Et si Air France-KLM choisissait un patron nord-américain ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1326  mots
(Crédits : Christian Hartmann)
Air France-KLM va dissocier les fonctions de président du groupe de celles de directeur général et ni l'un ni l'autre n'aura de fonctions à Air France comme a souvent été le cas jusqu'ici. Pour la première fois dans l'histoire du groupe, un étranger pourrait diriger Air France-KLM. Selon nos informations, le groupe discute avec un candidat nord-américain pour le poste de directeur général.

À défaut d'avoir trouvé un nom ou des noms pour sa future gouvernance promise en septembre, Air France-KLM a enfin tranché sur la question du modèle de gouvernance à mettre en place. Le schéma retenu va chambouler la vie du groupe puisqu'il dissocie les fonctions exécutives d'Air France-KLM de celles de ses deux filiales (Air France d'un côté et KLM de l'autre), mais aussi celles, au sein d'Air France-KLM, de président du conseil d'administration de celles de directeur général.

Fin de la fonction de PDG d'Air France-KLM

Autrement dit, il n'y aura plus de PDG d'Air France-KLM comme l'était Jean-Marc Janaillac, lors de sa démission le 15 mai dernier après son référendum perdu sur la question salariale, mais un président du conseil d'administration (non exécutif) et un directeur général (CEO), lequel sera en charge de la direction opérationnelle du groupe. Par ailleurs, contrairement à Jean-Marc Janaillac qui occupait également la fonction de président d'Air France, ni le président non exécutif d'Air France-KLM, ni son directeur général n'auront de fonctions au sein d'Air France ni de KLM.

Le modèle préconisé par Delta

Poussé par la compagnie aérienne américaine Delta, actionnaire à hauteur de 9% depuis moins d'un an, ce modèle laissait jusqu'ici perplexe un certain nombre d'administrateurs, qui estimaient une telle séparation des pouvoirs inutile au regard de la spécificité d'Air France-KLM. Pour eux, le faible de nombre d'employés au holding ne justifiait pas d'avoir un DG à temps plein alors que le pouvoir est en réalité au sein des compagnies. En outre, estimaient les partisans du statu quo, les fortes tensions sociales à Air France qui empêchent la compagnie d'avancer depuis 4 ans nécessitaient le maintien d'une personne s'occupant à la fois d'Air France-KLM et d'Air France. Mais Delta a su convaincre l'Etat français (actionnaire à 14%) du contraire. La séparation des fonctions empêchera qu'un patron coiffé des deux casquettes soit complètement absorbé par Air France, sans avoir le temps de se consacrer aux autres dossiers du groupe. Pour les tenants de cette organisation, une séparation des rôles peut permettre par ailleurs d'éviter la tentation de prendre des mesures jugées trop favorables à Air France.

Ce modèle se substituera à celui qui a été mis en place en catastrophe il y a deux mois après la démission de Jean-Marc Janaillac, avec Anne-Marie Couderc comme présidente non exécutive d'Air France-KLM par intérim (elle est par ailleurs présidente du comité de nomination) et Frédéric Gagey comme directeur général (en plus de ses fonctions de directeur financier du groupe), épaulé par deux directeurs généraux adjoints, Franck Terner, DG d'Air France Pieter Elbers, président du directoire de KLM.

Négociations sur la partie salariale avec un candidat nord-américain

Aujourd'hui, le groupe se démène pour trouver un directeur général d'Air France-KLM. Comme indiqué mi-juillet, le conseil d'administration cherche un profil international ayant une solide expérience dans le transport aérien, voire l'aéronautique ou le domaine des transports et du tourisme. Pour attirer quelqu'un dans un groupe miné par les conflits sociaux et les tensions entre Air France et KLM, Air France-KLM est prêt à casser sa tirelire en rapprochant le niveau de rémunération de la fonction de celui perçu chez les concurrents européens, largement supérieur. Mais même avec cela, les candidats ne se bousculent pas au portillon. Sans même aller jusqu'à approcher les leaders des groupes IAG ou Lufthansa, des tentatives au niveau en dessous auprès des patrons des compagnies de ces deux groupes n'ont rien donné. Cela a été le cas, selon  nos informations, d'Alex Cruz, le directeur général de British Airways.

