Faut-il réinventer l'agriculture ?

Par Dominique Pialot  |   |  578  mots
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Quelle agriculture pourra répondre au double défi de nourrir la planète sans la détruire au point de la rendre impropre à toute production ? C'est l'objet de l'édition 2012 de l'ouvrage "Regards sur la Terre" publié par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et l'Agence française de développement (AFD).

"Comme illustration du changement climatique, l'agriculture, c'est mieux que le canari dans la mine » (les mineurs emportaient autrefois un canari en cage qui, dont les signes de suffocation indiquaient qu'il fallait remonter, NDLR). C'est ce qu'a déclaré mardi Laurence Tubiana, présidente de l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) à l'occasion de la sortie de l'ouvrage annuel "Regards sur la Terre " publié en collaboration avec l'agence française de développement (AFD). Ce secteur, qui fait l'objet de cette cinquième édition "Développement, alimentation, environnement : changer l'agriculture ?" est en effet à la fois l'un des contributeurs importants au changement climatique (érosion des sols, usage de pesticides, émissions des sols labourés et des ruminants, etc.) et l'un de ceux qui en souffrent le plus (multiplication des événements climatiques extrêmes, difficultés d'irrigation dans de nombreuses régions...).

Une question d'accès plus que de volume

"Nourrir une planète en croissance, ça n'est pas tant une question de volume que d'accès physique (donc de logistique) et économique", observe Pierre Jacquet, président de l'AFD. Concernant les volumes eux-mêmes, c'est l'inflation prospectiviste rappellent les auteurs. Faudra-t-il doubler la production d'ici à 2050 ou l'augmenter de seulement 30 % ? Le consensus se situerait autour d'un accroissement de 70 %. Mais la question reste celle de la répartition. "L'autosuffisance alimentaire est un non-sens", martèle Pierre Jacquet. D'où la nécessité de règles commerciales lisibles et prévisibles sous l'égide de l'OMC, qui "n'est pas nécessairement synonyme de libéralisation sans fin du commerce".

Les auteurs osent même évoquer la question de la demande en agriculture, et non seulement de l'offre. S'il semble indécent de l'aborder dans les pays en développement, au niveau global il apparaît clairement que le volume et surtout la nature des biens consommés laisse de la marge pour favoriser l'équilibre offre/demande. 

Plus résistante et moins contributrice au changement climatique

La question est de savoir si on procède à des ajustements du système existant ou à un véritable changement de paradigme en profondeur. Et dans tous les cas, comment gérer la transition. Sébastien Treyer, directeur du programme "Agriculture et changements globaux" à l'Iddri, insiste sur la nécessité d'une agriculture intensive en main d'oeuvre, capable d'assurer également un rôle de pourvoyeur d'emplois dans le cadre de la croissance démographique. Et sur le rôle actif qu'il faut donner aux agriculteurs eux-mêmes.

"Il faut injecter beaucoup d'intelligence, mais l'innovation ne doit pas circuler uniquement du haut vers le bas", insiste-t-il. Une innovation sur laquelle les experts misent beaucoup pour que l'agriculture, non seulement remplisse son rôle nourricier auprès d'une population de plus en plus nombreuse, mais aussi participe à limiter le changement climatique, plutôt que de l'aggraver comme on le lui reproche aujourd'hui. C'est la "climate smart agriculture", à la fois plus résistante et moins contributrice au changement climatique.
S'ils rappellent que les leviers du changement résident souvent en-dehors de l'agriculture stricto sensu (plutôt dans le secteur de la transformation, qui ne se limite pas à l'industrie agro-alimentaire), les auteurs insistent sur la nécessité que les agriculteurs, conservateurs de nature, puissent essayer de nouvelles pratiques avant de les adopter.
En matière de politiques publiques, les auteurs ne tranchent pas sur  la responsabilité d'orchestrer cette mutation : est-ce à l'OMC, au G20 ou à la FAO (organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture) qu'elle revient ? La question reste ouverte.