Air France  : comment sortir des grèves à répétition ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1070  mots
La direction prévoit de présenter, en juillet, un nouveau plan stratégique dont certains volets structurels, comme l'extension du périmètre de Transavia France au-delà de la limite actuelle de 40 avions, nécessitent un accord avec le Syndicat national des pilotes. (Crédits : Charles Platiau)
Après une quatrième journée de grève, hier, direction et syndicats d'Air France se remettent autour de la table. Une réunion sur l'épineuse question des hausses des grilles de salaires est prévue ce mercredi entre la direction et l'intersyndicale. Elle sera suivie, jeudi, par une rencontre entre la direction et les seuls pilotes.

Après une quatrième journée de grève mardi 3 avril, direction et syndicats d'Air France se remettent autour de la table. Une réunion sur l'épineuse question des hausses des grilles de salaires est prévue ce mercredi entre la direction et l'intersyndicale. Elle sera suivie, jeudi, par une rencontre entre la direction et les seuls pilotes pour aborder les questions spécifiques à cette partie du personnel.

Pour rappel, une dizaine de syndicats représentant les différentes catégories de personnel de l'entreprise demandent une hausse des grilles salariales de 6%. Les pilotes demandent quant à eux une augmentation de 4,7% supplémentaire.

La direction sous pression

La direction se présente à ces réunions avec une épée de Damoclès sur la tête. Les syndicats ont, en effet, appelé à débrayer ce samedi 7 avril, mais aussi les 10 et 11 avril. À coup de 25 millions d'euros la journée de grève, la note commence à devenir très salée. Elle l'est d'autant avec l'impact qu'a forcément ce mouvement sur les prises de réservations des prochaines semaines et notamment pour la lucrative période estivale.

La direction marche par ailleurs sur des œufs sur une autre problématique. Elle prévoit, en effet, de présenter en juillet un nouveau plan stratégique dont certains volets structurels, comme l'extension du périmètre de Transavia France au-delà de la limite actuelle de 40 avions, nécessitent un accord avec le SNPL, le Syndicat national des pilotes. Difficile dans ces conditions de se mettre à dos les pilotes trop longtemps, sauf à décaler le plan.

Peu de marges de manœuvre

Le dossier est extrêmement complexe dans la mesure où les positions de départ de la direction et des syndicats ne laissent pas beaucoup de marges de manœuvre. Pour rappel, la direction a signé en février avec la CFDT et la CFE-CGC un accord de hausse générale des salaires de 1% (en deux temps, deux fois 0,5%), assortie d'une enveloppe d'augmentations individuelles pour le personnel au sol équivalent à 1,5% de hausse (les augmentations individuelles des navigants sont régies par des accords spécifiques). Trop peu pour les autres syndicats qui goûtent mal de se voir proposer une hausse inférieure à celle de l'inflation, quand la compagnie a affiché en 2017 sa meilleure situation financière avec un résultat d'exploitation de 588 millions d'euros.

Réunies en intersyndicale, une dizaine d'autres organisations syndicales représentant plus de 50% des voix aux élections se sont opposées à cet accord et demandent une hausse générale de 6%, équivalant à 240 millions d'euros (hors intéressement déjà acquis de 60 millions d'euros), au motif que les grilles salariales ont été gelées depuis 2011. La direction refuse, en rappelant qu'elle ne peut redistribuer plus de la moitié de son bénéfice d'exploitation, alors que l'environnement est plus difficile cette année et que ses résultats restent largement inférieurs à ceux de ses concurrents.

La direction rappelle aussi que le poids de l'intéressement est conséquent et que la masse salariale a augmenté depuis 2012 du fait du GVT (glissement vieillesse technicité), des promotions....avec près de 90% des salariés qui ont vu leur pouvoir d'achat progresser au cours de cette période. La compagnie a d'ailleurs proposé d'augmenter les rémunérations de tous ceux dont le pouvoir d'achat aurait diminué depuis 2011. Une tentative balayée par l'intersyndicale qui y voit une volonté de la direction de briser l'intersyndicale.

Quels points de sortie ?

Les portes de sortie sont, par conséquent, étroites. Pour les pilotes, « le point de déblocage passe par les grilles salariales », selon l'un d'eux. Certains au sein du syndicat prônent un geste de la direction sur les salaires avant d'ouvrir les négociations bilatérales.

« En accordant une hausse des grilles salariales couvrant l'inflation, c'est-à-dire autour de 2%, la base de la plupart des syndicats suivrait », assure l'un d'eux.

Problème : un tel schéma désavouerait la CFDT et la CFE-CGC qui avaient signé l'accord salarial avec la direction. Mais aussi l'intersyndicale qui revendique une hausse de 6%.

Un accord "gagnant-gagnant"

À voir si la direction se lance dans cette voie. Après être restée ferme jusqu'ici sur sa hausse de 1%, elle a proposé d'ouvrir des négociations bilatérales avec les syndicats de pilotes pour aboutir à un « accord gagnant-gagnant ». Pour certains, cet accord pourrait prévoir une hausse de rémunération pluriannuelle pour les pilotes avec des contreparties permettant à l'entreprise de faire des économies, que ce soit des mesures sur l'entrée de l'A350 dans la flotte, sur le protocole instructeur du B787 ou encore l'extension du périmètre de Transavia, dont la flotte maximale est aujourd'hui fixée à 40 avions par un accord signé par la direction et celle du SNPL.

Certains proches de la direction imaginent même une garantie des pilotes de ne pas faire grève pendant la durée de l'accord. Pour faire passer la pilule aux personnels au sol et les hôtesses et stewards, les partisans d'un tel accord mettent en avant la hausse du niveau de l'intéressement dont ces derniers pourraient bénéficier du fait de l'amélioration de la performance économique liée à ces mesures. Pas sûr néanmoins que les syndicats des personnels concernés le voient ainsi. Et pas sûr non plus que les pilotes le voient comme cela également.

« Il faut séquencer les négociations et apporter une réponse à la demande de hausse salariale de tous les salariés, sans pour autant aller jusqu'à une augmentation de 6% », explique un pilote modéré.

Pourrissement de la situation

D'autres craignent un pourrissement de la situation avec une direction qui resterait campée sur ses positions, en misant sur un affaiblissement du taux de participation de la grève, autour de 30% mardi pour les pilotes selon la direction, 20% pour les personnels navigants commerciaux et 15% pour les personnels au sol.

Pour autant, si la contrainte financière peut dissuader les personnels au sol et les hôtesses et stewards de continuer la grève très longtemps, elle n'aura pas d'effet sur les pilotes qui ont des rémunérations beaucoup plus importantes. Au contraire, selon un commandant de bord pourtant hostile à la direction du SNPL, un tel scénario pourrait encourager des pilotes, jusqu'ici non-grévistes pour ne pas faire cause commune avec la CGT, à rejoindre le mouvement.