Sommes-nous encore libres en France ?

Par Damien Theillier  |   |  1423  mots
Damien Theillier, président de l'Institut Coppet.
Les attentats de Paris ont relancé le débat sur la liberté d'expression. Au delà, ce sont toutes nos libertés qui sont remises en question, notamment publiques et économiques. Par Damien Theillier, président de l'Institut Coppet (*).

Imaginez que vous êtes invité à un dîner de gala. De nombreuses personnalités étrangères sont présentes. Par un heureux hasard, on vous propose de prononcer une petite allocution, pour représenter la France. Vous faîtes face à un dilemme :

Comment résumer notre beau pays en quelques phrases ?

Si vous voulez rester dans un certain classicisme, vous parlerez de la France comme du pays des Lumières, la patrie des Droits de l'Homme, la communauté de la Liberté. C'est, du moins, la peinture que nous nous faisons en pensant à la France. La réalité s'annonce un tantinet plus complexe.

Tenez : en quelques semaines, nous sommes passés des manifestations géantes pour défendre la liberté d'expression aux mesures les plus liberticides. Le 23 janvier dernier, la France a confirmé à l'Onu l'extension de la censure des sites internet, sans juge, sans contradictoire, ni vérification judiciaire de l'illégalité des sites bloqués. Du jour au lendemain, n'importe quel site pourra être bloqué, bien au-delà des motivations de sécurité nationale.

Plus de contrôle assure-t-il plus de sécurité ?

Un certain nombre de Français sont prêts à abandonner un peu de liberté contre un peu de sécurité... Rappelons que Benjamin Franklin nous mit en garde des conséquences de ce jeu dangereux.

Nos politiciens pensent pouvoir résoudre les problèmes de société par des intrusions dans la vie privée. Remarquez que cette croyance dépasse le cadre du terrorisme : Un fait divers, vite une loi. Un débat de société, aussitôt une autre loi. En 30 ans, le recueil annuel des lois a décuplé de volume. Cette course effrénée aux nouvelles lois a un nom : l'hyperinflation législative. Et là où la loi devient abondante, elle devient nécessairement injuste. Il est nécessaire de rappeler le rôle de la Loi.

L'économiste français Frédéric Bastiat énonçait déjà en 1850 que cette dernière avait pour fonction de protéger nos libertés, et non de les anéantir.

« La Loi, c'est l'organisation du Droit naturel de légitime défense; c'est la substitution de la force collective aux forces individuelles (...) pour garantir les Personnes, les Libertés, les Propriétés, pour maintenir chacun dans son Droit, pour faire régner entre tous la Justice. »
(Frédéric Bastiat, La Loi, 1850)

Toutes nos libertés sont remises en question : nos libertés publiques, notre liberté d'expression, et même nos libertés économiques ; celles de travailler, produire, épargner, consommer, commercer et investir en fonction de nos choix personnels.

Sommes-nous encore libres en France ?

Observons les faits, rien que les faits. Parlons d'Internet et de sa censure. Les révélations d'Edward Snowden ont fait grand bruit. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a notamment commenté : « ce type de pratiques qui portent atteinte à la vie privée est totalement inacceptable. Il faut s'assurer, très rapidement, qu'en tout cas, elles ne sont plus pratiquées ».

Pourtant, en 2012, Reporters Sans Frontières a classé la France dans les pays « ennemis d'Internet » sous surveillance. Dans son dernier rapport, l'ONG pointe du doigt les risques de la censure des sites internet de la Loi de Programmation Militaire.

La tradition française de censure de la liberté d'expression continue. Après les lois Pleven (1972), Gayssot (1990) et la création de la Halde (2004), la France veut imposer une chape de plomb sur Internet.

Mais est-ce efficace ? Prenons l'exemple américain : le Patriot Act, voté suite aux attentats du 11 septembre 2001. De la même manière que notre loi de programmation militaire, la liberté des Américains a été restreinte. Le plus de sécurité s'est soldé par moins de liberté... et c'est tout.

Preuve, horrible, s'il en est : les attentats de Boston n'ont pu être empêchés malgré la surveillance généralisée par les agences gouvernementales. Pire : le gouvernement américain s'est octroyé le droit d'utiliser la loi hors du cadre du terrorisme. En 2013, sur les 11.129 demandes de perquisitions sur la base du Patriot Act, seules 51 visaient des suspects d'actes terroristes.

