Macron élu... et ensuite ?

Par Pierre Yves Cossé  |   |  915  mots
S'il parvient à l'Elysée, Emmanuel Macron devra affronter des difficultés inédites pour un président, sous la cinquième République. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Un peu de politique- fiction. Le 7 Mai, le plafond de verre a tenu. Marine Le Pen n'a obtenu que 45% des suffrages. Emmanuel Macron est largement élu, avec néanmoins un pourcentage élevé d'abstention, six points de plus que lors de l'élection de François Hollande. Une partie des électeurs de la droite, frustrés d'avoir perdu une élection imperdable, a voté avec ses pieds.

La "révolution"  chère au nouveau président, l'a-t-elle définitivement  emporté ?  En cinquième République, gagner l'élection présidentielle est le fait majeur autour duquel s'organise la vie politique. Forts de la légitimité du suffrage universel, les nouveaux présidents constituent des gouvernements à leur main qui disposent d'une majorité franche à l'Assemblée, à l'exception près de celui  de Michel Rocard, qui ne disposait que d'une majorité toute relative et recourut au 49.3 et à des accords ponctuels avec les communistes et les centristes. Autrement, ils utilisent leur droit de dissolution (1962, 1968)

 L'obstacle des législatives

En 2017, franchir l'obstacle des législatives sera une étape pleine d'embûches. Certes, le nouveau président  a lancé un appel à candidatures « en vue de construire une majorité de projet » et il devrait y avoir un candidat macronien dans toutes les circonscriptions, soit un « nouveau » issu d'En Marche et de la société civile, soit une personnalité ralliée, ancienne députée ou ministre. Le dosage du cocktail sera délicat : renouveau et expérience, dynamisme et  réalisme, tout en arbitrant entre les groupes de pression.

Obtenir une majorité "En Marche" aux législatives est hors de portée. Même, le général de Gaulle, en 1958, n'y est pas parvenu. Les sortants dans un système majoritaire, appuyés par des structures locales bien implantées disposent d'un indéniable avantage.

 Le président sait que le 8 mai il n'aura pas définitivement gagné et que beaucoup restera à faire. Imaginons. Son premier gouvernement, limité dans le temps et dans ses pouvoirs, sera en quelque sorte un gouvernement d'essai, provisoire, pas nécessairement représentatif  de celui qui sera constitué après les élections législatives. Il sera restreint, pour laisser de la place à ceux qui enteront dans la majorité parlementaire. Il devra associer des nouveaux et des anciens et être une première incarnation de ce nouveau progressisme. Il devra avoir à sa tête un politique expérimenté, qui aura à conduire la campagne électorale d'une première majorité présidentielle, et pas un simple « collaborateur »

 Être en prise directe avec les réalités du pouvoir

C'est là peut-être que gît la plus grande difficulté pour le nouveau président : inventer quelques dirigeants politiques qui soient en prise directe et immédiate avec les réalités du pouvoir. N'oublions pas que les ratages initiaux du précédent quinquennat sont pour une part dus à l'inexpérience gouvernementale du numéro un et du numéro deux. Une place sera faite à des ouvriers de la douzième heure au grand déplaisir des ouvriers des premières heures. À l'issue des élections s'ouvrirait une période de recherche d'une majorité parlementaire associant le président, le Premier ministre et les leaders principaux des groupes. C'est à ce moment-là que serait élaboré un véritable programme, qui serait présenté au Parlement.

Quel projet de société?

Commentateurs et hommes politiques ont tort d'exiger un programme-catalogue pour la présidentielle, à un moment où l'on devrait parler « projet de société »

Ce travail pourrait prendre plusieurs semaines, durée habituelle dans de nombreuses démocraties parlementaires. Le moment est favorable à des recompositions politiques, au moins partielles, sous des formes variées et plus ou moins avouées : groupes parlementaires nouveaux, intergroupes. Le programme de gouvernement devrait inclure l'introduction partielle de la représentation proportionnelle, en vue de faciliter la recomposition politique. L'interprétation de nos institutions serait plus parlementaire. En cas d'échec, si les conservatismes l'emportaient, le second gouvernement Macron devrait s'appuyer sur des majorités variant selon les projets et sur le 49.3, dont l'usage a été limité dans la dernière réforme constitutionnelle.

La complexité d'une "révolution" par voie démocratique

Le Président ne peut en effet user de son droit de dissolution durant l'année qui suit les élections de l'Assemblée. Il est probable qu'ultérieurement, pour desserrer la contrainte, il utiliserait ce droit. En cas de succès, l'on serait dans le positionnement habituel du président en cinquième république. En cas d'échec ce serait la cohabitation, la troisième depuis 1962.

Certaines des positions actuelles du candidat pourraient s'expliquer par les perspectives incertaines du troisième et quatrième tour, notamment son refus de se lier les mains dès maintenant sur des propositions détaillées, de fermer des portes à des alliés de demain ou de s'enfermer dans des alliances avec les partis tels qu'ils existent aujourd'hui. Il se doit de ménager des marges de manœuvre.

Donner quelques clartés sur ce qui se passerait après le 7 mai est de nature à stimuler les électeurs, par exemple expliciter quelques mesures simples en termes précis, à caractère parlementaire, mais aussi législatif. L'élection vaudrait- politiquement- approbation de ces mesures qui s'imposeraient à la nouvelle assemblée, quelle que soit sa couleur.

 Tout ceci peut paraître  compliqué et  éloigné des préoccupations des citoyens. Mais faire une « révolution » par la voie démocratique, cela implique du temps et de la complexité.

 Pierre-Yves Cossé

Février 2017