VTC : "tout le monde doit être solidaire" contre Uber ! Sinon...

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1312  mots
Le respect du calendrier, fixé de "longue date" par les organisations Capa VTC, SCP-VTC et Actif VTC, peut surprendre. Car les plateformes contre lesquelles ils manifestent semblent tendre la main aux chauffeurs en leur proposant de telles réunions. A la suite d'une rencontre avec Uber, la CFDT a d'ailleurs salué cette initiative, enjoignant les autres organisations syndicales à lui emboîter le pas.
Gare aux chauffeurs qui ne suivent pas le mouvement contestataire contre les plateformes. Les grévistes estiment que leurs collègues sont des "traîtres" et n'hésitent pas à faire montre de violences. Des actes condamnés par le gouvernement, qui a pourtant reçu les organisateurs de cette manifestation, négociant une "trêve" afin d'instaurer un climat propice au dialogue.

Tant qu'Uber ne proposera pas de date aux organisateurs de la grève pour une négociation des conditions de travail des chauffeurs, ceux-ci resteront mobilisés. C'est du moins ce qu'assure Sayah Baaroun, porte-parole du syndicat Scp-VTC, l'un des organisateurs de la manifestation contre les plateformes de réservation, qui a débuté jeudi. Samedi, des chauffeurs de VTC ont mis en place un barrage filtrant aux abords de l'aéroport d'Orly, empêchant leurs collègues non-grévistes d'accéder aux terminaux, a constaté un journaliste de l'AFP. A Orly, plusieurs VTC conduits par des chauffeurs non-grévistes ont été visés par des jets d'oeufs ou de farine, selon le journaliste de l'AFP. Des manifestants, remontés, ont par ailleurs arraché les essuie-glaces et donné des coups de pieds dans les portières d'un autre véhicule. Ces incidents n'ont toutefois pas été cautionnés par tous les manifestants, certains appelant leurs collègues au calme, tandis que plusieurs dizaines de voyageurs se faufilaient entre les voitures pour gagner à pied les terminaux.

Le but des négociations est d'avoir "un statut, salarié ou patron"

En milieu d'après-midi, plusieurs dizaines de VTC stationnaient sur deux des trois voies à quelques centaines de mètres de l'accès aux terminaux Sud et Ouest de l'aéroport. Vers 17h, des CRS leur faisaient peu à peu lever le barrage dans le calme. Une centaine de véhicules se trouvaient dans le cortège, parti plus tôt de la porte Maillot, a affirmé une source aéroportuaire, selon qui "la situation est complètement congestionnée" dans le sens Paris-Orly. Les chauffeurs en grève devraient rester "jusqu'à 20h-21h", a précisé à l'AFP Sayah Baaroun, porte-parole du syndicat SCP-VTC dont on ne connaît pas le nombre d'adhérents. "Et demain nous recommencerons les aéroports", a-t-il dit, poursuivant:

"Ce que nous demandons, et l'Etat est d'accord, c'est une date, et un rendez-vous officiel avec Uber sous la tutelle de l'Etat".

Le but des négociations est d'avoir "un statut, salarié ou patron", a-t-il ajouté, estimant que "l'ubérisation" de la société, "c'est la précarisation totale". Rappelons à cet égard que selon une récente enquête du BCG, les deux tiers des chauffeurs partenaires de la plateforme Uber seraient des salariés d'entreprises capacitaires (roulant sous le statut de Loti, qui sera bientôt "supprimé" par la loi Grandguillaume), le reste étant des auto-entrepreneurs roulant sous le statut VTC. Ce qui n'est pas le cas de la plateforme Marcel par exemple, dont la proportion d'auto-entrepreneurs et donc de VTC est largement majoritaire. Le point commun entre les deux plateformes Marcel et Uber étant d'avoir quasi en même temps annoncé la mise en place de cycles de discussions avec les chauffeurs dès janvier prochain.

Les plateformes sont justement en train de discuter avec les chauffeurs

C'est pourquoi le respect du calendrier, fixé de "longue date" par les organisations Capa VTC, SCP-VTC et Actif VTC, peut surprendre. Car justement, les plateformes contre lesquelles ils manifestent semblent tendre la main aux chauffeurs en leur proposant de telles réunions. A la suite d'une rencontre avec Uber, la CFDT a d'ailleurs salué cette initiative, enjoignant les autres organisations syndicales à lui emboîter le pas. Notons au passage que les représentants de ces formations ne se sont pas connectés à l'application Uber depuis plus d'un an.

