Taisez-vous Elkabbach !

Ne serait-il pas temps pour Jean-Pierre Elkabbach d'écrire ses mémoires? Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

L'apostrophe fameuse de Georges Marchais, le grand comique radiophonique et télégénique des années 75/80, aurait été prononcée lors de l'émission « Cartes sur Table «  animée par Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel. Aucun enregistrement n'en a gardé la trace mais des millions de personnes affirment l'avoir entendue. Nos duettistes n'aimaient pas l'Union de la Gauche et souhaitaient la réélection de VGE.

C'était leur droit le plus strict mais cela se voyait et s'entendait, notamment lors d'une émission entre les deux tours de l'élection présidentielle où ils cherchèrent à miner le ralliement du PC à François Mitterrand en provoquant Georges Marchais, qui tint bon. Le résultat fut que le 10 Mai, sur la place de la Bastille, leurs têtes furent demandées sur l'air des lampions et obtenues, le duo disparaissant un temps de la télévision nationale.

 Elkabach présentateur sur la première chaîne en... 1970

Leur carrière rebondit rapidement. Alain Duhamel, souvent repéré sur sa mobylette, continua sa carrière de journaliste et s'imposa progressivement comme un de nos meilleurs analystes politiques, à l'oral comme à l'écrit, tout en prenant le risque de se faire des ennemis par ses choix politiques. Si à 75 ans, il a pris du champ par rapport à l'actualité, ses apparitions sont toujours remarquées et appréciées par le plus grand nombre.

Jean -Pierre Elkabbach, son aîné, qui, dès 1970, était présentateur sur la première chaîne, est, lui, toujours investi dans le journalisme au quotidien. Il est présent sur Europe no 1 dans l'Invité du Matin ».  Faisant partie de la poignée de publiphobes entêtés, je ne regarde ni n'écoute presque jamais les chaînes financées par la publicité. En revanche je regarde fréquemment « Bibliothèque Médicis » une émission de la chaîne Parlementaire Sénat, enregistrée chaque semaine dans une superbe salle du Palais du Luxembourg, aménagée au 19è siècle en bibliothèque. Le goût de l'inattendu est nécessaire car le sujet n'est pas annoncé à l'avance, au moins sur Télérama.

 Une grande frustration

Jean- Pierre Elkabbach étant une institution, il n'a pas de peine à faire venir les auteurs les plus connus, dont les livres ont été remarqués, dans tous les genres littéraires. Ce serait un plaisir d'écouter ces personnalités, généralement exceptionnelles, parler de leurs œuvres, si l'animateur ne leur coupait trop fréquemment la parole. Bref, on entend trop Elkabbach et pas assez ses invités, au point d'éprouver une grande frustration, d'autant que comme dans beaucoup d'émissions les invités sont trop nombreux. L'animateur ne lit sûrement pas tous les livres qu'il présente mais ses collaborateurs lui ont préparé des fiches, utilisées avec professionnalisme, et une conclusion écrite qu'il lira, quoiqu'il arrive.

Questions de bas niveau

Lorsque l'interviewé est seul en face de Jean-Pierre Elkabbach, l'inconvénient est moindre, car le « grand homme » un professionnel parvient à contenir le verbe de son questionneur et à équilibrer le débat. La frustration est d'une autre nature. JP Elkabbach, surinformé, sur ce qui fait du bruit dans l'actualité, sur les «  foutaises élevées à la catégorie d'évènements » multiplie les questions de bas niveau et abaisse le débat. Interrogeant Jean- Louis Debré sur son Journal 2007/2016,  « Ce que je ne pouvais pas dire », il cherche à lui faire dire qu'il va s'engager dans la campagne des présidentielles pour barrer la route à Nicolas Sarkozy. Son livre serait quasiment un manifeste électoral. Le président sortant du Conseil Constitutionnel rejette l'insinuation. Elkabbach revient plusieurs fois à la charge. A croire qu'il a en face de lui Georges Marchais...

Notre Premier Ministre a su esquiver des questions oiseuses sur des ressemblances futiles et des anecdotes sans intérêt. Manuel Valls est apparu à son avantage. La culture, chez ce fils d'un peintre catalan, compagnon d'une musicienne, occupe une place importante dans sa vie personnelle tout autant que politique. Il a la phrase juste pour évoquer Picasso. Ce méditerranéen sensible et fougueux, qui a parfois de la peine à maitriser ses passions, se sent proche d'Albert Camus, autre méditerranéen.

Il existe une troisième catégorie de « Bibliothèque Médicis » Un thème d'actualité est retenu, des spécialistes, écrivains ou non, sont réunis et l'on débat selon les humeurs d'Elkabbach.

Des idées précises sur Daech

Vendredi dernier, le thème était « Le piège Daech » Autour de la table, des auteurs de livres récents, Pierre-Jean Luizard, Bidar Abdenou, Céline Pinard , un homme d'action-un préfet- et une femme d'action également, une sénatrice centriste.