Internet, la nouvelle frontière de l'économie

Internet n'est pas seulement un lieu social, c'est surtout la nouvelle frontière de l'économie. En effet, le numérique pesait déjà 5,7% du PIB en 2012. Et les censures du web ne sont qu'un des symptômes de l'omniprésence de l'État.

Ces libertés économiques bafouées qui freinent la reprise L'économie française est en berne. Les indicateurs sont dans une mauvaise passe. Tant la croissance que le chômage annoncent des années difficiles à venir. En conséquence, l'investissement des entreprises est gelée ; ce qui entraîne une perte de compétitivité face à la concurrence internationale à moyen terme.

Qu'est ce qui empêche la reprise tant attendue ? Le cadre trop rigide qui corsète l'économie française. Un indicateur permet de le vérifier. Depuis 1995, l'Indice de Liberté Economique est publié par l'Heritage Foundation, think tank américain, en partenariat avec le Wall Street Journal. Cet indice est une moyenne de 10 indicateurs économiques qui permettent de mesurer la liberté économique d'un pays. Parmi eux, la liberté d'entreprendre, le poids des taxes et impôts, les dépenses de l'Etat, la stabilité monétaire, la protection de la propriété privée ou la libéralisation du travail.

La France moteur de l'Europe?

Nos gouvernants ont tendance à penser la France comme un des moteurs de l'Europe. D'un côté, ils ont raison. Les entrepreneurs français sont créatifs, les employés globalement bien formés, et les entreprises performantes. Par exemple, on retrouve 8 entreprises françaises parmi les 100 entreprises les plus innovantes au monde (2e ex-aequo avec le Japon). Si les entreprises françaises sont bonnes, le climat économique français est mauvais.

L'Heritage Foundation vient de publier son tout récent Indice 2015 des libertés économiques. La France est classée 33e des 43 pays de la région Europe. Ce n'est pas très étonnant. La Tax Foundation, think tank qui s'intéresse à la fiscalité, a publié un rapport sur la compétitivité et l'efficacité des régimes fiscaux des pays de l'OCDE. Si l'Estonie est classée première en ayant un système facile à comprendre et efficace... la France est classée dernière, 34e sur 34, en raison de ses taxes sur les entreprises, ses taxes sur la propriété privée (au nom de la répartition des richesses), ses taxes sur le capital et les dividendes.

Limitation de la liberté de la presse

S'il n'y avait que les taxes me direz-vous. Mais encore aujourd'hui, la presse s'est fait l'écho d'une nouvelle limitation de la liberté de la presse. La loi Macron, qui annonce un semblant de début de libéralisation en France (euphémisme), entrave la liberté de la presse dans une disposition concernant la protection du secret des affaires.

On pourrait en sourire si c'était là la première atteinte à la liberté de la presse. Reporters Sans Frontières classe la France au 39e rang en matière de liberté de la presse. Pour l'ONG, la chute libre des dernières années est « inquiétante ».

La situation se détériore au fil des années. Dans le même temps, les dépenses de l'État ont augmentées. Pouvons-nous encore parler d'économie libre, alors même que nous sommes dans un pays si mal classé en Europe ?

Moins d'inflation législative

Concluons sur cette polémique récente. Le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, disait il y a quelques semaines vouloir inciter les jeunes Français à devenir milliardaires. Quelques heures plus tard, le reste de la classe politique, issue de la fonction publique, lui tombait dessus.

Le gouvernement français bride la liberté des entreprises - qui ne peuvent plus créer ni richesses ni emploi. La clé de la sortie de la crise est pourtant juste sous nos yeux. Ce qui manque à la France ? Plus de libertés pour entreprendre. Moins d'inflation législative et moins d'insécurité juridique.

C'est à cette condition que le vœu de Macron pourra être exaucé, que des entrepreneurs français, jeunes et moins jeunes, deviendront riches - et que l'économie française repartira.

(*) Damien Theillier est le président fondateur de l'Institut Coppet. Ce think tank remet au goût du jour la tradition économique française. Vous pouvez découvrir sa rubrique coup de poing ici.