Etihad fera-t-il avec Lufthansa l'alliance qu'il rêvait avec Air France-KLM  ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1053  mots
(Crédits : (c) Copyright Thomson Reuters 2012. Check for restrictions at: http://about.reuters.com/fulllegal.asp)
Alors qu'il n'y a plus de contacts depuis des mois entre Etihad et Air France-KLM, la compagnie du Golfe se rapproche de Lufthansa.

Le groupe Etihad va-t-il faire avec Lufthansa l'accord que son directeur général, James Hogan, rêvait de sceller avec Air France-KLM il y a encore un an ? Certains experts le pensent. Pour eux, le partenariat commercial signé peu avant Noël entre la compagnie d'Abu Dhabi et le groupe allemand pourrait chambouler les forces en présence en Europe en remettant en cause les schémas d'alliances que plusieurs professionnels du secteur imaginaient entre les compagnies du Golfe et les transporteurs européens. A savoir, une alliance d'un côté entre IAG (British Airways, Iberia, Vueling, Aer Lingus) et Qatar Airways, aujourd'hui actionnaire du groupe britannique, une autre entre Air France-KLM et Etihad Airways dans la poursuite de plusieurs accords de partages de codes signé depuis 2012 et d'un partenariat dans la maintenance des avions (lesquels devaient déboucher sur une coopération plus profonde), et enfin une dernière alliance entre Emirates et Lufthansa. Autant de partenariats qui étaient censés, dans l'esprit de ces profesionnels, se greffer sur les alliances déjà existantes entre les compagnies européennes et américaines.

Il n'y a plus de discussions entre Air France-KLM et Etihad

Ce schéma a vécu. Du moins, la définition des couples. Car, l'alliance Air France-KLM-Etihad a peu de chance, à ce stade, d'aller plus loin et la compagnie d'Abu Dhabi et Lufthansa ont commencé à flirter. Maintes fois évoqué en effet, l'approfondissement du partenariat entre Air France-KLM et Etihad, qui visait à bâtir une joint-venture, a fait long feu. Depuis l'arrivée de Jean-Marc Janaillac à la tête d'Air France-KLM en juillet, il n'y a plus eu de contacts en effet entre les deux parties. Le partenariat reste à son stade initial, avec des accords de partages de codes entre Paris et Abu Dhabi et plusieurs destinations au-delà des hubs de chacune des deux compagnies et la maintenance par Air France Industries des gros porteurs d'Etihad.

La forteresse allemande consolidée

De fait, la compagnie d'Abu Dhabi s'est tournée vers Lufthansa, sa priorité aujourd'hui, qui a trouvé un intérêt à nouer un partenariat avec la compagnie du Golfe. En louant pour sa filiale Eurowings et pour Austrian 40 avions (équipages compris) d'Air Berlin, dans laquelle Etihad détient 29% du capital, Lufthansa va en effet pouvoir consolider sa forteresse allemande, tandis qu'Etihad trouve une solution par le haut à Air Berlin, en difficulté malgré la faiblesse du prix du baril. Au-delà de cet accord, Etihad et Lufthansa ont également signé des accords de partages de codes permettant à la compagnie allemande de commercialiser les vols d'Etihad entre Abu Dhabi et ses hubs de Francfort et Munich et à la compagnie du Golfe d'en faire autant sur des vols reliant Francfort et Munich à Rio de Janeiro et Bogota.

Déséquilibre des marchés

L'accord peut-il aller plus loin ? Lufthansa peut-il trouver un intérêt à approfondir cette relation, alors que jusqu'ici, aucune grande compagnie classique européenne n'avait trouvé la solution pour compenser le déséquilibre des marchés apportés qu'une telle alliance génèrerait.

«Les compagnies du Golfe veulent s'allier avec des Majors européennes pour avoir accès au marché européen mais n'ont pas de marché à échanger», explique un cadre d'Air France, en faisant allusion au poids démographique des pays du Golfe, comparable à des départements français.

«Lufthansa va se heurter au même problème», estime un autre.

Des annonces rapides?

Pour autant, Etihad et Lufthansa étudient bien la possibilité d'aller plus loin. De l'aveu même du président du directoire de Lufthansa, Carsten Sporh, cet accord en appelle d'autres. Selon nos informations, des coopérations qui ne concerneraient pas seulement l'activité «passage» sont à l'étude. Certaines pourraient même être annoncées rapidement.

Si l'éventualité de créer une coentreprise sera forcément étudiée, certains experts imaginent même des partenariats encore plus ambitieux et émettent l'hypothèse d'un transfert vers Lufthansa du contrôle du pool de compagnies européennes dans lesquelles Etihad détient une participation (Air Berlin, Alitalia, Nikki, Darwin rebaptisée Etihad Regional, Air Serbia). Pas nécessairement par la cession totale de toutes ses participations européennes comme la presse allemande s'en est fait l'écho, mais par la cession partielle afin de laisser la gestion à un groupe puissant qui connaît parfaitement le marché européen. Ce faisant, Etihad règlerait au passage la question de la notion de contrôle de ces compagnies, qu'elle n'a pas, en tant que compagnie originaire d'un pays tiers, le droit d'avoir. Bruxelles enquête d'ailleurs sur ce sujet.

Inflexion stratégique

Il est clair qu'un certain nombre de compagnies membres de la galaxie Etihad intéresse Lufthansa. Alitalia notamment que Lufthansa a convoitée dans le passé, même si celle-ci a perdu depuis énormément de parts de marché en Italie. D'autant plus que la compagnie italienne met fin à ses deux coentreprises européennes avec Air France et KLM. Enfin, toujours selon certains observateurs, un tel rapprochement pourrait se solder par l'entrée d'Etihad dans le capital de Lufthansa.

Quoi qu'il advienne, l'accord Lufthansa-Etihad semble montrer une inflexion stratégique de la part de la compagnie du Golfe. A savoir une volonté de se rapprocher de mastodontes reconnus en cessant de jouer les chevaliers blancs dans des compagnies en déroute, impossibles à redresser. L''accord signé également en décembre avec le géant du tourisme TUI pour créer une compagnie low-cost européenne en témoigne.

Néanmoins, on n'en est pas encore là. Le désengagement d'Etihad des compagnies européennes n'est pas à l'ordre du jour selon un connaisseur du dossier, même si le maintien de la participation d'Air Berlin sera forcément étudié si le partenariat avec  Lufthansa devait se muscler.

Pour l'heure, Etihad a signé un accord avec plusieurs banques (en apportant sa garantie) pour qu'elles renflouent une nouvelle fois Alitalia. Et va injecter 300 millions d'euros pour racheter 49% de l'autrichienne NIKI afin de l'utiliser pour créer la compagnie low-cost commune au groupe TUI.

Si Etihad et Lufthansa approfondissaient leur relation, Air France-KLM pourrait se retrouver fragilisé. Si le groupe avait l'intention de nouer un partenariat d'envergure dans le Golfe, il ne resterait plus qu'Emirates. Mais là, plus encore qu'avec Etihad, le partenariat risquerait d'être fortement déséquilibré.