La Californie se met au vert

Par Guillame Renouard  |   |  2067  mots
Le Golden State est déjà le premier Etat américain en matière de production d'énergie solaire. (Crédits : Reuters)
À rebours de la politique menée par le président américain, la Californie multiplie les mesures pour la préservation de l'environnement. Une sensibilité écologique nourrie de longue date, que les récents incendies ont encore renforcée.

Durant plus de deux semaines, deux incendies gigantesques, le « Camp fire », au nord de l'État, et le « Woolsey fire », au sud, ont ravagé la Californie, avant que les autorités n'annoncent finalement leur mise sous contrôle, le 25 novembre dernier. Avec un bilan provisoire de 14. 000 propriétés détruites et de 85 victimes, le « Camp fire » constitue l'incendie le plus destructeur et le plus meurtrier de l'histoire du Golden State. Si la Californie, avec son climat sec et ses vastes forêts, a toujours été confrontée à des risques d'incendie, les dernières années ont été particulièrement difficiles.

Ainsi, parmi les dix incendies les plus destructeurs de l'histoire de l'État, six ont eu lieu en 2017 et 2018. Pour de nombreux climatologues, l'aggravation de ce phénomène naturel est imputable au réchauffement climatique. Une analyse que partage Jerry Brown, le gouverneur de la Californie. Dans une conférence de presse tenue le 11 novembre dernier, il a ainsi affirmé que le meilleur moyen de réduire le risque d'incendies était de lutter pour la préservation de l'environnement.

Bientôt neutre en carbone ?

Jerry Brown a fait de cette lutte le cheval de bataille de son mandat. Ainsi, en septembre, il a ratifié un arsenal législatif obligeant la Californie à s'approvisionner intégralement en énergies renouvelables et neutres en carbone d'ici à 2045. Pour l'heure, celles-ci satisfont environ 30% des besoins énergétiques californiens. Le Golden State devient ainsi le tout premier État américain à se donner l'objectif d'un approvisionnement énergétique entièrement neutre en carbone. « La Californie est déterminée à faire le nécessaire pour affronter la menace existentielle que pose le changement climatique », a affirmé le gouverneur lors d'une conférence donnée après la signature de la loi. « Quoi qu'en disent les sceptiques, c'est un danger réel et imminent, pour la Californie et le monde. »

Plusieurs hommes politiques américains engagés dans la lutte écologique ont affirmé leur soutien à cette loi, dont Arnold Schwarzenegger, ex-gouverneur de la Californie, et Al Gore, ancien vice-président de Bill Clinton. Si aucune mesure particulière n'est mentionnée pour atteindre cet ambitieux objectif, le gouverneur a évoqué plusieurs pistes possibles, dont la mise en place d'une grille énergétique partagée entre plusieurs États de l'Ouest américain. Il a également souligné la nécessité d'améliorer le stockage d'énergie, un enjeu capital pour le déploiement du solaire et de l'éolien, largement dépendants des conditions climatiques. Le gouverneur a enfin pointé la nécessité d'accroître le nombre de véhicules électriques circulant sur les routes californiennes, le secteur du transport étant le principal émetteur de carbone en Californie, avec 39 % des émissions totales. Et la plupart de ces émissions proviennent des véhicules individuels.

En janvier 2018, le gouverneur avait déjà signé un ordre exécutif engageant la Californie à compter 5 millions de véhicules électriques sur ses routes d'ici 2030, assorti d'une enveloppe de 2,5 milliards de dollars, afin de construire des stations de chargement d'une part, et verser des primes à l'achat pour inciter les consommateurs à acquérir des véhicules électriques d'autre part. La Californie compte actuellement 350.000 voitures électriques sur ses routes, soit bien plus que n'importe quel autre État. Néanmoins, seuls 5% des véhicules vendus actuellement dans le Golden State sont des voitures électriques, et l'essence y demeure plus accessible que dans de nombreux pays. Le pari du gouverneur est donc encore loin d'être gagné.

