Air France peut-elle vraiment faire du low-cost long-courrier ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1878  mots
Face à l'émergence des low-cost long-courrier en Europe, Air France travaille sur une réponse. Lancer un tel concept est l'une des hypothèses. Mais si le marché semble exister pour de telles opérations, Air France a-t-elle les moyens et la volonté de se lancer dans une telle aventure? Décryptage.

Face au développement du low-cost long-courrier en Europe avec la montée en puissance de la compagnie à bas coûts Norwegian, de celle d'Eurowings, la filiale low-cost de Lufthansa, et de l'arrivée de la française French Blue dans le ciel français, Air France-KLM et Air France s'interrogent sur la meilleure réponse à apporter à ce nouveau type de concurrence.

« Nous travaillons sur l'ensemble des hypothèses pour répondre à ce défi », indiquait le 21 septembre dernier au salon du tourisme IFTM Top Résa, Jean-Marc Janaillac, le nouveau PDG d'Air France-KLM. La réponse sera présentée le 2 novembre prochain au conseil d'administration du groupe.

Le mot "low-cost" irrite

Parmi les hypothèses figure évidemment le lancement d'une activité low-cost long-courrier. Une hypothèse qui anime les débats en interne à Air France mais aussi dans toute la communauté du transport aérien français. Avec cette question lancinante. Air France peut-elle vraiment faire du low-cost long-courrier ? Peut-elle vraiment se lancer dans une aventure à laquelle sa direction, il y a encore peu de temps, ne croyait pas ? Peut-elle vraiment mettre en place un concept qui est à l'opposé de son ADN, de son système de pensée et de son fonctionnement, et dont la seule évocation du mot "low-cost" irrite la plupart des syndicats ?

Manque d'agilité

Beaucoup en doutent. Rien, ou presque, dans l'histoire récente de la compagnie, ne laisse penser qu'Air France a les moyens et la volonté de mettre en place un tel projet. La compagnie a en effet rarement brillé par sa capacité à décider vite et, quand elle le fit, à exécuter rapidement les décisions comme le font avec agilité les low-cost.

On l'a surtout vu dans la stratégie court et moyen-courrier menée depuis une quinzaine d'années en réponse au phénomène low-cost.

Ce fut le cas, au début dans les années 2002-2003, quand la compagnie a étudié en catimini, sans passer à l'acte, le lancement d'une filiale low-cost basée à Londres-Luton, le fief d'Easyjet. Ce fut le cas également en 2008/2009 quand il a fallu décider en interne à Air France-KLM et Air France de tenter de prendre une participation conséquente dans le capital d'Easyjet. Ce fut le cas encore dans le dossier des bases de province où 18 mois se sont écoulés entre le début de la réflexion et la mise en place de la totalité du dispositif au printemps 2012, laissant le soin à Easyjet et Vueling de préparer leur riposte.

Ce fut enfin le cas dans le dossier Transavia France, lancée en 2007 dans un concept plus charter que low-cost avec pour vocation principale d'utiliser de manière défensive les créneaux d'Air France à Orly pour faire barrage aux low-cost. Dix ans après sa création, Transavia France ne compte qu'une grosse vingtaine d'avions, soit près de deux fois moins d'appareils que n'en recevra Ryanair en une seule année, en 2017 !

Le poids de l'héritage d'une compagnie encore publique il y a peu

Si, d'une manière générale, le manque d'agilité d'Air France peut s'expliquer par une multitude de raisons (technostructure, strates hiérarchiques trop nombreuses, relations difficiles entre Air France et KLM, entre la direction et des syndicats qui n'ont pas tous toujours compris l'évolution de l'environnement concurrentiel, poids de l'héritage dans certains comportements individuels de la direction, des syndicats et des salariés d'une compagnie encore publique il y a encore une douzaine d'année et dans laquelle l'Etat français, principal actionnaire, reste encore omniprésent, voire omnipotent....), celle concernant la riposte aux low-cost moyen-courriers s'explique essentiellement par la volonté de ne pas mettre le feu à la maison sur le plan social.

