Présidentielle : feu les programmes

Par Pierre Yves Cossé  |   |  772  mots
Quand les programmes ne comptent plus, s'impose l'image, la capacité apparente à "faire président". Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

A ce stade de la campagne, l'électeur semble indifférent aux programmes. Comment comprendre autrement l'enthousiasme pour le candidat Mélenchon, dont le programme est synonyme de régression économique, d'appauvrissement de la majorité des Français et de démobilisation « munichoise » s'agissant de la défense.

Cette indifférence est d'abord une réaction de bon sens. Comment les électeurs pourraient-ils attacher de l'importance à des catalogues de la Belle Jardinière aux centaines de mesures ? Ces catalogues sont en dehors du champ du possible. Un pays ancien et complexe comme le nôtre peut se réformer profondément, mais pas en quelques années et encore moins en un été. Un candidat réaliste devrait fixer un cap, fixer les grandes orientations, expliciter une demi-douzaine de grandes réformes et annoncer quelques mesures immédiates. C'est ce que voulait faire Emmanuel Macron, qui avait critiqué l'irréalisme des catalogues et rappelé que pour une part l'action d'un gouvernement est affaire de circonstances et est ouverte à l'inattendu et au nouveau. Que n'avait-il pas dit ? Les observateurs professionnels et les journalistes ont réclamé à cor et à cri le catalogue, le catalogue... Emmanuel Macron a dû céder. Et, une fois publié, bien peu ont pris la peine d'analyser en détail le contenu, dont, cependant, l'élaboration avait demandé beaucoup de travail, comme d'ailleurs le catalogue d'autres candidats (Fillon, Hamon). Le monde des « sachants » se complait dans le convenu et le,formel.

Le fruit de l'expérience

Cette indifférence est également le fruit de l'expérience. Les électeurs, dépolitisés et méfiants, constatant l'absence de résultats économiques sous les deux derniers quinquennats et sous la présidence de Jacques Chirac, sont convaincus qu'il existe un abîme entre les promesses faites et l'action menée. Ils ont sous leurs yeux le spectacle d'un président des États-Unis qui, quelques semaines après son élection, fait le contraire de ce qu'il avait annoncé dans le domaine de la politique étrangère : Syrie, Russie, Chine. Et même la lettre de rupture adressée à Bruxelles par Theresa May peut être lue comme un hymne à l'Europe. Les engagements ne concernent que ceux qui les entendent, comme aurait dit Jacques Chirac. Jamais Marine Le Pen ni Jean-Luc Mélenchon ne feront jamais sortir la France de l'euro, de l'Union européenne, de même que Hollande n'a pas rejeté le traité européen. Ce sont des « paroles verbales » selon la formule de Gaston Deferre. Pourquoi s'inquiéter ?

La capacité à "faire président"

Si le programme n'est pas le critère pertinent pour l'électeur, quel est le bon critère. Apparemment, ce n'est pas la morale, la rigueur financière ni le respect de la parole donnée. Autrement, deux des principaux candidats seraient disqualifiés. Il semble que ce soit la capacité à « faire président » Les deux derniers n'ont pas correspondu à l'attente des Français, Nicolas Sarkozy trop agité, provocant, parfois un peu voyou ne rassurait pas. François Hollande, hésitant, mou, cultivant la familiarité avec les Français et les journalistes a donné une impression de faiblesse engendrant un doute permanent. L'électeur récuse le président « normal » comme l'agité chronique. Ils veulent un « monarque républicain » qu'ils puissent admirer et respecter tout en le critiquant.

La dictature de l'image

Pour savoir qui « fera le mieux président » le plus simple est de regarder les candidats. De ce point de vue, les débats télévisés, où les candidats étaient côte à côte, ont eu de l'importance. À ce jeu, Jean-Luc Mélenchon s'est imposé et a occupé pleinement la scène: stature physique, maîtrise de soi, aisance verbale, sens de la formule et des réparties et même ancienneté. À sa manière, François Fillon, en dépit de son handicap, a bien tenu sa place d'ancien ministre, familier des grands, connaissant ses dossiers. Ils ont tous deux « fait parfaitement président » quelles que soient les critiques sur le fond. Les autres candidats faisaient moins présidents, même Emmanuel Macron, dont l'agilité intellectuelle et le sérieux étaient pourtant évidents.

Si l'électeur devait en rester là, l'avenir est sombre. C'est l'image qui ferait l'élection, une image fugace par définition, qui ne reflète pas nécessairement la vérité des hommes. Le reste, c'est-à-dire ce qui est important, serait accessoire. La versatilité de l'électeur dominerait jusqu'à la fin et les résultats seraient imprévisibles.

Me reviennent en mémoire les propos d'un grand Cassandre, Pierre Mendès-France, qui avait annoncé ce processus.

Pierre-Yves Cossé

Avril 2017