Présidentielle : changez le programme !

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1738  mots
Verra-t-on un jour en France des candidats à l'élection présidentielle présenter un vrai programme, destiné à être appliqué, et se préparer vraiment à gouverner ? Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan.

La démocratie est soumise à des exigences contradictoires. Assurer dans le temps la cohérence de l'action et respecter les engagements pris au jour le jour devant les électeurs n'est pas la moindre. La succession et l'enchevêtrement des programmes est un indice de la difficulté, aggravée par le régime présidentiel.

 Des programmes enchevêtrés et contradictoires

Pour gagner une élection, il faut un programme, de grandes affiches qui fassent rêver ou tout au moins plaisent au plus grand nombre. Sont omises les mesures qui fâchent, augmentation d'impôts, réduction des avantages acquis. Sont retenues les dispositions qui satisferont l'électorat visé, sanctionnant les méchants et récompensant les bons.

Le point de départ est le programme du parti inspiré, peu ou prou, par son idéologie et imposé à son candidat. En fait dans une élection présidentielle le prétendant a une marge de manœuvre et les experts en communication remplacent les militants. On peut même dire que dans les années 1980, ils ont pris le pouvoir, décidant de ce qui est vendable à l'opinion, sondages à l'appui. Nul besoin qu'ils aient des liens avec le parti de leur candidat, pourvu qu'ils trouvent le message ou l'image qui accroche. Dans les années 80, l'expert de Michel Rocard était un giscardien talentueux.

Si le parti entre dans l'ombre, les lobbys en sortent, par dizaines, des chasseurs ou pêcheurs à la ligne aux défenseurs des espèces menacées. Ils font des conférences de presse, lancent des appels et écrivent aux candidats. Les équipes bénévoles autour des candidats répondent à chaque lobby et font des promesses, accumulant les contradictions, puisque les intérêts de différents lobbys divergent. Si le lobby est puissant, les candidats intègrent dans leur discours public leurs revendications.

Mesures spectaculaires

La dynamique de campagne suscite souvent l'apparition de mesures spectaculaires absentes du programme initial et rarement étudiées. Ainsi est apparue la taxation à 75%, quasi confiscatoire, dans la campagne de François Hollande. A la fin du processus, l'électeur a vu défiler trois programmes, celui du parti, celui du candidat et celui de la campagne. Sait-il que cela aboutit à un ensemble inapplicable, méconnaissant les contraintes internationales et conjoncturelles, dépourvu de mode d'emploi et de calendrier ?

Les cyniques estiment que moins il y a de mesures moins le programme est mauvais. Ainsi, le programme de François Hollande serait moins mauvais que celui de François Mitterrand : 60 contre 110. De tous ces programmes, la majorité des électeurs n'a retenu que quelques mesures phares.

 Peu d'hommes politiques ont échappé à la contradiction. Churchill a promis en 1940 du sang et des larmes, mais c'était la guerre et en 1945 il a été battu. Si Pierre-Mendès France ne s'est pas présenté à l'élection présidentielle, c'est pour une part parce qu'il ne voulait pas être pris par la surenchère liée à ce type de scrutin. Le cas de Jacques Delors est comparable. Raymond Barre a un peu résisté, même s'il avait promis cent mille crèches de trop, mais il n'a pas été élu. Les grands cyniques, comme Jacques Chirac ou François Mitterrand, sont parfaitement à l'aise dans le temps de l'élection et des promesses et vivent parfaitement la contradiction.

 Pas de véritable programme de gouvernement

Après l'élection, il faut gouverner et pour gouverner, il faut un programme. Une mutation est nécessaire et, à ce moment charnière, la démocratie française fait moins bien que les autres. Alors qu'il faudrait se donner un peu de temps, en jouant- artificiellement- de l'effet de surprise et préparer les esprits au retour du réel, la précipitation l'emporte dans notre dispositif. Le Président, le jour de son entrée à l'Élysée, nomme un Premier ministre, qui le plus généralement n'a pas été préparé à sa mission. Dans les deux jours qui suivent, les ministres sont nommés à des postes qu'ils découvrent. Les jours suivants, sollicités par les médias, ils commencent à parler sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas. Bien évidemment, à aucun moment, le programme de gouvernement, pour le Premier ministre et chaque ministre, n'a été examiné, de façon bilatérale ou en équipe.

Nous sommes tellement habitués à ces pratiques aberrantes, qu'au cas où le processus dure un peu plus qu'à l'habitude les médias s'impatientent et parlent de crise. Connaissez- vous une organisation de la société civile qui en deux jours renouvellent tout son état- major, en modifiant son organigramme, et en s'abstenant d'expliciter son plan d'action ?

Une précipitation spécifique à la France

Cette précipitation est spécifique à la France. Dans les pays voisins, où il est vrai que les gouvernements de coalition sont fréquents, la mise au point du programme de gouvernement et sa composition prend plusieurs semaines, voire plusieurs mois (Pays-Bas) Et les programmes sont effectivement mis en œuvre.

