Aérien, ferroviaire, une sûreté à deux vitesses

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  798  mots
Faut-il alors appliquer les mesures de sûreté en vigueur dans l'aviation au transport ferroviaire ? Certains députés le demandent.
Pour le gouvernement et la SNCF, transposer au secteur ferroviaire, les règles de sûreté en vigueur dans le transport aérien est impossible. Des fouilles de bagages inopinées et des appels à la vigilance vont se multiplier.

L'attaque déjouée d'un homme armé à bord d'un Thalys a mis en lumière ce que tous les professionnels du transport aérien pointaient du doigt depuis des années : l'énorme vulnérabilité du train aux attaques terroristes en raison notamment de l'absence de postes d'inspection filtrage (PIF) avec détecteurs de métaux et de traces d'explosifs qui permettent d'éviter qu'on puisse entrer armé jusqu'aux dents dans un avion comme dans un moulin, comme ce fut le cas vendredi dernier entre Amsterdam et Paris. Une vulnérabilité qui pose question à l'heure où la France est une cible prioritaire des terroristes.

Faut-il alors appliquer les mesures de sûreté en vigueur dans l'aviation au transport ferroviaire ? Certains députés le demandent.

Irréaliste

Au regard des énormes flux de voyageurs, du nombre de gares et de leur conception mais aussi de l'étendue du réseau ferré, l'affaire est compliquée. Pour le président du directoire de la SNCF Guillaume Pepy, c'est même "irréaliste".

Il faudrait en effet non seulement un grand nombre de postes d'inspection filtrage sur les quais pour contrôler les passagers et leurs bagages, le personnel, le catering..., bref une organisation colossale, contraignante et coûteuse.

« Il y a 2 milliards d'utilisateurs du train chaque année, contre 140 millions de passagers aériens. Les solutions ne peuvent évidemment pas être transposées » ou « cela prendrait des années », a déclaré de son côté Alain Vidalies, le secrétaire d'Etat aux transports. "Cela peut se faire d'une manière précise, ponctuelle, éventuellement sur certains trains, ce que font par exemple les Espagnols, mais il n'y a aucun pays en Europe qui (ait) le même système transposé de l'aérien vers le ferroviaire", a-t-il ajouté.

Certes, mais comment expliquer au grand public le maintien d'un tel écart entre les niveaux de sûreté des deux modes de transport? La menace est-elle moindre dans les trains? Évidemment non.

Fouilles

Alain Vidalies préconise « des fouilles aléatoires »  au risque « d'être discriminatoires » et appelle à la vigilance des passagers avec des annonces en gare et un numéro national de signalement des situations anormales à partir du 1er septembre.

Ces fouilles vont donc se multiplier. Cela "veut dire qu'il y a des personnels spécialisés qui peuvent venir, dire « Monsieur, vous ouvrez votre sac », et, s'il y a un doute, « vous ne pouvez pas monter dans le train ». Ce sont ces mesures-là qui sont aujourd'hui les plus efficaces", a indiqué Guillaume Pepy sur BFM TV, en précisant que cette mesure "existe déjà, nous allons la renforcer avec la SNCF".

Pas besoin néanmoins d'être un grand expert pour dire que ces mesures sont insuffisantes. Et que la vulnérabilité du transport ferroviaire restera forte.

Pour la SNCF, l'enjeu de la sûreté est énorme. C'est tout son modèle économique qui est menacé. Dans l'Express, Bertrand Monnet, professeur titulaire de la Chaire Management des risques criminels à l'Edhec, "la SNCF doit revoir intégralement son dispositif de sécurité et son offre. Ce n'est pas une question sécuritaire mais une question stratégique, car c'est un défi économique".

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[Encadré]

Quand la SNCF se moquait des files d'attente dans les aéroports

L'histoire remonte à mars 2004. Quand, dans une campagne de publicité radiophonique, la SNCF mettait en avant les atouts du TGV en dénigrant le transport aérien avec le slogan «Tout autre choix que le train ne serait pas très professionnel ». Parmi les griefs, les temps d'attente dans les aéroports que n'avaient pas à supporter les clients de la SNCF. L'argument commercial avait fait bondir les professionnels du transport aérien. Notamment le directeur commercial de l'époque de l'aéroport de Marseille, Philippe Wilmart:

«Aujourd'hui, avec les bornes libres-services, les seuls temps d'attente au sol résultent des contrôles de sûreté. C'est doublement difficile à digérer car, d'une part, la SNCF n'a pas les mêmes contraintes que nous, sauf pour l'Eurostar, et, d'autre part, ces mesures de sûreté se traduisent par des taxes pour le passager qui sont rajoutées au prix du billet, soit près de 20 euros pour un aller-retour. Alors que les coûts de sûreté sont supportés par le client dans l'aérien, il n'y a pas les mêmes mesures pour le train, et lorsqu'il en y a, elles sont financées par l'Etat et les contribuables", déclarait-il dans le Quotidien du Tourisme, le 18 mars 2003.

Air France avait vu rouge également. Son ancien PDG, Jean-Cyril Spinetta, avait téléphoné à son homologue à la SNCF Louis Gallois pour manifester son mécontentement. La compagnie aérienne avait déposé plainte. La justice lui avait donné raison en 2007.