Bref. Les organisateurs de la grève ont demandé à être reçus par le Secrétariat d'Etat aux Transports. Et le cabinet d'Alain Vidalies les a écoutés vendredi. A la suite de leur échange, le ministre a sommé Uber de les recevoir, tout en leur demandant bien entendu de suspendre leur mouvement. Mais dans un communiqué samedi, il a déploré "le non-respect de la trêve décidée hier midi avec leurs représentants", leur demandant de "mettre fin à ce mouvement et aux blocages qui perturbent la circulation sur la voie publique". Alain Vidalies, qui s'est engagé à recevoir la direction de la plateforme en début de semaine, demande en outre à la société Uber "d'engager des discussions avec l'ensemble des organisations syndicales dès que ces manifestations seront terminées". Ce qu'a annoncé Uber dans un communiqué vendredi soir:

"Uber prend immédiatement contact avec toutes les plateformes et associations de chauffeurs et de sociétés de transport pour organiser au plus vite une table ronde sectorielle avec l'ensemble des acteurs, qui ne pourra se dérouler qu'en l'absence de toute violence".

"Et à partir de lundi, on bloquera les locaux d'Uber"

Cependant, Hassan Benbarak, de Capa-VTC, a déploré qu'Uber ait proposé une table ronde sectorielle avec l'ensemble des acteurs, et non avec les deux seuls syndicats moteurs de la mobilisation. D'où la poursuite du mouvement protestataire contre la politique tarifaire des plateformes de réservation, notamment Uber, qu'ils jugent défavorables aux chauffeurs. Il a menacé les franciliens de "graves problèmes sur les aéroports et les gares". "Et à partir de lundi, on bloquera les locaux d'Uber", a-t-il averti. "On est là pour bloquer les collègues (qui travaillent, ndlr), ce sont des traîtres", a affirmé à l'AFP un gréviste tandis qu'un autre expliquait être "là pour défendre la profession, tout le monde doit être solidaire". Estimant que la plateforme américaine Uber se "moquait" d'eux et cherchait à "gagner du temps", des représentants d'Unsa-VTC et de Capa-VTC ont appelé les chauffeurs grévistes à de nouveaux "blocages" en ce jour de départ en vacances.

Dans un communiqué, Uber a appelé à "l'apaisement" tout en dénonçant les "violences" survenues dans la nuit de vendredi à samedi, évoquant des passagers "sortis de force" des véhicules, la "mise à sac" de voitures et des "violences physiques" contre des chauffeurs, malgré la trêve promise. La société a annoncé le dépôt d'une plainte et réclamé une protection policière.

Hors de contrôle

Dans la nuit de vendredi à samedi, plusieurs incidents impliquant des chauffeurs grévistes ont conduit au placement en garde à vue de six personnes à Paris. Selon Joseph François, patron de l'entreprise de VTC Groupe Max et président de l'association AMT (Alternative Mobilité Transport), l'un de ses chauffeurs de 56 ans a été blessé alors qu'il transportait une cliente sur les Grands Boulevards, à Paris, dans la nuit de vendredi à samedi. "Il y avait plus d'une vingtaine de chauffeurs VTC qui faisaient un barrage filtrant, ils l'ont arraché de sa voiture, roué de coups et lui ont craché dessus". Il a été hospitalisé, mais "il va pouvoir sortir tout à l'heure pour rejoindre sa famille", a déclaré Joseph François à La Tribune.

Le chef d'entreprise évoquait jeudi le climat de peur qui régnait sur ses chauffeurs. Il expliquait ainsi à La Tribune que certains n'osaient pas travailler par crainte des menaces de la part d'un "groupuscule minoritaire particulièrement violent". Aussi demande-t-il aujourd'hui au gouvernement de "prendre ses responsabilités" et "demande au parquet de Paris de se saisir de cette situation qui ne peut durer afin d'éviter le pire". L'apaisement ne semble hélas pas encore à l'ordre du jour à en croire Sayah Baaroun. Celui-ci a assuré à l'AFP avoir essayé de "calmer les troupes" mais "tant que nous n'aurons pas de date, ça va être hors de contrôle", a-t-il prévenu.

Dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux comme Twitter, Sayah Baaroun de Scp-VTC et Helmi Mamlouk de Capa VTC évoquent leur "stratégie". Ils envisagent notamment de "séquestrer la direction (d'Uber, ndlr)". "Imaginez-vous le buzz", dit Helmi Mamlouk. Quant à Sayah Baaroun, il prévient : "on n'est pas Air France les gars, on n'est pas Goodyear, on ne va pas arracher juste une chemise malheureusement".