Plein soleil

Pour réduire son empreinte carbone, le Golden State mise aussi massivement sur les énergies solaires. Ainsi, au printemps dernier, la Californie est devenue le tout premier État américain à rendre obligatoire l'installation de panneaux solaires sur chaque maison construite. Plus précisément, la législation requiert que toute nouvelle habitation soit pourvue d'un système de production d'énergie solaire de deux ou trois kilowatts (chiffre qui varie en fonction de la taille de la propriété). Il peut s'agir d'un système installé sur la maison, ou partagé avec d'autres résidences mitoyennes. Le Golden State est déjà le premier état américain en matière de production d'énergie solaire. Cette dernière satisfait plus de 16% de ses besoins en électricité, et l'industrie emploie 86.000 travailleurs. La Californie comptant en moyenne 80.000 résidences construites chaque année, la nouvelle loi devrait contribuer à améliorer ces chiffres.

L'État abrite également Solar Star, la plus grande centrale photovoltaïque des États-Unis, qui rassemble pas moins d'1,7 million de panneaux solaires répartis sur 13 km² de surface. Elle produit suffisamment d'énergie pour alimenter environ 255.000 foyers, et fournit à l'État 17% de ses besoins énergétiques. La Californie compte également d'autres fermes photovoltaïques de tailles plus modestes, mais non négligeables, comme Desert Sunlight et Topaz Solar. En mars dernier, une journée particulièrement ensoleillée a permis à la Californie de satisfaire 50 % de ses besoins en énergie grâce au solaire, un seuil jamais atteint auparavant.

Le Golden State a également de longue date misé sur le développement de son parc éolien, qui satisfait aujourd'hui environ 7 % de ses besoins en électricité. L'Association américaine de l'énergie éolienne (AWEA) classe l'État au second rang du pays pour son nombre de turbines et au quatrième pour sa capacité de production. Situé dans le désert de Mojave, en Californie du Sud, le parc éolien Alta Wind est le plus grand du pays et le troisième à l'échelle mondiale. L'État a également investi dans un ambitieux projet éolien offshore. Baptisé Trident Winds et situé au large de Morro Bay, dans le comté de San Luis Obispo, celui-ci vise à installer des turbines flottantes dans l'océan, ancrées aux fonds marins à l'aide de câbles. Il devrait être opérationnel en 2025.

Le Golden State peut enfin compter sur d'autres sources d'énergie naturelles liées aux spécificités de sa géologie. Ainsi, les sols de Californie du Nord sont particulièrement riches en sources d'eau chaude, et une vingtaine de centrales convertissent l'énergie dégagée par les geysers en électricité, générant ainsi 20% de l'énergie verte californienne. Comme mentionné plus haut, toutes ces sources d'énergie naturelles sont toutefois largement dépendantes des conditions climatiques. Il est donc capital d'améliorer les méthodes de stockage, pour générer des surplus d'énergie en période d'ensoleillement ou de grand vent, et puiser dans ces réserves lorsque les conditions sont moins favorables. Début 2017, Tesla, l'entreprise de véhicules électriques d'Elon Musk, en partenariat avec Southern California Edison, fournisseur d'électricité californien, a dans cette optique inauguré une gigantesque station de stockage à proximité de Los Angeles. Elle peut emmagasiner suffisamment d'énergie pour alimenter 2.500 foyers durant une journée entière.

Du plastique à base de C02

Ce projet mené à bien par Tesla illustre un autre atout dont peut se prémunir la Californie dans sa lutte pour le climat : un écosystème de startups innovantes et dynamiques sans équivalent dans le monde, où la sensibilité écologique est de plus en plus prononcée. La Silicon Valley abrite ainsi bon nombre de jeunes pousses mettant les nouvelles technologies au service de la protection de l'environnement. Citons notamment Soliculture, qui propose des serres équipées en panneaux photovoltaïques, Climate Corporation, qui emploie le traitement des masses de données pour rendre l'agriculture plus efficace et écologique, ou encore Good Eggs, qui approvisionne les habitants de la région de San Francisco en produits frais émanant d'agriculteurs locaux et respectueux de l'environnement.

Les géants du numérique issus de la Silicon Valley prennent eux aussi d'importants engagements écologiques. Ainsi, Google et Apple s'approvisionnent uniquement en énergies renouvelables, un objectif que Facebook compte atteindre en 2020. En 2015, Google a investi 300 millions de dollars dans un projet de panneaux solaires résidentiels conduit par SolarCity, succursale de Tesla spécialisée dans l'énergie photovoltaïque. Et lorsqu'en 2017, Donald Trump a signé un ordre exécutif supprimant plusieurs politiques environnementales mises en place par Barack Obama, dont le Clean Power Plan, qui prévoyait une réduction des émissions carbone, Google, Facebook, Amazon et Microsoft ont affirmé dans une déclaration commune qu'elles continueraient pour leur part à réduire leurs émissions.