Le comité de nomination a néanmoins retenu plusieurs noms dans sa "short list", avec une nette préférence pour un candidat nord-américain baignant dans l'univers du transport aérien, sans pour autant être très connu, confie-t-on à La Tribune.

Selon nos sources, des négociations sont en cours avec ce dernier. Elles n'étaient pas suffisamment avancées pour aboutir à une annonce ce mardi à l'issue du conseil d'administration qui a validé les comptes semestriels (bénéfice d'exploitation de 228 millions d'euros, impacté par les 15 jours de grève à Air France qui ont coûté 325 millions d'euros). Notamment la partie portant sur la rémunération. Les conditions salariales de ce candidat risquent de susciter la grogne des syndicats d'Air France, qui ont vu jusqu'ici leur demande de revalorisation salariale de 6 puis de 5% refusée. L'intersyndicale, qui pourrait se contenter désormais d'une hausse de 4%, menace de lancer une grève en septembre si sa revendication n'est pas exaucée. Ce que ne comprend pas Franck Terner. "Les discussions ne pourront reprendre qu'une fois mise en place la nouvelle gouvernance", a-t-il dit ce mercredi lors de la présentation des résultats financiers.

Pour rappel, c'est à l'aide de l'Américain Steven Wolf et de l'indo-américain Rakesh Gandwall, tous deux en provenance de United Airlines, que Christian Blanc redressa Air France entre 1994 et 1995.

Elbers DG adjoint d'Air France-KLM ?

Dans ce modèle de gouvernance, Anne-Marie Couderc pourrait être prolongée au poste de présidente non exécutive au moins jusqu'en 2019 estiment certaines sources. Par ailleurs, le comité de nomination étudie la mise en place d'un poste de directeur général adjoint du groupe, qui serait attribué à Pieter Elbers en plus de ses fonctions de président du directoire de KLM.

"S'il a indiqué qu'il ne voulait pas être directeur général, il est volontaire pour traiter certains dossiers au  niveau du holding, comme celui des alliances", explique-t-on à La Tribune.

Si tout se confirmait, la nouvelle gouvernance marquerait la montée en puissance de l'influence de KLM et de Delta dans le groupe au détriment d'Air France. Avoir un président nord-américain constituerait un véritable coup de tonnerre dans un groupe de droit français dirigé depuis sa création par un Français.

"Pour les syndicats, il sera difficile de continuer à aller se plaindre au gouvernement qui n'aura plus la main sur le patron de la compagnie", explique un observateur.

Surtout si l'État cède à l'avenir sa participation de 14% dans Air France-KLM. Car, même si AccorHotels a renoncé à racheter la participation de l'État en invoquant l'immobilisme de ce dernier, l'État est prêt à céder sa participation. C'est la raison pour laquelle il a, selon nos sources, engagé Nomura comme banque-conseil et BDGS comme avocat.

Encadré : L'action s'envole sur fond de résultats meilleurs que prévu

L'action Air France-KLM augmentait de plus de 3% mercredi à 13h15 à la Bourse de Paris. Cela faisait très longtemps que l'action du groupe aérien n'avait pas progressé après la publication des résultats financiers. Pour une fois, les investisseurs financiers ont été agréablement surpris par les résultats. Non pas qu'ils soient flamboyants, mais ils sont supérieurs à leurs attentes. Alors que le consensus des analystes tablait sur un bénéfice d'exploitation de 252 millions d'euros au deuxième trimestre, Air France-KLM a dégagé un résultat d'exploitation de 345 millions d'euros, en recul de 241 millions d'euros par rapport à la même période de l'an dernier. Les résultats ont été impacts par la grève à Air France évaluée à 260 millions d'euros sur ce trimestre. Air France-KLM profite notamment d'un environnement porteur qui fait bondir la recette unitaire de 1,7% alors que le groupe tablait sur une stagnation en début d'année. Cette tendance va se poursuivre au cours des deux prochains trimestres. Air France-KLM enregistre un niveau de réservations pour les prochains mois supérieurs à celui de l'an dernier. Au total, sur l'ensemble du semestre, les 15 jours de grève ont coûté 355 millions d'euros.