 Il existe un correctif, la déclaration du Premier ministre à l'Assemblée nationale, généralement suivie d'un vote de confiance, qui devrait expliciter l'action du gouvernement. Ce correctif a parfois été prometteur dans le passé. L'exemple le plus marquant est le discours sur la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, qui offrait une vision et proposait une méthode (la contractualisation). Ce discours, préparé essentiellement par Simon Nora et Jacques Delors, n'avait été soumis ni au Président Jacques Pompidou ni à ses collaborateurs (Marie-France Garaud) Jacques Chaban-Delmas ne put résister longtemps à l'opposition larvée de L'Élysée et finit par démissionner. Depuis, les Premiers ministres sont devenus plus prudents et plus lénifiants. La tendance s'est accentuée avec le quinquennat et la centralisation du pouvoir à la Présidence. Quel souvenir a laissé la déclaration du premier « collaborateur » de Nicolas Sarkozy, François Fillon, et celle de Jean- Marc Ayrault ?

 Les Primaires, nouvelle source de contradictions

 La généralisation des Primaires devrait accroitre l'enchevêtrement et les contradictions, puisqu' un nouveau programme est présenté à l'électeur. Logiquement, il devrait être plus concis et cohérent puisqu'il s'adresse à un électorat plus limité et plus homogène. C'est compter sans la tactique suivie par les candidats pour accroître la participation électorale. Ainsi, Nicolas Sarkozy cherche à attirer les électeurs de Marine Le Pen aux primaires et Alain Juppé les électeurs de François Bayrou et les déçus de François Hollande...sans perdre les électeurs du parti républicain. Lors du premier tour de l'élection présidentielle, le recadrage de ces programmes est inévitable, la cible électorale et les candidats en présence ayant changé une différenciation.

 De faibles chances de sortir du flou et de l'improvisation en 2017

 Après les primaires, verra-t-on la cohérence et la méthode s'améliorer ? Plusieurs candidats annoncent que ce coup-ci leur programme de campagne sera leur programme de gouvernement et ils écrivent des livres pour le démontrer. Reconnaissons que l'effort de précision est manifeste, en particulier dans le domaine économique, social et financier. Constatons néanmoins que l'imprécision demeure sur la nature des économies budgétaires et sur la politique européenne définie en chambre sans dialogue préalable avec nos principaux partenaires.

Plus grave, dans le domaine sensible du terrorisme et de l'immigration, au moins un candidat propose des mesures à la fois irréalistes et provocantes, l'internement préalable systématique.

Au stade actuel, tous les candidats sont muets sur les pratiques et le calendrier de mise en place du gouvernement et de définition de son programme. Aucun n'envisage de pressentir dès le lendemain des primaires quelques personnalités pour se préparer à de grands postes ministériels et n'a précisé la structure gouvernementale qu'il retiendra. L'expérience montre pourtant que ce qui n'a pas été préparé avec précision avant la constitution du gouvernement est rarement mis en œuvre et que les meilleurs ministres sont ceux qui ont appris avant. Un de nos meilleurs ministres, celui de la Défense, était quasiment prêt.

Rappelons un précédent. Les grandes lois du Front populaire adoptées durant l'été 1936 avaient été préparées au sein de la SFIO par un groupe d'experts autour de Jules Moch. Certains de nos candidats s'engagent à écrire des projets de loi d'ici mai 2017. Espérons.

 Réinvention du programme par Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron est le mieux placé pour réconcilier les électeurs avec les programmes, parce qu'il est nouveau, crédible, actuellement indépendant des partis et que... ses chances pour 2017 sont faibles. Il dit avoir beaucoup consulté sans tomber dans l'illusion de la démocratie participative. Il sait que ce n'est pas en faisant l'addition ou la synthèse des attentes de nos concitoyens que l'on aboutit à un programme pour les cinq ans à venir. Qu'il écoute, c'est bien, mais surtout, qu'il invente. Qu'il invente un nouveau type de programme : ni un inventaire détaillé de mesures, ni un énoncé irréaliste de tout ce qui sera fait dans le quinquennat ; un programme qui laisse de la place à l'environnement et l'imprévu, sources de contraintes et d' opportunités.

Ce qui est nécessaire, c'est une vision de la France dans le temps et dans l'espace, d'une France trouvant sa place dans la mondialisation et respectueuse des valeurs qui ont fondé la République, la liberté et la justice. Une France consciente des réalités, qui accepte le changement et soit ouverte aux autres.

Ce qui est nécessaire ce sont des orientations sur ce qui devra changer et sur ce qu'il faut conserver, à la fois lucides et positives.

Ce qui est nécessaire c'est une indication de la méthode de gouvernement, un partage explicite des rôles entre tous les acteurs, publics et privés et l'annonce d'un rendez-vous à mi-parcours.

Ce qui est nécessaire c'est une annonce de ce qui sera fait dans les six premiers mois (sans tomber dans le mythe des cent jours) et de quelques dispositions immédiates « simples et pratiques »

 Bien sûr, les critiques dénonceront l'absence d'un « vrai programme » Il faudra du talent, la mobilisation des supporters et un appui de l'opinion pour faire accepter une approche réaliste et ambitieuse, respectueuse des citoyens, faisant appel à leur intelligence et à leur sensibilité.

Emmanuel Macron pourra alors dire qu'il a fait du neuf.