Vaccination : face au retard mondial, gouvernements désemparés et scientifiques divisés

Par Issam Ahmed, AFP  |   |  841  mots
(Crédits : YUKI IWAMURA)
Quelle tactique adopter pour accélérer la vaccination de la population alors que l'épidémie menace d'échapper à tout contrôle ? La question taraude les gouvernements du monde entier, désemparés face à leurs retards. Les autorités britanniques ont choisi sciemment de retarder l'administration de la seconde dose des vaccins, bien au-delà des recommandations. À l'opposé, les États-Unis jouent la prudence. Le débat étale au grand jour les divisions entre éminents scientifiques. Avec le risque d'alimenter la défiance du public envers les vaccins...

La seconde dose des vaccins contre le Covid-19 peut-elle être prise plus tard qu'initialement recommandé? Pourrait-on administrer des demi-doses? Et utiliser un vaccin différent entre la première et la seconde dose est-il aussi efficace?

Les gouvernements du monde entier sont aujourd'hui confrontés à ces questions face à une épidémie qui fait rage, et l'apparition de variants a priori plus contagieux.

Le Royaume-Uni choisit de retarder l'administration de la seconde dose

Les autorités britanniques ont donné le ton, annonçant qu'elles allaient retarder l'administration de la seconde dose des vaccins, jusqu'à trois mois après la première, soit bien au-delà des trois à quatre semaines recommandées.

Le but: faire en sorte que davantage de gens reçoivent une injection plus rapidement, même si le niveau de protection est inférieur à celui acquis une fois reçues les deux doses.

L'OMS soutient la tactique britannique, les États-Unis pas d'accord

L'Organisation mondiale de la santé a soutenu la position britannique mardi, en estimant que la deuxième injection pouvait être retardée de quelques semaines "dans des circonstances exceptionnelles de contextes épidémiologiques et de contraintes d'approvisionnement".

Et si le vaccin utilisé pour une première injection n'est plus disponible, les autorités britanniques ont également autorisé l'administration d'un vaccin différent pour la deuxième.

Les États-Unis, au contraire, ont adopté une ligne bien plus prudente. Lundi soir, le chef de l'Agence des médicaments (FDA), Stephen Hahn, a estimé qu'il s'agissait de "questions raisonnables à considérer et évaluer", mais que ces changements étaient "prématurés" et n'étaient "pas ancrés solidement dans des preuves disponibles".

Les divisions entre éminents scientifiques étalées au grand jour

Le débat a mis en lumière les divisions parmi les experts, avec d'éminents scientifiques soutenant des positions opposées.

Idéalement, les politiques publiques devraient suivre ce qui a été testé lors des essais cliniques. Mais avec une épidémie menaçant d'échapper à tout contrôle, pour certains, la situation est loin d'être idéale.

"Nous n'avons pas choisi trois semaines pour (le vaccin de) Pfizer et quatre pour Moderna parce que nous savons que c'est parfait", argumente Howard Forman, un expert en santé publique à l'université de Yale. "Il s'agissait de la meilleure hypothèse pour un délai optimal avant la seconde dose, afin d'augmenter l'immunité", a-t-il expliqué à l'AFP. "De légers changements aux recommandations peuvent faire toute la différence pour donner une bien plus grande portée aux vaccins que nous avons."

Selon lui, retarder la seconde dose - considérée comme cruciale pour une protection à long terme - ne devrait être fait que pour des gens de moins de 65 ans et sans risques spécifiques.

Hormis Israël, tous les pays sont très en retard

Les États-Unis avaient fixé à 20 millions le nombre de personnes vaccinées à la fin décembre, mais au 4 janvier, seules 4,8 millions de personnes avaient reçu une première injection. Le pays, comme le Royaume-Uni, a couvert environ 1,4% de sa population. L'Europe est loin derrière, tandis qu'Israël en est à 13,5%.

Les doutes des scientifiques sur la bonne stratégie vaccinale

Les vaccins de Pfizer/BioNTech et Moderna sont efficaces à environ 95% après la seconde dose. Le vaccin de Moderna, en particulier, a montré un haut niveau de protection après la première dose - autour de 90% -, une donnée qui doit cependant être traitée avec prudence car fondée sur un échantillon restreint.

Selon Saad Omer, directeur de l'Institut de santé de Yale, un changement de stratégie ne se justifie que pour les pays où l'approvisionnement est restreint. Aux États-Unis, où 17 millions de doses ont déjà été distribuées aux États, administrer ces doses déjà disponibles est la priorité, a-t-il dit à l'AFP.

Concernant l'injection d'un vaccin différent d'une dose à l'autre, pour l'immunologue Akiko Iwasaki, cela pourrait fonctionner en théorie, mais les experts s'accordent pour dire que cela nécessite des recherches supplémentaires et ne devrait être fait qu'en dernier recours actuellement.

Le seuil optimal d'anticorps toujours pas déterminé

Une manière d'avancer pourrait être de combiner les résultats de plusieurs études déjà réalisées afin de déterminer quel seuil d'anticorps résulte en une protection contre le Covid-19, selon Saad Omer et Natalie Dean, biostatisticienne à l'Université de Floride. Et d'ensuite mener des essais plus petits pour déterminer quelle dose de vaccin amène à ce niveau.

Une étude de ce type est en cours pour déterminer si l'injection de demi-doses du vaccin de Moderna confère la même protection que des doses complètes, selon les propos rapportés par le New York Times de John Mascola, des Instituts nationaux de santé américains (NIH).

Mais une inquiétude taraude la scientifique Natalie Dean: que ces changements contribuent à alimenter la défiance du public envers les vaccins. Selon elle, toute modification devrait ainsi suivre le même processus d'autorisation que celui utilisé pour autoriser en urgence les vaccins.