Etihad Airways, l'argent ne fait pas tout !

Après une croissance vertigineuse depuis sa création il y a 13 ans, la compagnie aérienne d'Abu Dhabi se retrouve en difficulté. Des suppressions de postes sont envisagées et certains investissements à l'étranger ont échoué.
Fabrice Gliszczynski

C'est une lapalissade. Quand on crée une société, il vaut mieux se lancer avec un niveau de fonds propres conséquents et disposer d'actionnaires solides prêts à financer le développement et palier d'éventuels coups durs. C'est d'autant plus vrai dans les secteurs d'activité à haute intensité capitalistique comme l'énergie ou le transport aérien.
Pour autant, l'argent ne fait pas tout. Ou du moins pas tout le temps. L'exemple d'Etihad Airways, la compagnie aérienne du richissime émirat d'Abu Dhabi en témoigne. Rien ne va plus aujourd'hui chez ce transporteur créé il y a 13 ans à peine, qui s'est développé à marche forcée à coup de commandes d'avions pharaoniques et de prises de participations capitalistiques dans une multitude de compagnies aériennes à travers le globe, à la manière de Swissair à la fin des années 90, dont l'aventure s'acheva en 2001.

Des signes inquiétants

Les signes d'une crise profonde au sein du groupe Etihad se sont enchaînés cette semaine. La direction a tout d'abord annoncé travailler sur un plan de réduction d'effectifs, qui concernerait selon Bloomberg, entre 1000 et 3000 postes, soit entre 5 et 12,5% des effectifs. Dans la foulée, l'agence Reuters a révélé que son directeur général, l'Australien James Hogan, serait sur le départ et qu'un plan de sortie du capital de ses proies européenne était à l'étude, notamment Air Berlin et Alitalia qui, malgré un renflouement de 1,8 milliard d'euros en 2014, perd toujours un demi-million d'euros par jour.

Bref, même si ces informations sont pour certains erronées, l'agacement de l'actionnaire semble, lui, une réalité. À l'heure où les recettes de la production du pétrole se sont effondrées avec la baisse du prix du baril depuis 2014, l'émirat-actionnaire ne semble pas disposer à soutenir longtemps une stratégie qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

La folie des grandeurs

Ces difficultés sont intéressantes à analyser. On l'a vu, ce n'est pas un problème d'argent, ni de flotte puisque Etihad dispose des avions de dernière génération (A380, B777, B777...), ni de produit à bord dans la mesure où ses cabines et ses sièges sont parmi les plus confortables du monde, ni même de compétences puisque Etihad a chassé des cadors du secteur. Bref, la compagnie disposait de tout le terreau nécessaire pour casser la baraque. Pourtant, il lui a manqué cette humilité et cette lucidité au moment de définir et d'appliquer sa stratégie. Comme si les gens d'Etihad étaient pris d'une folie des grandeurs, de ce sentiment chez certains que l'argent finira par vaincre les réalités du marché, et permettre de réussir là où les autres ont échoué.

Les investissements dans Air Berlin et Alitalia sont un bon exemple. En prenant le contrôle de ces deux canards boiteux au bord de la faillite, Etihad a clairement surestimé ses capacités à les redresser, même si ces partenariats ont permis de développer le nombre de voyageurs allemands et italiens se rendant à Abu Dhabi. Comment les gens d'Abu Dhabi ont-ils pu penser faire d'Air Berlin, une compagnie sans positionnement affirmé qui s'est construite à coup d'acquisitions, un rival d'un groupe aussi solide que Lufthansa ? Comment ont-ils pu penser faire d'Alitalia, une entreprise, qui a toujours perdu de l'argent depuis plus de 15 ans, un business rentable, alors que la compagnie italienne avait déjà perdu la bataille sur le marché intérieur face au low-cost et au train rapide et qu'Air France-KLM s'était déjà cassé les doigts sur ce dossier?

Stratégie peu lisible

Au-delà de ces deux exemples, cette certitude d'être capable à redresser des causes perdues, se retrouve en fait dans toute la stratégie internationale de la compagnie. Refusant d'intégrer une des trois alliances globales (Star Alliance, Oneworld, et Skyteam) qui structurent le transport aérien mondial, Etihad a construit sa propre alliance en investissant non seulement dans Alitalia et Air Berlin, mais aussi dans Aer Lingus, Air Serbia, Jet Airways, Darwin, Air Seychelles et Virgin Blue. Une collection de compagnies disparates, pour la plupart de son second rang, dans laquelle il est difficile de trouver des synergies de réseau. D'autant plus que certaines de ces compagnies appartiennent par ailleurs à d'autres systèmes d'alliances.