Abdenou et Céline furent pratiquement dispensés de présenter leurs ouvrages. Il leur suffisait de répondre aux questions de JP Elkabbach, qui avait des idées précises. Il fallait dire quand Daech serait écrasé militairement et donc le problème résolu. L'universitaire consulté en premier, PJ Luizard, expert éminent, barbu et broussailleux, eut le tort de considérer que l'aspect militaire était second et que le problème principal était le devenir des sunnites, nullement prêts à accepter le retour de l'état irakien chiite avec ses excès. Sans une solution politique acceptable par eux rien ne serait réglé et le succès militaire un leurre. Cette réponse déplut, d'autant que l'expert précisa que Daech fut accueilli en libérateur à Mossoul et qu'il y comptait encore des partisans. Le barbu fut traité de « complaisant »

Lorsque le problème du traitement des djihadistes de retour en France et de la mise en place de « centres de déradicalisation » fut abordé, JP Elkabbach l'interrogea à nouveau. Pas de chance. Notre universitaire juge cette solution bonne pour des alcooliques et des drogués mais puérile pour des djihadistes. C'était de trop, la parole lui fut retirée et on ne saura pas s'il avait une solution de substitution à proposer (peut-être n'en avait-il pas...)

On n'entendit pas assez Abdennour Bidar, philosophe, observateur des secousses qui agitent le monde islamique, militant de la laïcité, auteur d'un livre qui vient de sortir , "Les Tisserands/ Réparer ensemble le tissu déchiré du monde ».  Ses initiatives pour « retisser » les liens entre les citoyens à travers leurs réseaux quelles que soient leurs convictions, notamment en organisant de grandes réunions sur le terrain n'intéressèrent guère Elkabbach. Trop pointillistes, trop idéalistes, bref trop « Nuit Debout » par rapport aux enjeux actuels, qui exigent dureté et réalisme.

Les autres intervenants purent faire part de leurs expériences et échanger. Céline Pinard, qui a démissionné du PS, dénonça le « silence coupable » de la gauche.

 Organiser une confrontation équilibrée

Sur des sujets aussi complexes, les points de vue sont différents et la confrontation est nécessaire. Le métier du journaliste est d'organiser cette confrontation de façon équilibrée. En revanche, il n'a pas à opposer son avis personnel- qu'il a comme tout citoyen- à celui d'un expert ou d'un praticien. On n'a que faire de l'opinion de Jean -Pierre Elkabbach sur Daech. Il peut changer de métier, mais il se fait tard.

A 77 ans et après quarante cinq ans d'interventions régulières à la télévision, le moment n'est-il pas venu , Jean-Pierre Elkabach, d'écrire vos souvenirs, qui seront d'une richesse exceptionnelle, puis de venir les présenter à Bibliothèque Médicis. Votre successeur vous accueillera  chaleureusement. Il n'y a aucune chance qu'il vous dise « Taisez-vous Elkabbach »

Pierre-Yves Cossé

Mai 2016

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Commentaires 9
à écrit le 18/09/2016 à 20:58
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C'est le gars qui ne peut pas poser une question sans développer une thèse de 3 minutes ? D'accord avec vous mais il 'est que l'arbre qui cache la forêt.

à écrit le 26/05/2016 à 5:04
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Pascal Nguyen. Rien ne changera en France. Pays de gerontocrate. Il est facile de verifier cette assertion. Voir le senat & autres. C'etait deja comme cela il y a 40 ans. Les jeunes peuvent crever.

à écrit le 25/05/2016 à 20:30
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C'est vrai que JP Elkabbach est un journaliste insupportable : cela doit d'ailleurs se ressentir dans les taux d'écoute des émissions où il passe, télé et radio.

à écrit le 25/05/2016 à 19:08
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Bien vu Monsieur Cossé. Ce type est énervant par ses commentaires déplacés et qui interrompent fréquemment l'expression de la pensée des invités souvent de haut niveau de compétence. Comme il est le porte parole d'une partie de la droite conservatri...

à écrit le 25/05/2016 à 15:45
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Au passage on remarque un autre problème dans le paysage audiovisuel (et politique) français: les têtes ne changent jamais. Ce sont toujours les mêmes qui restent aux manettes. A quand le vrai changement?

à écrit le 25/05/2016 à 15:42
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Superbement résumé Monsieur Cossé. Et c'est la raison pour laquelle je me passe de ce genre d'émissions sur les chaînes françaises; qu'elles soient financées par la publicité ou pas. :oP

à écrit le 25/05/2016 à 10:54
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Oui Elkabach à la retraite il a pour vivre à 77ans et on veut mettre les ouvriers à 62 ans Avec 1000€ la honte monsieur et monsieur Mazerol

à écrit le 25/05/2016 à 9:18
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«Bref, on entend trop Elkabbach et pas assez ses invités» Monsieur Voilà le grand malaise de la radio et de la télé françaises. Les invités sont des faire-valoir pour animateurs. Sur Arte j'ai entendu une animatrice de Thema interrompre et subm...

le 25/05/2016 à 11:04
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Ah non, yves calvaire ne pourrait pas se passer de ses invités, il passe son temps à répéter tout haut ce que tous le monde à très bien compris, c'est une sorte de traducteur francais-francais vraiment pénible, qui se déclenche de manière quasi perma...

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