« Nous n'avons pas traité certains sujets au seul motif qu'ils étaient sensibles », admet un syndicaliste.

L'occasion d'être parmi les pionniers

Pour certains partisans du dossier low-cost long-courrier, « Air France, qui a raté le virage du low-cost moyen-courrier, a l'occasion rêvée d'être aujourd'hui parmi les pionniers ». Pour autant, la tâche est extrêmement compliquée, voire impossible. Car la plupart des ingrédients qui ont poussé Air France à rater le virage du low-cost court et moyen-courrier sont toujours aussi vivaces dans la compagnie. Pis, le contexte social est sans commune mesure plus difficile qu'à l'époque. Il est explosif, avec une grande partie des syndicats en conflit avec la direction, hostiles à faire de nouveaux efforts et qui rêvent encore à un plan de croissance d'envergure à Air France.

Plusieurs hypothèses

Les différents schémas possibles d'activité long-courrier low-cost auront du mal à les apaiser. Sauf s'ils ne répondent pas aux critères de la direction.
 
Quels sont-ils ? Sur le papier, il n'y en a pas pléthore. La première serait d'étendre Transavia au long-courrier comme l'a fait Lufthansa avec Eurowings. Néanmoins, personne, à part peut-être les pilotes, n'a envie de reproduire sur le long-courrier le détachement des personnels d'Air France vers Transavia comme cela a été fait pour les pilotes sur le moyen-courrier. Pour de nombreux experts, la présence des pilotes d'Air France "pollue" aujourd'hui le système Transavia.

« Il faut éviter de tels transferts, car vous transférez en même temps des comportements », explique un professionnel du secteur.

L'achat d'une compagnie constitue une deuxième possibilité. En début d'année, quelques dirigeants d'Air France ont brièvement étudié le dossier XL Airways. Dirigée par Laurent Magnin, cette compagnie dispose d'une structure et d'accords collectifs compatibles avec une activité long-courrier à bas prix. Néanmoins, le dossier a été vite refermé. Un tel schéma constituerait une déclaration de guerre au SNPL, même s'il pourrait permettre à des copilotes de passer commandant de bord dans cette compagnie. Combiner les listes des séniorités des deux compagnies serait un casse-tête sans nom.

Un mille-feuille d'accords d'entreprise

Autre possibilité, créer une nouvelle compagnie au sein du groupe Air France. Partir d'une feuille blanche comme l'a fait le groupe Dubreuil avec French Blue constitue, a priori, le meilleur gage de réussite. Cela permet notamment de mettre en place des process très simples grâce à l'intégration dans les fondations de la compagnie des nouvelles technologies, et sur le plan social, de débuter une activité sans l'historique d'un mille-feuille d'accords d'entreprise en vigueur à Air France. Une solution efficace à condition de ne pas dupliquer peu ou prou les conditions de travail et de rémunération en vigueur à Air France. Et de laisser une grande autonomie à cette compagnie.

Certains observateurs affirment que le management et le capital doivent être indépendants d'Air France. D'où les recommandations de nombreux experts de rattacher une éventuelle compagnie long-courrier, non pas à Air France, mais à Air France-KLM (comme certains le rêvent pour Transavia et HOP). Peu probable que le SNPL accepte.

Tout dépendra de l'attitude du SNPL Air France

Dans tous les cas, la direction ne devra pas pousser le bouchon trop loin.

« Si la marche est trop haute en termes de productivité ou de rémunération, le SNPL sera vent debout contre un projet qui ferait courir un risque trop important de canibalisation de l'activité d'Air France par cette low-cost », fait valoir un syndicaliste.

Le sort du low-cost long-courrier à Air France sera donc lié au bon vouloir des pilotes.

