Henri Proglio, le patron du secteur public qui a le plus à perdre

Par Marie-Caroline Lopez  |   |  982  mots
Copyright Reuters
Avec une rémunération divisée par trois, le PDG d'EDF serait le plus touché par la mesure de plafonnement du salaire des patrons de groupes publics qui va être examinée ce mercredi au conseil des ministres. La question a déclenché, en interne chez EDF, un début de polémique sur les rémunérations.

Ce serait, selon les sondages réalisés avant la présidentielle, une des mesures les plus attendues des Français : la limitation de 1 à 20 des écarts de salaires dans les entreprises publiques, détenues à plus de 50% par l'Etat. Promise par le candidat Hollande, elle va être examinée lors du conseil des ministres du 13 juin, avant le deuxième tour des législatives. Parmi les patrons concernés, Henri Proglio, PDG d'EDF, a le plus à perdre. Il devrait voir ses émoluments divisés par 3,3 , tombant de 1,6 million d'euros en 2011, à 484.000 euros, si on prend comme référence basse la moyenne des rémunérations du collège "exécution" chez EDF, qui se situe 33% au dessus du Smic.

Selon Le Figaro, le projet de décret prévoit que cette référence inférieure soit en fait la moyenne du décile le plus bas (la tranche de 10% des salaires les moins élevés) dans la quinzaine de sociétés concernées. Afin d'aligner sur une même rémunération maximale tous les patrons. Ce qui serait curieux pour des entreprises de taille aussi différente que, par exemple, EDF et ses 65 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et Aéroports de Paris qui facture 2,5 milliards d'euros.

Certains patrons refusent d'y croire

Si Henri Proglio devait percevoir entre 350.000 et 500.000 euros, on serait très loin des 2 millions d'euros qu'il gagnait chez Veolia et qu'il a tenté de conserver en arrivant chez EDF. Parmi ses camarades d'infortune : Luc Oursel chez Areva (700.000 euros), Jean-Paul Bailly, patron de La Poste (610.000 euros) et Pierre Graff, PDG d'Aéroports de Paris (736.000 euros) devraient, eux, renoncer à environ la moitié de leurs rémunérations.

Peu de commentaires, à ce jour, des intéressés. A l'exception de Luc Oursel, patron d'Areva, qui a déclaré: "Nous appliquerons les décisions de l'Etat actionnaire", dans une interview aux Echos fin mai, tout en mettant en garde contre le risque de "créer des litiges complexes". De son côté, Henri Proglio laisse son entourage suggérer qu'il se pliera à cette mesure, si "elle est inévitable et appliquées à tous les patrons du public". En réalité, bon nombre des patrons concernés continuent de croire qu'ils vont y échapper. Ils soulèvent notamment la question du champ d'application.

Cette mesure va-t-elle se limiter aux patrons ou s'appliquer à tous les hauts salaires ? Dans le second cas, cela provoquerait un copieux imbroglio juridique avec une dénonciation de dizaines, voire de centaines de contrats de travail, et un risque non négligeable d'indemnités à prévoir. A priori, le gouvernement s'oriente vers une limitation de cette mesure aux seuls mandataires sociaux, en excluant les patrons des filiales étrangères.

Au moins 20 salaires plus élevés que celui de Proglio chez EDF

Si seul le patron voit son salaire plafonné, il pourrait donc, dans certains groupes, ne plus être le mieux payé du groupe. Ce qui pose une autre série de problèmes. C'est déjà le cas chez EDF si l'on en croit Henri Proglio qui a coutume d'affirmer qu'il n'est pas le plus haut salaire de l'entreprise. Sans autre précision. Le bruit court depuis longtemps, mais il est impossible de savoir combien de personnes cela concerne, ni pour quelles fonctions. 20 personnes, selon des propos internes de la direction des ressources humaines du groupe. "Une centaine", selon certains entourages d'Henri Proglio.

Seul indice : le montant global annuel des dix plus gros salaires d'EDF, dont la publication est obligatoire, s'est élevé à 13 millions d'euros en 2011, selon le bilan social du groupe. Pas question d'en conclure que 10 salariés touchent environ 1,3 million d'euros, affirme la direction. « Ce chiffre inclut des packages de départ», ajoute-t-elle. «Dans ce montant global, il y a de très gros salaires [ sous entendus : supérieurs au 1,6 million de Proglio], et d'autres bien inférieurs ». Fin des explications.

Les 10 plus forts salaires ont bondi de 77% depusi 2005

Cette opacité finit par faire grincer des dents en interne. D'autant que ce « Top 10 » des rémunérations a littéralement explosé depuis 2005, année d'introduction en Bourse d'EDF. Il a augmenté de 77% entre 2005 (4,5 millions d'euros) et 2010 (8,2 millions). Et en 2011, il a été presque multiplié par 3 ! « Depuis l'ouverture du capital, certains salaires de dirigeants ont été multipliés par 4, 5 ou 6. Alors que le cours du titre a été plus que divisé par deux ! », s'exclame un cadre. « L'Etat a laissé faire », soupire-t-il.

Pour trouver les plus hauts salaires d'EDF, il faut se tourner vers les filiales étrangères, qui seraient, elles, exclues de la mesure gouvernementale de plafonnement. Ainsi la filiale trading d'EDF, basée en Grande-Bretagne, où le plus haut salaire était de 2,9 millions de livres sterling en 2010 ! Vincent de Rivaz, patron d'ex British Energy, racheté par EDF en 2008, a gagné pour sa part 1,3 million de livres en 2010.

En France, parmi les plus hauts salaires du groupe public, on trouve Thomas Piquemal, ancien banquier d'affaires, recruté par Henri Proglio comme directeur financier chez Veolia puis chez EDF, qui a touché 1,3 million d'euros en 2011. Ou encore David Corchia, lui aussi ancien banquier d'affaires, qui vient de quitter la direction générale d'EDF Energies Nouvelles, après avoir perçu 1,1 million d'euros en 2010.

Des rumeurs de cumuls salaires - retraites

Chez EDF, ce projet de plafonnement du nouveau gouvernement a ouvert une boite de Pandore, voir une boite à fantasmes. Ces derniers jours, les bruits courent et s'amplifient dans les couloirs. Tel membre du Comex, qui s'apprête à prendre sa retraite cet été, à 65 ans, aurait signé un nouveau contrat de consultant avec EDF. Telle dirigeante d'une des plus importantes filiales de la maison cumulerait, depuis 2009, ses droits à la retraite et son salaire. Tel autre membre du Comex viendrait de franchir ce pas. Faux et archi faux ! assène, catégorique, la direction d'EDF. L'exemple de la sobriété, forcée, d'Henri Proglio va peut être ramener le calme dans les esprits.