L'autre grand pôle économique californien, Los Angeles, n'est pas en reste. On y trouve l'incubateur CleanTech, lancé en 2011 par la municipalité et focalisé sur les startups oeuvrant pour l'environnement. L'incubateur est également à l'origine d'Energize California, une initiative régionale qui vise à faire travailler de concert institutions politiques, universités et entreprises pour accélérer le déploiement des énergies propres et faciliter l'innovation dans ce domaine.

Stimuler l'innovation, telle est également la vision du NRG Cosia Carbon Xprize, basé à Culver City, près de Los Angeles. Démarrée en 2015, cette compétition de startups s'étale sur quatre ans et demi. Les participants sont invités à concevoir une technologie capable de recycler les émissions carbone en une ressource utile. « Nous avons choisi le recyclage du carbone car cette technologie nous semblait receler un immense potentiel qui n'était pas suffisamment exploité. Nous étions convaincus qu'en instaurant une compétition, nous pourrions avoir un impact significatif sur le secteur », explique Marcius Extavour, senior director du projet. Dix finalistes ont pour l'heure été sélectionnés, parmi lesquels CarbonCure, qui utilise le CO2 pour fabriquer du béton, et Newlight, qui convertit le carbone en plastique biodégradable.

La Californie contre Trump

L'investissement de la Californie dans la lutte climatique ne date pas d'hier. Le Golden State s'est engagé dans la lutte dès 1967 avec la création du California Air Resource Board, conçu pour lutter contre la pollution de l'air, notamment en contrôlant les émissions des véhicules. Onze ans plus tard, un code de construction (le « Building Energy Efficiency Standards ») est mis en place pour réduire les dépenses énergétiques de l'industrie du bâtiment. Ces deux initiatives inspirent des politiques similaires à l'échelle fédérale quelques années plus tard. En 2007, le gouverneur de l'époque, Arnold Schwarzenegger, met en place le Low Carbon Fuel Standard, avec pour ambition de réduire les émissions de gaz à effet de serre des carburants (essence et diesel) vendus en Californie. Depuis l'entrée en application de la loi, leur intensité carbone a décru de 5%, soit 38 millions de tonnes de carbone qui n'ont pas été émises. En tant que gouverneur, Schwarzenegger a également misé sur l'énergie solaire, notamment à travers la California Solar Initiative, lancée en 2005, avec l'objectif (atteint depuis) d'équiper un million de foyers de panneaux photovoltaïques avant 2018. Le projet a largement contribué à dynamiser l'industrie solaire californienne.

Le mépris affiché de l'administration Trump pour la préservation de l'environnement semble avoir encore accru la détermination de la Californie, qui défie ouvertement le gouvernement fédéral sur cette question. Ainsi, immédiatement après que le président américain a annoncé le retrait de son pays des accords de Paris, Jerry Brown a affirmé que la Californie comptait de son côté continuer de respecter ses engagements. Dans la foulée, le Golden State a signé un accord bilatéral avec la Chine, dans lequel les deux partenaires s'engagent à réduire leurs émissions de CO2, à investir dans les sources d'énergie non fossile et les technologies susceptibles d'oeuvrer à la préservation de l'environnement. En août 2018, lorsque l'administration Trump a annoncé vouloir supprimer certaines régulations mises en place par Barack Obama sur les émissions des véhicules, la Californie a renforcé ses propres régulations.

Le Golden State, cinquième PIB mondial, compte bien peser de tout son poids économique pour promouvoir une économie verte. Symbole de cette ambition, la ville de San Francisco accueillait en septembre dernier le Global Climate Action Summit. À l'initiative du gouverneur Jerry Browne, il rassemblait hommes politiques, industriels, entrepreneurs et scientifiques du monde entier pour échanger autour de la protection de l'environnement. À l'issue de l'événement, diverses organisations ont lancé un fonds de 4 milliards de dollars pour la protection de la planète. Le gouverneur a, de son côté, annoncé que la Californie comptait mettre en orbite son propre satellite, en partenariat avec la startup aérospatiale Planet, afin de repérer les émissions de gaz à effet de serre avec une grande précision depuis les étoiles.