« Si le SNPL Air France estime que les conditions sont inacceptables, le dossier du low-cost long-courrier est plié », assure un pilote.

Comme pour le dossier Transavia, les pilotes vont demander un contrat Air France dans une éventuelle low-cost. De leur côté, les syndicats des autres catégories de personnels suivront de très près les discussions entre pilotes et la direction.

« Il ne faut pas qu'un éventuel passage au low-cost soit low-cost pour tout le monde, sauf pour les pilotes », explique un syndicaliste.

Y-a-t-il un marché ?

S'il y a un doute sur les capacités d'Air France à lancer une offre low-cost long-courrier, il y a en a beaucoup moins sur la nécessité, pour la compagnie, de disposer d'une arme pour s'adresser à une demande de prix plus bas sur le long-courrier. Certes, les retours d'expérience sont encore trop limités pour valider la pertinence économique du modèle low-cost long-courrier. Mais, certaines tendances -au-delà de la demande de bas tarifs- semblent se dégager. Notamment celle de vendre les billets par aller-simple, ou de déduire du prix du billet le coût de certaines prestations (repas à bord, enregistrement de bagages en soute) tout en proposant une multitude d'options payantes à bord. Cette volonté de payer pour ce que l'on consomme semble en effet attirer toujours plus d'adeptes.

Beaucoup de lignes déficitaires

La question du low-cost long-courrier pose irrémédiablement celle de la capacité d'Air France à gagner de l'argent en propre sur des lignes où le prix moyen des billets est faible. Elles sont nombreuses. Aujourd'hui, la chute de la recette unitaire est telle que, même avec un baril à 50 dollars, l'objectif d'atteindre la rentabilité sur 80% des lignes long-courriers n'est pas atteint. Et ce même avec des avions aussi performants que les Boeing 777-300 ER.

Structure de coûts

Air France a-t-elle par conséquent les capacités de croître en propre ? A coûts identiques, le nombre de lignes déficitaires ne pourra que s'amplifier. Le maintien de l'offre long-courrier actuelle, voire une légère croissance, ne dépendra que d'une baisse des coûts. Il ne faut pas s'attendre à des gains exceptionnels. Les pilotes ont refusé de signer au printemps des mesures qui n'apportaient qu'entre 5 et 10% d'économies à l'entreprise. Les hôtesses et stewards, eux, ont refusé cet été un accord collectif qui ne leur demandait aucun effort de productivité supplémentaire au motif que l'accord allait jusqu'au printemps 2018 et non jusqu'en 2021 comme ils l'exigeaient.

« Il est illusoire de penser qu'Air France pourra croître au même rythme que celui du transport aérien. Vu la taille et la maturité de son réseau, les possibilités d'ouvertures de nouvelles lignes sont extrêmement limitées, voire nulles », explique un observateur. « Air France peut vivre sur son réseau avec une clientèle essentiellement affaires mais doit, si elle veut croître, disposer d'une entité à coûts plus faibles pour attaquer des marchés moins rémunérateurs », précise le même interlocuteur.

D'où la nécessité de disposer d'une structure à bas coûts, peut-être avec des avions très performants comme les B787. Non seulement pour ouvrir des lignes touristiques vers les Seychelles ou les Maldives, par exemple, mais aussi pour sauvegarder ses positions sur des lignes à faible recette unitaire, en Asie notamment (l'Inde ou la Thaïlande par exemple), un axe sur lequel Air France est autant menacée que sur les Antilles ou la Réunion. Sur le réseau Caraïbes Océan Indien, la compagnie a pour l'heure prévu de reconfigurer ses B777 vers 2019.

Le choix est tout sauf simple pour Jean-Marc Janaillac. Se lancer dans le low-cost long-courrier risque de braquer les syndicats sans garantie de réussite d'un tel modèle. Le rejeter peut compromettre l'avenir de la compagnie, si d'aventure le modèle devait perdurer.  Résultat des courses le 2 novembre.