de s'engager dans un processus de constitution d'un syndicat. Ils menacent de licenciement, ou affectent les salariés à des postes plus contraignants d'un point de vue de l'emploi du temps, certains sont mêmes convoqués...", raconte le député.

Pour constituer un syndicat, 30% des salariés doivent exprimer leur volonté d'un vote. Une fois le principe du vote acquis, le scrutin doit obtenir 50% des suffrages pour qu'une représentation syndicale soit acquise, en l'occurrence, celle de l'UAW, seul syndicat du secteur automobile.

Les syndicats français solidaires

Fin juin, les syndicalistes et représentants de l'usine Canton sont venus à Boulogne, au siège de Renault qui détient 44% de Nissan, manifester sous les fenêtres de Carlos Ghosn qui présidait alors un comité de groupe. Ils étaient accompagnés de l'ensemble des syndicats français représentés chez Renault, solidaires de leur cause (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC). Les ouvriers américains ont également reçu le soutien des syndicalistes brésiliens qui ont tenté d'empêcher que Nissan soit partenaire des prochains Jeux olympiques de Rio de Janeiro.

Christian Hutin explique avoir adressé un premier courrier à Carlos Ghosn qui est resté lettre morte. Le député du Nord ne s'est pas arrêté là puisqu'il a écrit et co-signé avec 35 députés français et européens, dont Bruno Le Roux, président du groupe des députés socialistes. Il a également apostrophé le gouvernement lors des questions à l'Assemblée nationale.

"Myriam El Khomri m'a promis de regarder le dossier, mais je n'ai encore aucun retour", déplore le député. "À la rentrée, j'adresserai un courrier directement au Président Hollande", lance-t-il, déterminé à aller jusqu'au bout.

Le député a décidé de se rendre sur place pour se rendre compte de la situation. Il a rencontré les ouvriers et les syndicalistes, mais également des députés noirs de l'Etat du Mississippi (photo ci-dessous).

"Quand on se rend sur place, on sent que ça va mal... Nous sommes dans l'un des Etats les plus pauvres des États-Unis. Dans cette usine, 95% des ouvriers sont noirs... On a l'impression non pas d'un combat syndical, mais d'un vrai combat pour les droits civiques. L'humaniste que je suis est révolté", s'emporte Christian Hutin.

"J'ai rencontré les ouvriers et participé à plusieurs meetings, les gens là-bas comptent beaucoup sur la France", raconte le député français qui s'est vu refusé une rencontre avec la direction de Nissan. "Dans cette usine, ces ouvriers m'ont parlé de nombreux problèmes liés à la sécurité ou à la santé", ajoute-t-il.

Réponse laconique de Nissan

Du côté de Nissan, on s'est contenté d'un communiqué très laconique. Le groupe japonais se défend de violer la législation sociale.

"Dans tous les pays où Nissan opère, nous suivons l'esprit et la lettre des lois. Nissan ne respecte pas seulement les droits des travailleurs, mais il s'assure que tous les employés sont au fait de leurs droits et jouisse de leur liberté d'expression et d'opinion, et élisent les représentations qu'ils souhaitent", écrit Nissan dans un communiqué.

Le gouvernement américain, de son côté, aurait déjà manifesté sa préoccupation face à cette situation. La Maison-Blanche avait reçu en octobre dernier des représentants de l'usine de Cantons pour évoquer le sujet. L'un d'entre eux, Robert Hathorn a déclaré en sortant de cette rencontre avec Barack Obama et son secrétaire d'État au Travail, Thomas Pérez :

"Quand je suis venu pour voter pour le président des États-Unis, personne ne m'a menacé, mais avec la demande d'un vote pour un syndicat, il y a des menaces chez Nissan. Le Mississippi a une longue histoire de combat pour le droit de voter sans menaces et sans peur. Le droit du travail c'est un droit civique".

Christian Hutin affirme que la direction Nissan a encore "serré la vis auprès des salariés après l'annonce de sa visite". "Tout ce que ces ouvriers demandent, c'est la neutralité de la direction", conclut-il.