La France bannit l'hydroxychloroquine... mais le Pr. Raoult persiste et signe !

Par Juliette Collen et Amélie Bottolier-Depois, AFP  |   |  1544  mots
(Crédits : Reuters)
Après des semaines de polémique, le gouvernement français a mis fin mercredi à l'autorisation de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 à l'hôpital, se défendant de toute décision "politique" à l'encontre du controversé Pr Raoult, qui promeut ce médicament.

>> Mise en ligne le 27/05/2020 à 16:57 | Mise à jour le 30/05/2020 à 18:21

Dans un décret paru au Journal officiel, le ministère de la Santé a abrogé les dispositions qui, depuis fin mars, permettaient de prescrire ce médicament contre le COVID-19 à titre dérogatoire, seulement à l'hôpital et uniquement pour les patients gravement atteints, après décision collégiale des médecins. Des études avaient déjà pointé son inefficacité. Et la semaine dernière une publication dans la prestigieuse revue médicale The Lancet a enfoncé le clou, en avertissant même contre les effets néfastes de ce dérivé de l'anti-paludéen commercialisé sous le nom de Plaquénil.

Dans la foulée de cette dernière étude, le Haut conseil de la santé publique (HCSP) a émis mardi un avis défavorable à l'utilisation de l'hydroxychloroquine, hors essais cliniques, que ce soit seule ou associée à un antibiotique, chez des patients infectés par la nouvelle maladie.

La décision du gouvernement était attendue et elle a été prise "sur la base de recommandations scientifiques", a affirmé Olivier Véran à l'issue du Conseil des ministres. "J'ai toujours suivi l'avis de cette autorité, toujours. Je ne joue pas à faire de la politique avec l'état de santé des Français", a-t-il plaidé devant la presse, se défendant de vouloir mettre au ban le Pr Didier Raoult qui promeut le médicament et conteste l'étude du Lancet.

"D'ailleurs je l'ai appelé hier, je l'ai prévenu de la décision", a précisé le ministre.

Réponse : l'institut dirigé par le professeur, l'IHU Méditerranée Infection de Marseille "continuera à traiter" ses patients "avec les traitements les plus adaptés". L'Institut a déjà soigné près de 4.000 personnes infectées par le virus SARS-CoV-2 dont la plupart se sont vu prescrire une association d'hydroxychloroquine et d'azithromycine, un antibiotique.

"Des inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données"

La suspension par l'OMS des essais sur l'hydroxychloroquine aurait pu signer la fin de ce possible traitement contre le COVID-19. Mais l'étude responsable de cette décision est désormais attaquée de toutes parts, relançant le débat sur la molécule controversée.

L'étude en cause, publiée le 22 mai dans la revue scientifique The Lancet, se fonde sur environ 96.000 patients hospitalisés entre décembre et avril dans 671 hôpitaux, et compare l'état de ceux qui ont reçu le traitement à celui des patients qui ne l'ont pas eu.

Le Dr Mandeep Mehra et ses collègues concluent que le traitement ne semble pas être bénéfique aux malades du COVID-19 hospitalisés et pourrait même être néfaste. Des résultats qu'ils maintiennent: "nous sommes fiers de contribuer aux travaux sur le COVID-19" en cette période d'"incertitude", a déclaré à l'AFP vendredi l'un des auteurs, Sapan Desai.

Ces résultats, qui vont dans le même sens que plusieurs autres études à plus petite échelle, ont eu un retentissement considérable et des conséquences spectaculaires.

Trois jours plus tard, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a annoncé la suspension par précaution des essais cliniques qu'elle menait sur cette molécule avec ses partenaires dans plusieurs pays.

Plusieurs autres essais cliniques ont été suspendus et certains pays dont la France ont banni l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour le traitement du COVID-19, au grand dam de ses promoteurs. Mais même des chercheurs sceptiques sur l'intérêt de la molécule contre le COVID-19 ont exprimé leurs doutes sur l'étude du Lancet.

Dans une lettre ouverte publiée jeudi soir, des dizaines de scientifiques du monde entier, de Harvard à l'Imperial College de Londres, soulignent ainsi que l'examen minutieux de l'étude du Lancet soulève "à la fois des inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données".

Ils dressent une longue liste des points problématiques, d'incohérences dans les doses administrées dans certains pays à des questions éthiques sur la collecte des informations sur les patients, en passant par le refus des auteurs de donner accès aux données brutes.

Une confiance brisée

Ces données émanent de Surgisphere, qui se présente comme une société d'analyse de données de santé, basée aux Etats-Unis. L'entreprise dirigée par Sapan Desai a assuré que les accords avec les hôpitaux partenaires lui interdisent de partager les données, dont elle a défendu l'intégrité.

