Cette "drôle de guerre" de l'économie mondiale...

Par Sébastien Laye  |   |  1017  mots
Entre le 17 et le 25 Aout, l'Index de Shangai perd un quart de sa valeur. Ce krach boursier chinois, qui entraine dans son sillage tous les indices mondiaux, est interprété comme un reflet d'un soudain ralentissement chinois.
La période actuelle, avec ses réponses politiques, et notamment l'injection massive de liquidités, en Chine, aux États-Unis ou en Europe pour soutenir des Bourses en difficultés, rappelle l'inertie des débuts de la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences économiques pourraient être terribles pour la France. Par Sébastien Laye, entrepreneur et financier, Laye Holdings LLC.

The "Phoney War"... ou la "drôle de guerre", comme disent les Français, désigne cette curieuse période entre le 3 septembre 1939, date de la déclaration de guerre de la France et de l'Angleterre à l'Allemagne, et le 10 Mai 1940, qui marqua le début réel des hostilités avec l'invasion de la Belgique et des Pays-Bas par l'Allemagne.

A l'instar de cette longue période d'inertie et d'apathie, alors même que s'accumulaient les menaces, nous pensons que la période actuelle est une « drôle de guerre » économique portant en germe de nombreux dangers pour l'économie française. Et, comme en 39-40, l'aveuglement est là, mais aujourd'hui il s'agit de celui des dirigeants des principales économies et des investisseurs financiers en particulier, qui s'illusionnent avec la bonne tenue des Bourses après l'avertissement chinois récent.

Entre le 17 et le 25 août, l'Index de Shanghai perd un quart de sa valeur. Ce krach boursier chinois, qui entraîne dans son sillage tous les indices mondiaux, est interprété comme un reflet d'un soudain ralentissement chinois. En réalité, l'économie chinoise est dans une phase complexe de son cycle de croissance depuis au moins cinq ans. Après une période d'une quinzaine d'années, reposant sur le développement de ses infrastructures, le rattrapage industriel, l'exode rural et un modèle fondé sur l'exportation - piloté de manière pharaonique et avec un certain succès par le pouvoir central -, cette première étape a commencé à s'enrayer dès 2009 avec les difficultés des clients occidentaux de la Chine lors de la crise.

De l'inutilité des réponses politiques

Les immenses injections de liquidités du pouvoir central ont certes jugulé la possibilité d'une lourde récession a l'époque, mais le pouvoir central chinois est démuni car la deuxième étape nécessaire pour l'économie chinoise, celle du développement de la consommation domestique et du réinvestissement de l'épargne populaire dans des projets cohérents, ne dépend pas de lui : un gouvernement peut imposer des constructions et des conditions de crédit expansionniste, mais il ne peut décider de la consommation des individus.

Ce constat, associé à des années de mal-investissement avec la possibilité d'une crise du crédit chinois (les économistes qualifient de "Moment Minski" cette épineuse étape du cycle de crédit), est connu depuis plusieurs années; en réalité, ce qui a déclenché la crise boursière chinoise est le constat du manque d'efficacité et de l'inutilité des réponses de politique économique du pouvoir central, notamment la dévaluation du yuan.

Une interprétation erronée de la Bourse

Lorsque les marchés financiers chinois  ont paru au bord de l'abime, les marchés européens ont enregistré quelques secousses avant de se ressaisir, et les gouvernants européens n'ont eu de cesse de rappeler à l'unisson à leurs opinions publiques que nos économies, si ce n'était pour certaines industries exportant vers l'Asie, étaient largement indépendantes de l'économie chinoise. Et de citer amplement pour étayer leur thèse la bonne tenue in fine des marchés financiers européens à l'aune de cette crise ( le CAC40 par exemple n'aura effacé qu'un peu moins de 10% de sa valeur).

Bergson, dans l'Energie Spirituelle, a introduit sans son explication des rêves le concept de paréidolie (de para, à côté de, et eidos, forme): comme dans le test de Rorschach, la paréidolie est une illusion optique qui conduit notre cerveau à donner un sens clair et identifiable à un stimulus informe et ambigu. Cette période de « drôle de guerre » économique dans laquelle nous entrons est fondée sur le même type d'interprétation erronée de la Bourse: ce qu'a démontré le krach chinois, ce n'est pas tant l'état où se trouvait l'économie chinoise - bien connu de tous et normal à l'aune de son développement -, mais plutôt l'inefficacité des politiques économiques chinoises dites non conventionnelles (quantitative easing ou achats de titres financiers par les banques centrales).

Des mesures exceptionnelles... aux résultats mitigés

A l'heure où l'Amérique tourne la page de ces mesures exceptionnelles avec un bilan mitigé (des années de taux d'intérêt très bas ayant eu pour seul effet clair une reflation de certaines bulles financières et immobilières, alors que d'autres facteurs expliquent l'essentiel de la reprise économique), l'Europe, qui a prévu de les amplifier pour sortir de l'ornière ou elle se trouve, a peu de chances de réussir là où la Chine a manifestement échoué.

L'économie française bénéficie d'un alignement positif des planètes sans précèdent en théorie : taux d'intérêt bas, euro à un faible niveau, prix du pétrole très bas, politique monétaire européenne accommodante. Ce contexte exceptionnel a peu de résultats tangibles actuellement, du fait des effets d'hysteresis bien connus en économie (persistance d'un phénomène économique alors que sa cause principale a disparu), mais aussi car l'absence d'ambitieuses reformes structurelles (cout et structure du marché du travail, fiscalité) ne nous permet pas d'en profiter pleinement et jugule notre croissance potentielle.


D'énormes défis pour la France

Mais il y a beaucoup plus grave pour l'économie française : les efforts de la BCE, comme l'ont compris ceux des financiers qui ont massivement vendu des titres quand le roi chinois s'est avéré bien nu, sont probablement voués à l'échec ; quant à l'économie américaine, en expansion depuis six ans, elle a une forte probabilité statistique de traverser une récession au cours des deux prochaines années.

La France n'a donc pas encore profité de la reprise économique mondiale qu'elle court le risque de faire face à des défis incommensurables. Ses dirigeants doivent se garder d'interprétations simplistes et prêter attention au cycle du crédit mondial. Car quand les agents économiques auront sonné le glas de cette drôle de guerre, il faudra naviguer à travers une nouvelle récession.