Veolia : la justice sanctionne la réduction du débit d'eau pour factures impayées

Par latribune.fr  |   |  804  mots
Le PDG de Veolia, Antoine Frérot, est à la tête d'une entreprise qui distribue de l'eau à quelque 26 millions de Français.
Le tribunal d'instance de Puteaux (Hauts-de-Seine) a condamné le groupe de gestion des services de l'eau à 5.500 euros d'amende et l'a enjoint, par un référé daté du 15 janvier dernier à rétablir un débit d'eau normal à la plaignante. Le juge a estimé que la réduction du débit à 15 litres par heure équivalait à une interruption du service.

Les distributeurs d'eau vont-ils bientôt devoir déployer de nouvelles stratégies pour lutter contre les factures impayées? Après que le Conseil constitutionnel a validé en mai 2015, l'interdiction de la pratique des coupures d'eau, c'est la réduction à un faible débit - alternative déployée par les distributeurs - qui se trouve désormais dans le viseur de la justice. La preuve avecVeolia qui vient d'être condamné en première instance ce lundi, pour avoir délibérément réduit le débit de l'approvisionnement en eau dans le logement d'une mère et de son fils, un foyer qui cumulait un impayé à hauteur de 400 euros.

Selon l'ordonnance de référé publiée sur le site de la fondation France Libertés, partie civile dans ce dossier, le tribunal d'instance de Puteaux (Hauts-de-seine) a condamné le groupe de gestion des services d'eau à 5.500 euros d'amende et à rétablir un débit d'eau normal, selon l'ordonnance de référé datée du 15 janvier publiée sur le site de la fondation.

Vivre avec 15 litres d'eau par heure

Veolia avait reconnu, via sa filiale locale Compagnie des eaux et de l'ozone (CEO), avoir réduit le débit d'eau depuis le 11 mai 2015 dans le logement de cette femme situé dans la commune de Toulon (Var) pour des factures impayées d'un montant d'un peu plus de 400 euros. La réduction du débit s'opère en installant une "lentille" sur la canalisation d'eau.

La CEO a justifié cette mesure par le fait que "seule l'interruption de la fourniture d'eau était interdite et non la réduction de son débit", "la lentille installée permettant un débit de l'ordre de 15 litres par heure, ne contrevenant pas à la notion de logement décent puisque maintenant un accès sanitaire à l'eau potable". Si une résolution de l'ONU du 28 juillet 2010 reconnaît en effet l'accès à une eau de qualité comme un droit humain, c'est l'exigence d'un logement décent invoqué par la plaignante (article L115-3 du Code de l'action sociale et des familles) qui a retenu l'attention du juge.

Répartition de l'usage de l'eau par foyer - Centre d'information sur l'eau ©

Selon le Centre d'information sur l'eau, qui y consacrait un article sur son site en juillet dernier, chaque Français utilise en moyenne 148 litres d'eau par jour dans sa vie quotidienne, contre 165 litres par jour en 2004, soit une diminution de plus de 2% par an. D'après les calculs du Centre, un mince filet d'eau en continu consomme 16 litres d'eau par heure. Quant à la consommation pour une douche, elle oscille en moyenne entre 60 et 80 litres. Pour une lessive, il faut compter approximativement 35 à 60 litres d'eau.

Une douche, c'est 60 à 80 litres; une lessive, 35 à 60 litres

Utilisations moyennes des différents points d'eau du foyer - Centre d'information sur l'eau ©

Réduire le débit à 15 litres/heure équivaut à une coupure, selon l'huissier

D'après l'ordonnance de référé, Veolia a aussi tenté de se justifier en dénonçant la "mauvaise foi" de sa cliente, "la réduction de débit étant intervenue après plusieurs relances sans que cette dernière ne justifie de démarches aux fins d'obtenir une aide financière". Mais pour le juge, après les constatations réalisées par un huissier dans le logement, "la mise en place d'un débit réduit par le biais de la pose de cette lentille aboutit aux mêmes conséquences qu'une coupure d'alimentation", entrant donc en contradiction avec l'exigence d'un logement décent qui implique une pression suffisante pour l'utilisation normale de l'eau par ses locataires. Par ailleurs, Veolia et sa filiale "ne rapportent la preuve d'aucune attitude déloyale caractérisée" de leur abonnée, qui confirmerait la mauvaise foi invoquée. Enfin, le juge note que Veolia et CEO "ont choisi de recourir à une réduction de service pour obtenir le recouvrement de leur créance plutôt que toute autre voie légale de recouvrement".

Un "renforcement de la jurisprudence" sur le droit à l'eau?

Mi-janvier, un concurrent de Veolia, Saur, avait également été condamné pour la même raison en Haute-Vienne. Le groupe a fait appel du jugement. Ce deuxième jugement est "très net" et "renforce la jurisprudence" sur le droit à l'eau, a réagi auprès de l'AFP Emmanuel Poilane, directeur de France Libertés. Selon lui, depuis la confirmation par le conseil constitutionnel l'an dernier de l'interdiction des coupures, les groupes de l'eau ont "basculé de la coupure vers la réduction de débit" pour récupérer les impayés.

"C'est aussi aux élus des collectivités de mettre à jour, par rapport à la loi, les règlements des services d'eau et de retirer toute mention de coupure et de réduction de débit", ajoute-t-il.