"On parle moins du changement climatique que de Justin Bieber"

Par Propos recueillis par Dominique Pialot  |   |  1123  mots
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<b>INTERVIEW -</b> Andy Howard dirige l'équipe de recherche Goldman Sachs Sustain à Londres, qui examine les grandes tendances auxquelles sont confrontées les industries du monde entier et leurs implications, et identifie celles qui sont les mieux positionnées pour conserver un avantage compétitif dans ce contexte.

La Tribune - Comment jugez-vous la résistance des stratégies de développement durable des entreprises à la crise économique et financière actuelle ?

Andy Howard - En réalité, j'ai été plutôt agréablement surpris par la proportion d'entreprises qui ont continué dans cette voie. Par exemple, depuis la fin des années 1990, le nombre d'entreprises publiant des rapports de développement durable est passé de moins de 500 à environ 6000, et a continué à croître après 2008. Mais pour les investisseurs, la définition même du développement durable représente un défi. Etre durable, cela signifie-t-il contribuer à améliorer la société, protéger l'environnement, ou s'adapter à un environnement en évolution? S'agit-il de faire de la planète un monde meilleur, ou d'être capable de s'adapter aux contraintes environnementales, liées au réchauffement climatique ou à la pression sociale? Les deux ne sont pas nécessairement contradictoires, mais pour la plupart des investisseurs, être durable signifie d'abord être capable de s'adapter à un environnement en mutation. Ce n'est plus un truc en plus, intéressant à essayer, mais un aspect essentiel du business. Une entreprise se doit d'avoir une stratégie, et elle doit être durable.

C'est un peu comme le marketing. Dans les années 50, il y avait peu d'évaluation chiffrée de la valeur des marques qui avaient une stratégie marketing et faisaient de la publicité à la télé. A vrai dire, on ne le sait toujours pas complètement, mais toutes les entreprises de consommation savent maintenant que c'est indispensable. C'est la même chose pour le développement durable. Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises savent que s'il n'a pas de stratégie durable, leur activité est condamnée. Ce dont on a besoin à présent, ce n'est plus de la théorie, mais d'une compréhension pratique de la façon dont on doit appliquer ces principes à la chaîne d'approvisionnement, aux opérations, aux produits, et arbitrer entre les différents enjeux. De quoi parlent généralement les entreprises lorsqu'il est question de développement durable ? De leur responsabilité ou d'actions très discrètes.

 Quels secteurs d'activité vous paraissent le plus directement concernés ?

En fait, toutes les entreprises sont confrontées à ces enjeux, à mesure que les consommateurs perdent confiance dans les marques et que les jeunes diplômés deviennent exigeants sur les performances sociales et environnementales des groupes dans lesquels ils souhaitent entamer leur vie professionnelle.

Certains secteurs d'activité ont dépassé ce cap. Par exemple, dans le secteur minier ou pétrolier, le développement durable ne fait pas l'objet d'une stratégie distincte, il fait partie de la stratégie globale de l'entreprise, car sa capacité même à exercer son activité en dépend, notamment la façon dont elle interagit avec les communautés locales.
Les entreprises du secteur minier en Afrique parviennent assez bien à transformer en avantages compétitifs les contraintes qui pèsent sur elles en matière de responsabilité sociale et environnementale. Elles n'ont pas tellement d'autre solution que de se montrer exemplaires, car, en tant qu'entreprises de renom, le moindre de leurs faux pas fait les choux gras de la presse occidentale.

Si l'on évolue vers une situation où la part de l'énergie alternative dans l'énergie totale devient bien plus importante, les fournisseurs d'énergie vont devoir passer du modèle actuel dans lequel ils produisent puis distribuent l'énergie, à un modèle où la production est décentralisée.

Dispose-t-on aujourd'hui des technologies nécessaires pour faire face au changement climatique ?

Les technologies existent, ce qui coince, c'est la volonté politique pour faire accepter aux gens de payer un prix élevé immédiatement, pour éviter d'en payer un plus élevé encore plus tard.
En théorie, il serait possible de remplacer de façon quasi immédiate toutes les centrales au charbon par des fermes éoliennes, à condition d'y consacrer environ 8 % du « produit intérieur brut mondial». Pour du solaire, il faudrait compter environ 12 %. Et pour électrifier tous les moyens de transport, il faudrait produire 40 % d'électricité en plus. Bien sûr, ces chiffres ne sont que des estimations, calculées sur la base d'hypothèses notamment sur les pertes et l'efficacité de chaque mode de production d'énergie.
L'économie finira par se relever et les entreprises qui auront su s'adapter seront les premières à en profiter. L'Europe compte plusieurs entreprises très bien positionnées sur les technologies nécessaires pour accomplir cette nécessaire mutation de l'économie et de la société.
En Chine, moins de la moitié des moyens de production de l'énergie nécessaire en 2030 sont aujourd'hui construits. Du point de vue chinois, il y a un avantage compétitif à développer un leadership mondial dans les nouvelles générations de production d'énergie comme l'éolien ou le solaire.

Pourtant, le sujet ne fait plus la Une des magazines comme il y a quelques années, et les entreprises n'ont pas non plus opéré de virage à 180 degrés...

En effet, la popularité du sujet connaît des hauts et des bas. Les résultats sont édifiants : en 2003, les médias internationaux parlaient à peu près autant de changement climatique que de Britney Spears; en 2009, juste avant le sommet de Copenhague, ils en parlaient nettement plus, et aujourd'hui, ils en parlent nettement moins que de Justin Bieber...
Aujourd'hui, la prise de conscience reste limitée car le risque à court terme et le coût associé ne sont pas perçus comme étant suffisamment élevés. Seul un événement dramatique majeur, dans lequel le lien avec le réchauffement climatique serait évident, pourrait aujourd'hui faire prendre à l'opinion publique la mesure du risque que représente le changement climatique.
La volatilité des modèles climatiques est telle qu'on s'attend à ce que chaque année, un événement climatique extrême surgisse dont les conséquences se chiffrent à plus de 2 % du produit mondial brut.
En matière de modèle économique, personne n'a encore réussi à expliquer comment faire plus de profit sans vendre plus. Les cycles de vie des produits ne cessent de raccourcir, les quantités de déchets déversées dans les décharges sont chaque année plus importantes...La façon dont on vend des produits va devenir un point clé.
Mais l'essentiel des coûts liés au changement climatique sont aujourd'hui cachés. Ainsi, dans certains produits de consommation, seulement 5 % des émissions carboniques sont directement liées à leur fabrication. Le reste est émis en amont, dans la chaîne d'approvisionnement, et en aval, lors de l'utilisation par les consommateurs. Pour les lessives, par exemple, une grande part des émissions carboniques est émise pendant l'utilisation des machines à laver.