La dégradation des Etats-Unis sonne le déclassement des pays industrialisés

Par Eric Benhamou  |   |  889  mots
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L'abaissement de la note de solvabilité des Etats-Unis augure de la fin d'un modèle de croissance fondé sur l'endettement.

La dégradation, pour la première fois, de la note de la dette américaine par l'agence Standard & Poor's, de AAA à AA + avec une perspective négative, a provoqué un véritable séisme politique à travers la planète. La décision de l'agence n'est pourtant pas en soi une réelle surprise : depuis avril dernier, elle ne cesse de mettre en garde les Etats-Unis sur leur déficit fiscal abyssal, leur dette colossale et leur incapacité à présenter un scénario crédible de réduction de dette.

Le piètre compromis sur le rehaussement du plafond de la dette, arraché au Congrès de haute lutte partisane où les voix les plus extrêmes se sont fait entendre, ne pouvait donc que déboucher sur une réaction négative de S&P. Car malgré "l'erreur" de l'agence, le compte n'y est pas : l'accord place les États-Unis sur une trajectoire de réduction des déficits de 2.100 milliards de dollars en dix ans au lieu des 4.000 milliards jugés, a minima, nécessaires pour commencer à inverser la tendance.

De fait, le plus surprenant n'est pas tant la décision elle-même que les arguments avancés par S&P pour justifier l'abaissement de note. Certes, l'agence juge le programme voté au Congrès "insuffisant" pour stabiliser la dette à moyen terme. Mais le commentaire détaillé est sans précédent. Il pointe, en effet, "le fossé entre les partis politiques" ou le manque de "prévisibilité" des décisions politiques, comme des facteurs d'aggravation du risque de défaut.

Ce sont bien les risques politiques - et non financiers ou économiques - qui sont ainsi mis en avant. Contrairement à la notation des entreprises, les notes de la dette souveraine ont toujours été fondées pour partie sur une évaluation du risque politique. Mais, jamais jusqu'ici, ce dernier n'a été aussi prépondérant. C'est une première qui ne manquera de susciter des controverses et les politiques soulignent déjà ce point pour décrédibiliser l'opinion de S&P.

Car au-delà des conséquences financières de l'initiative de S&P - qui restent à court terme à mesurer - c'est bien le signal politique donné qui effraie tant les gouvernements occidentaux. Malgré leurs incantations, voire leurs menaces contre les agences de notation ou les traders, jamais les Etats n'auront été aussi dépendants des marchés financiers. Ils réalisent soudainement que les marchés financiers ne sont pas un puits sans fond dans lequel ils pouvaient sans limite financer leurs déficits. Un jour, il faut bien payer la facture.

L'Europe est bien évidemment en première ligne. La dégradation de la note américaine intervient au pire moment pour elle (même si une dégradation intervient toujours au pire moment) alors que les européens se débattent depuis plus d'un an pour organiser un sauvetage crédible des pays de l'Union européenne en difficulté. Comme les Etats-Unis, l'Europe devra payer le prix de sa division.

Les marchés ne s'y trompent d'ailleurs pas en réclamant, lors de la première émission du Fonds européen de stabilité financière (FESF), pourtant notée AAA, une rémunération de 50 points de base supérieure à celle d'une obligation allemande de même maturité. C'est le prix de la fragilité européenne et un sujet d'inquiétude pour ceux qui estiment que la sortie de crise doit passer par la création d'euro-obligations. La situation ne cesse de se dégrader depuis le début de l'année (Grèce, Portugal, Irlande et désormais Italie et Espagne) et les agences de notation s'alarment de la situation des banques européennes, françaises et italiennes en particulier. Le sanctuaire européen des AAA est clairement menacé.

 Le message politique de S&P est double. A court et moyen terme, il contraint les Etats à faire des choix politiques forts. Le transfert massif de la dette privée vers la dette publique, opéré ces dernières années, n'est donc plus possible. Il faudra donc augmenter massivement les impôts et/ou tailler tout aussi massivement dans les dépenses. Ce sera un point de crispation politique lors des prochaines échéances électorales dans les pays industrialisés. Et c'est justement que ce redoute l'agence S&P. L'émergence d'une certaine radicalité dans le discours politique ne sera pas de nature à rassurer les marchés financiers à moyen et long terme.

L'autre signal est tout aussi préoccupant pour les pays industrialisés. La dégradation de la note des Etats-Unis sonne en effet la fin d'un modèle de croissance, fondé sur l'endettement, dont les fondations avaient déjà été largement érodées lors de la crise de 2007/2008. Le constat est sans appel : l'Occident est endetté et il se montre incapable de générer une croissance suffisante pour stabiliser cet endettement. Cette dégradation est le signe d'un "déclassement" inexorable des pays industrialisés dans l'ordre économique mondial. A ce jour, 18 pays peuvent se prévaloir d'une note AAA (contre seulement 4 entreprises), dont dix pays européens, quatre paradis fiscaux (européens) et seulement deux pays asiatiques (Hong Kong et Singapour).  Les "AAA" de demain seront sans nul doute beaucoup moins occidentalisés !