Renault : faut-il nationaliser l'ex-Régie ?

Par Nabil Bourassi  |   |  824  mots
(Crédits : STEPHANE MAHE)
Déjà fortement fragilisé avant la crise du coronavirus, Renault pourrait être contraint de se tourner vers l'Etat français en cas de rupture de trésorerie...

"Des nationalisations si nécessaire". Le mot du Premier ministre et du ministre de l'économie est clair : l'Etat français sauvera ses fleurons industriels contre la crise du coronavirus, quoiqu'il en coûte. Sur les marchés, tout le monde pense à Air France-KLM, particulièrement frappé par la crise du Coronavirus, contraint d'immobiliser l'essentiel de sa flotte... Un deuxième nom apparaît, celui de Renault. Le groupe automobile français est entré dans cette période de crise déjà fortement fragilisé. L'arrêt de la production, le confinement de trois pays clés (France, Italie, Espagne) pourraient lui coûter extrêmement cher. En 2019, ces trois pays ont réalisé 29% des ventes du groupe. Mais avec la fermeture de tous les sites en Europe, la moitié des ventes est frappée.

Catégorie spéculative

En février déjà, plusieurs brokers avaient émis des doutes sur la trésorerie de Renault sur un exercice "normal". Citi avait invoqué le risque que le constructeur soit à court de cash dès le courant de cette année. Clotilde Delbos, directrice général par intérim de Renault, et accessoirement son ancienne directrice financière avant le renvoi de Thierry Bolloré en septembre dernier, avait assuré lors de la présentation des résultats financiers mi-février qu'il n'y avait aucun risque de trésorerie puisque Renault disposait encore de 16 milliards d'euros de réserve de liquidités (dont 12,3 milliards de trésorerie et équivalent et 3,5 milliards de lignes de crédit disponible). En outre, le constructeur dispose d'actifs sonnants et trébuchants qui lui permettent d'asseoir son bilan sur des sous-jacents robustes, tels que sa participation de 43% dans Nissan. En vain, puisqu'une semaine plus tard, Moody's décidait de dégrader la note financière de Renault le plaçant en catégorie spéculative. Standard & Poor's, de son côté, s'est contenté de dégrader sa perspective sur le titre, autrement dit, un ultime avertissement avant de basculer également en catégorie spéculative. Le fait de passer dans cette catégorie expose Renault à des difficultés de financement sur les marchés.

Avec la crise du coronavirus, la menace d'une trésorerie à sec se précise... Sans vente, il n'y a plus de cash. Et mêmes fermées, les usines consomment du cash... Les mesures de chômage technique pris en charge par l'Etat pourraient également ne plus suffire. Le cours de Bourse de Renault ne cesse de s'effondrer. Il a perdu 26% de sa valeur depuis une semaine et le début du "CoronaKrach", soit davantage que les pertes du Cac 40 (-18%). Et surtout, le titre s'est effondré de près de 64% depuis le début de l'année (-37% pour le Cac 40), soit le signe d'une défiance des investisseurs antérieure à la crise.

Une augmentation de capital ou une nationalisation ?

Renault pourrait donc être rapidement contraint à chercher des financements, et il se pourrait que les conditions du marché lui interdisent d'emprunter à des taux compétitifs. L'Etat français serait alors l'ultime recours. Avec Carlos Tavares, PDG de PSA, Jean-Dominique Senard, président de Renault, s'est entretenu par téléphone avec Bruno Le Maire ce mercredi après-midi  pour faire le point sur la situation au lendemain de l'appel de Luc Chatel en faveur d'un plan de relance pour la filière automobile. D'après nos informations, l'hypothèse d'une nationalisation de Renault ou d'une augmentation de capital prise en charge par l'Etat était sur la table.

Toute la question est de savoir dans quelles conditions un tel scénario serait accepté par Nissan. Ce partenaire et allié a toujours été allergique aux velléités de contrôle de l'Alliance prêtées à l'Etat français. L'épisode de la montée dans le capital en 2015 dans le cadre de la loi Florange a laissé des traces dans les relations entre les deux partenaires. Dans les circonstances actuelles, l'Etat pourrait néanmoins agir en bonne intelligence avec Nissan pour convenir d'une prise de participation provisoire. Mais ce ne sera pas simple à gérer...

Clio et Captur coupés dans leur élan

Ce qui paraît désormais certain, c'est que Renault est passé du statut de groupe fragilisé depuis la chute spectaculaire de Carlos Ghosn en novembre 2018, à un stade de grande vulnérabilité au moindre aléa de marché. Le constructeur comptait sur le bon démarrage des nouveaux Clio et Captur pour se relancer en Europe grâce à ces deux modèles largement leaders depuis plusieurs années maintenant. Ces deux modèles devaient résoudre en partie les problèmes de trésorerie car ils sont situés sur des segments à forts volumes et surtout, ils sont largement montés en gamme, ce qui permettait de dégager davantage de profits sur chaque vente. La crise du Coronavirus vient de doucher les espoirs de rebond du groupe, à court terme en tout cas...