L'exil fiscal des films français

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  563  mots
Asterix 4 / DR
Plus les films français sont chers, plus ils sont délocalisés. Le Marsupilami et Astérix 4 l'ont été pratiquement entièrement, la plupart des films de plus de 10 millions d'euros de budget aussi. Une seule raison : la course aux meilleures exonérations fiscales.

Pendant l'autocélébration, les délocalisations continuent. Les « professionnels de la profession » vont louer sur la Croisette Alain Resnais, Jacques Audiard et Leos Carax, les réalisateurs des films français de la sélection officielle. Trois films produits (presque) entièrement en France. Et cela devient très rare. Car les « professionnels de la profession » ont aussi en tête les chiffres de la Fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia : 42 % de la production française ont été délocalisés au premier trimestre 2012. Record absolu. Pis : le taux de délocalisation des films de plus de 10 millions d'euros atteint, lui, 67 % !

76% de la production française délocalisée

On peut donc, en 2012, battre les délocalisations massives de 2010. Avec des films comme Sur la piste du Marsupilami (40 millions), Largo Winch 2 (30 millions), Colombiana (50 millions) et Or noir (50 millions), c'est 76 % de la production française qui ont été délocalisés. Les films avec un budget entre 10 et 20 millions n'ont pas été non plus d'humeur particulièrement cocardière cette année-là : délocalisés à 67 % ! Que reste-t-il en France ? Pas grand-chose en ce qui concerne les grosses productions. Astérix et Obélix au service de Sa Majesté (60 millions) a été pratiquement totalement délocalisé. Seule la post-production est restée en France. Mais l'Irlande, Malte et la Hongrie ont accueilli les tournages, comme l'Espagne ou le Maroc l'avaient fait pour les Asterix précédents.

Les raisons de l'exode sont bien évidemment fiscales. Les Belges sont devenus en dix ans les rois du dumping fiscal cinématographique, avec leur tax shelter. Les producteurs français s'installent massivement en Belgique pour bénéficier de la manne. Le tax shelter permet à toute entreprise de bénéficier d'une exonération fiscale de 150 % du montant investi dans une production audiovisuelle ! Plus alléchant, c'est difficile. Les particuliers placent leur épargne avec un rapport de 9 à 10 % et les producteurs, quel que soit le budget du film, en économisent entre 30 et 40 %. C'est avec ce système-là que les Canadiens attirent depuis des années les productions hollywoodiennes à Toronto et au Québec. Mais les Belges ont de solides rivaux avec les Hongrois. Budapest accueille les tournages de toutes langues et de tous pays et les producteurs obtiennent des financements et des exonérations pour tous les postes de la production : du salaire de la silhouette à celui du producteur, des transports aux notes de frais, des assurances à la postproduction, tout est éligible aux aides hongroises, rien n'est plafonné.

Les paradis fiscaux d'Astérix 4

Les légions romaines d'Astérix coûtent donc beaucoup moins cher à Budapest qu'en Seine-et-Marne. Astérix 4 est d'ailleurs le meilleur tour-opérateur des paradis fiscaux du cinéma puisqu'il a également été tourné en Irlande et à Malte. Les irlandais sont certainement les plus souples en matière fiscale : non seulement le crédit d'impôts y est supérieur à celui de la France, mais la déductibilité pour les personnes physiques est de 100 %, du figurant au producteur. On comprend mieux pourquoi trois équipes tournaient en même temps trois scènes différentes d'Astérix 4 en Irlande. Le seul problème du système irlandais est sa complexité : il faut un petit génie de la fiscalité pour bénéficier de toutes ses ressources. Mais s'il est irlandais, le petit génie est défiscalisé !