Cette stratégie peu lisible contraste avec celles, très claires, des deux autres compagnies du Golfe, Emirates (Dubaï) et Qatar Airways. La première se développe quasi-exclusivement en solo en cherchant à relier chaque ville de chaque continent entre elles avec une seule correspondance, Dubai. Qatar Airways fait la même chose. Mais prend-elle aussi des prises de participations capitalistiques dans le capital d'autres compagnies. Sauf qu'à la différence d'Etihad, elle le fait dans des compagnies extrêmement puissantes comme IAG (British Airways, Iberia, Vueling, Aer Lingus) ou le groupe sud-américain LATAM, tous membres d'une même alliance, Oneworld.

Enfin, dès la naissance du projet, l'émirat d'Abu Dhabi semble avoir également sous-estimé la concurrence de ses deux voisines du Golfe, Emirates et Qatar Airways, qui, créées beaucoup plus tôt (1985 pour Emirates, en 1998 pour Qatar Airways), disposent de plusieurs longueurs d'avance, mais aussi la capacité du Moyen-Orient à absorber trois hubs de taille mondiale (voire 4, si l'on tient compte d'Istanbul, même si celui-ci est fragilisé aujourd'hui) .

Pour autant, de là à ne plus voir Etihad dans le concert des grandes compagnies aériennes mondial, il n'y a un pas qu'il ne faut pas franchir. L'accord qui vient d'être signé avec Lufthansa pourrait en effet amorcer le lancement d'une nouvelle ère pour la compagnie du Golfe.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 9
à écrit le 24/12/2016 à 18:10
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Merci pour cet article qui analyse bien la situation. je pnse qu'il y a clairement 2 compagnies de trop dans la région. Les résultats de Turkish de cetet année sont désastreux également. Le transfuge connu d'AIr France ne manque pas a la compagnie fr...

à écrit le 24/12/2016 à 12:59
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Toutes ces compagnies hormis Turkish ne disposent d'aucun réseau domestique contrairement aux compagnies européennes telles AF-KLM, LUFTHANSA ou SAS. Ces compagnies font leur beurre à l'international en proposant des prix intéressants et en alimentan...

le 24/12/2016 à 18:16
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Turkish offe en effet de bons repas maisles équipages sont mauvais et parlent mal anglais. Je trouve également que leurs avions sont souvent sales. De plus Istanbul n'est pas un aéroport de transit agréable car surchargé. Quant à Air France le niveau...

le 29/04/2017 à 9:25
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Plusieurs remarques : 1: il n'y a pas de place pour 4 mega compagnies dans cette zone . 2/ Turkish est désormais dans une position fragile en raison du climat politique et sécuritaire du pays 3/ Turkish a une flotte disparate et toutes ces cabines ne...

à écrit le 24/12/2016 à 3:17
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prendre une participation dans des compagnie européenne alors quelle leur font une concurrence féroce sur les prix se qui les fragilise procéde d'une logique économique pas trés claire

à écrit le 24/12/2016 à 1:16
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... peut-être que Etihad va revendre Alitalia à Air France, qui sait ...??? Enfin... espérons que le moment venu, AirFrance-KLM existe toujours, et que AirFrance en ait à nouveau les moyens d'ici là ...

le 24/12/2016 à 18:12
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Air France ne souhaite pas acheter Alitalia qui est un gouffre et incapable de dégager des résultats positifs. Les syndicats et le gouvernement italien empêche tout redressement. Air France a d'autres projets plus intéressants et rentables.

à écrit le 23/12/2016 à 10:45
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Etihad, Emirates, Qatar, Turkish : même stratégie. Beaucoup se mordront les doigts, il n'y aura pas de place pour plusieurs hubs gigantesques au moyen-orient. Les croissances "spectaculaires" du début ne correspondent qu'aux afflux massifs de capitau...

le 23/12/2016 à 15:23
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Tout à fait, quoique Turkish airlines est quand une compagnie normale contrairement aux trois autres qui ont une croissance totalement artificielle. En effet, les compagnies du golfe sont subventionné à mort par les petro-$ vus qu-elles ne paient ...

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