Mais vendredi, le Lancet a publié une correction sur des morts attribuées à un hôpital australien qui auraient dû être comptées en Asie. Cela "souligne le besoin de vérification des erreurs dans l'ensemble de la base de données", insistent les scientifiques signataires de la lettre ouverte, réclamant la mise en place par exemple par l'OMS d'un groupe chargé de mener une analyse indépendante des conclusions de l'étude.

Le Dr Mehra a assuré vendredi à l'AFP qu'une "analyse académique indépendante des données" était lancée.

Mais "les résultats, conclusions et interprétations de l'étude restent inchangés", a-t-il assuré, notant toutefois le caractère "intermédiaire" de cette étude observationnelle en attendant les résultats d'essais cliniques "nécessaires pour parvenir à une conclusion" sur l'hydroxychloroquine.

Interrogée vendredi sur cette affaire, l'OMS a noté que la suspension des essais impliquant l'hydroxychloroquine était "temporaire" et que ses experts rendraient leur "opinion finale" après l'examen d'autres éléments (notamment les analyses provisoires de l'essai Solidarity), probablement d'ici à la mi juin.

Des données devraient aussi venir de l'essai britannique Recovery, dont la partie hydroxychloroquine se poursuit. Se basant sur leurs propres données de mortalité, ses responsables estiment qu'il n'existe "pas de raison convaincante de suspendre le recrutement pour des raisons de sécurité".

La lettre ouverte, signée notamment par le Pr Philippe Parola, collaborateur du Pr Raoult, a immédiatement été relayée par ce dernier, citant Winston Churchill.

"Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais c'est peut-être la fin du commencement... De la guerre contre la chloroquine", a-t-il tweeté.

Mais tous les signataires de la lettre ouverte sont loin d'être des défenseurs de l'hydroxychloroquine.

"J'ai des doutes sérieux sur les bénéfices d'un traitement à la chloroquine/hydroxychloroquine contre le COVID-19 et j'ai hâte que cette histoire se termine, mais je crois que l'intégrité de la recherche ne peut pas être invoquée uniquement quand un article ne va pas dans le sens de nos préconceptions", a commenté sur Twitter le Pr François Balloux, de l'University College de Londres.

Aussi, "c'est avec le coeur lourd que j'ai ajouté mon nom à la lettre ouverte".

Signataires ou non, de nombreux scientifiques ont relayé leurs inquiétudes de l'impact de cette affaire sur la science, parfois avec les hashtag #Lancetgate ("scandale Lancet") ou #whats_with_hcq_lancet_paper ("que se passe-t-il avec l'étude du Lancet").

"Si l'article du Lancet est une fraude cela va briser la confiance dans les scientifiques de façon durable", a ainsi commenté vendredi le Pr Gilbert Deray, de la Pitié-Salpêtrière à Paris. "J'attends avec inquiétude les résultats de l'enquête".

"Drames sanitaires"

Le médicament n'est pas officiellement interdit contre le coronavirus car "ce serait revenir sur la liberté de prescription des médecins", a fait valoir Didier Raoult au micro de Sud Radio.

"Moi je considère que si un prescripteur s'affranchit des règles, il prend ses risques", a commenté M. Véran.

Citant le Mediator, le ministre a rappelé que "l'histoire assez récente dans notre pays a montré qu'il pouvait y avoir par moments un certain engouement pour des médicaments (...) et ça a pu conduire à des drames sanitaires".

La délivrance d'hydroxychloroquine était déjà interdite en ville pour traiter la nouvelle maladie, mais son usage habituel contre des maladies auto-immunes, comme le lupus, reste autorisé.

Promu dans plusieurs pays depuis le début de la pandémie, notamment par les présidents américain Donald Trump et brésilien Jair Bolsonaro, le médicament fait partie des nombreux traitements testés depuis le début de l'épidémie de coronavirus, dont aucun ne s'est distingué pour l'heure.

L'Agence du médicament (ANSM), comme elle l'avait annoncé mardi, a suspendu mercredi "par précaution" des essais cliniques évaluant l'hydroxychloroquine chez des malades atteints de Covid-19. Et l'essai européen Discovery a suspendu depuis dimanche l'inclusion de nouveaux patients dans le groupe recevant de l'hydroxycholoroquine.

Les risques liés à l'hydroxychloroquine et l'antibiotique azithromicine étaient connus avant la pandémie: ils font davantage l'objet que les autres médicaments de signalements d'effets indésirables cardiaques (tachycardie, anomalies électriques, troubles de la conduction et insuffisance cardiaque), selon la revue spécialisée Circulation, qui a analysé plus de 50 ans de déclarations d'effets indésirables dans 130 pays.

Le décret paru au JO mercredi met également fin à la prescription hors essais cliniques contre le Covid-19 du médicament associant lopinavir et ritonavir, deux anti-rétroviraux, pointé par l'ANSM pour ses risques cardiaques. En France, le médicament est commercialisé sous le nom Kaletra.