« Merkozy » s'est suicidé (e)

Par Romaric Godin  |   |  1061  mots
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En touchant à la BCE, Nicolas Sarkozy a définitivement rompu son alliance avec Angela Merkel. Une rupture qui fait, en fait, les affaires de la chancelière.

"Merkozy" s'est suicidé(e) ce dimanche, place de la Concorde. On le (la  ?) savait du reste en mauvaise santé depuis plusieurs semaines. Qu'il est loin le temps où la "fusion" indivisible des deux chefs de l'exécutif français et allemand ouvrait la voie à la nouvelle Europe des règles d'or et des sanctions budgétaires renforcées et où l'on attendait Angela dans les meetings pour soutenir son "cher Nicolas" ! Mais cette fois, son sort semble réglé. Ses propres contradictions l'auront achevé(e).

Sens de l'histoire

Plus question de cela. Nicolas Sarkozy a bien eu raison de rappeler 1792 et Valmy dans son discours. En réclamant la révision du statut de la BCE au nom de la lutte contre la déflation, il a un peu, comme les Girondins alors, déclaré la guerre à l'Allemagne pour des raisons de politique intérieure. Il aurait pu aussi vêtir les oripeaux, moins glorieux il est vrai d'Emile Ollivier, le président du conseil de juillet 1870. Car l'indépendance de la BCE, c'est la condition sine qua non de la présence de la première économie d'Europe dans la zone euro. Il n'y a là aucun compromis possible et en évoquant ce sujet, il a tiré la balle qui a achevé "Merkozy".

Le président français le sait bien. Il avait déjà, à l'automne, tenté d'évoquer la question d'un statut de "prêteur en dernier ressort" de la BCE et avait été sèchement éconduit par le gouvernement allemand. Il était rapidement rentré dans le rang et s'était aligné sur les positions de Berlin. Pour l'Allemagne, le sens de l'histoire est bien différent de celui que prétend faire désormais emprunter à l'Europe le candidat Sarkozy. Dans son esprit, si la zone euro veut être viable, elle doit adopter les principes de l'ordolibéralisme qui ont fait le succès de la RFA des années 1950 et 1960 : un Etat discret, une politique salariale mesurée, une politique budgétaire stricte et une banque centrale strictement indépendante et focalisée sur la seule politique monétaire et la lutte contre l'inflation.

Remise en cause du nouveau traité ?

Nicolas Sarkozy avait adopté cette Weltanschauung  (cette "vision du monde") lorsqu'il avait accepté le traité budgétaire proposé par Berlin. Ce traité est la deuxième tentative de Berlin pour faire de l'Union économique et monétaire une zone de compétitivité à l'allemande où certains pays cessent d'appuyer leur croissance sur la demande intérieure subventionnée par l'Etat. En renforçant les règles budgétaires grâce à ce nouveau traité, on imposera une baisse des dépenses ou une hausse des taxes sur la consommation dans les pays les moins compétitifs, dont la France. La logique de ce traité est donc incompatible avec une BCE "soutenant la croissance". Car si la BCE soutient la croissance par la planche à billets ou le rachat massif de titres d'Etat, alors les efforts de consolidation budgétaires deviendront inutiles. On favorisera les déficits budgétaires au lieu de les combattre et l'on créera une dangereuse spirale inflationniste. Le 9 décembre dernier, cela allait de soi pour "Merkozy".

Prix de l'euro

C'était du reste le prix à payer pour sauver l'euro. Il est impossible aujourd'hui de prétendre vouloir conserver la monnaie unique et de modifier le rôle de la BCE. Jamais, en effet, l'Allemagne ne tolérera de revenir sur l'indépendance stricte de cette institution qui était une condition non discutable lors de la création de la monnaie unique. Elle préférera alors sortir de la monnaie unique. Pour deux raisons : le traumatisme de la grande inflation, évidemment, qui est toujours plus fort outre-Rhin que celui de la politique déflationniste des années 1930, mais aussi la volonté de ne pas devenir la "vache à lait" à l'infini des pays les moins compétitifs. Angela Merkel a fait beaucoup de concessions au cours de cette crise, mais elle ne pourra jamais aller jusqu'à la révision du statut de la BCE.

Poids de la Buba

Du coup, le fossé entre les deux anciens promeneurs de Deauville ne cesse de se creuser. Angela Merkel a ce lundi désavoué ouvertement son ancien "cher Nicolas". Et assez sèchement. "La position de l'Allemagne sur la BCE et sur son rôle indépendant est connue. Elle est également connue à Paris et elle est inchangée depuis longtemps", a rappelé le porte-parole du gouvernement. Autrement dit : nous, nous ne changeons pas et nous sommes cohérents. Comment pouvait-elle faire autrement ? Chaque semaine, la Bundesbank, dont le prestige outre-Rhin est difficilement imaginable pour un Français, critique sa politique budgétaire et européenne. Cette Buba qui, justement, fait actuellement pression avec ses alliés néerlandais, autrichiens et luxembourgeois sur la BCE pour qu'elle renonce à ses rachats d'obligations et à ses généreuses dotations aux banques. Ne pas désavouer Nicolas Sarkozy aurait signifié désavouer ces efforts. En termes de politique intérieure, c'eût été fort dangereux car, au sein même de son parti, on est très sensible aux critiques de la Buba. Et l'on n'acceptera pas de toucher à l'indépendance de la politique monétaire.

Cuisine politique allemande

Or, et c'est la clé de ce suicide de « Merkozy », comme son ancien ami, Angela Merkel veut conserver sa place après les élections de septembre 2013. Sa seule chance de demeurer chancelière repose actuellement sur deux piliers elle doit ne pas être contester dans son camp et, compte tenu de la nouvelle géographie politique allemande et de la montée des « pirates », elle doit ne pas heurter les Sociaux-démocrates afin de reconstituer une "grande coalition" dont elle prendrait la tête. On comprend que, désormais, la victoire de Nicolas Sarkozy n'est plus aussi impérative pour elle que voici deux mois. Au contraire, en désavouant les rodomontades du candidat UMP, elle montre de la bonne volonté du côté du SPD et affiche sa fermeté ordolibérale vis-à-vis de son propre camp. L'hôte de l'Elysée n'est décidément plus un atout pour la locataire de la chancellerie. Et "Merkozy" appartient désormais à l'histoire. Sauf, évidemment, en cas de réélection de Nicolas Sarkozy. Les deux mois de campagne et leurs promesses pourraient être vite oubliés....