Europe : Hollande rêve-t-il ?

Par Romaric Godin  |   |  1168  mots
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François Hollande veut s'appuyer en Europe sur une illusoire puissance de la France. Un rêve qui risque de se briser sur les réalités des rapports de force actuels au sein du vieux continent.

Les périodes de campagne électorales ont ceci d?agréable qu?elles permettent de rêver un peu. On se surprend ainsi à écouter avec plaisir les candidats parler de la grandeur et de la puissance de la France. Prenons François Hollande, par exemple. Mercredi matin, sur France Inter, le candidat socialiste a répété ce qu?il a également dit au quotidien allemand Handelsblatt : il renégociera, quoi qu?il arrive le nouveau traité budgétaire. Et pour cela, il va s?appuyer sur « la baguette magique (?) du vote du peuple français ». Et d?ajouter : « ce qui va se décider en France va compter pour la direction de l?Europe ».

Le rêve de la puissance

Enfin ! Enfin, la France est à nouveau capable d?imprimer sa marque au Vieux continent. Elle donnera le « la » aux gouvernements européens et inspirera les peuples qui, de l?Atlantique au Dniepr, attendent avec impatience son choix pour la suivre. On se croirait revenu au temps du Directoire, lorsque les républiques s?urs européennes copiaient nos institutions, notre vie politique et nos décisions économiques. Dans ses conditions, évidemment, rien ne sera plus simple que de réviser ce traité budgétaire. Le peuple français veut un volet de croissance ? Il y aura un volet de croissance.

L?Allemagne dominante

C?est décidément bien agréable de se savoir si puissant. L?ennui, c?est qu?on se demande bien d?où elle vient, cette puissance. La France a adopté un profil bas durant toute la crise de la dette. Quoi qu?il en dise, Nicolas Sarkozy n?a pas été le moteur des décisions. Le centre de décision européen est désormais à Berlin. L?Allemagne a géré cette crise en fonction de ses propres intérêts. Et elle dessine une union monétaire à son image. La France, menacée en permanence par les marchés et les agences de notation, affaiblie par sa situation budgétaire et son manque de compétitivité, a certes parfois joué un rôle modérateur vis-à-vis des ambitions allemandes, mais elle n?a pas été un véritable contre-pouvoir à Berlin. Londres, Prague ou Stockholm ont bien davantage joué ce rôle.

Résistance à la chancellerie

La volonté de puissance de François Hollande risque donc de s?achever par la même déroute que celle de Nicolas Sarkozy lors de sa désastreuse et pathétique présidence du G-20. Car Berlin, rappelons-le, ne veut pas du « volet de croissance » proposé par le candidat socialiste. Ce traité budgétaire est l?enfant d?Angela Merkel et elle entend bien l?utiliser comme un instrument de politique intérieure. Elle ne se laissera pas dicter de Paris un volet croissance qui, vu d?Allemagne, ressemble à une première étape vers « l?Union des transferts » tant honnie.

Que faire ?

Que peut alors faire François Hollande ? Ouvrir en Europe un front contre Berlin. Monter une opposition à ce traité tel qu?il est. C?est irréaliste. Mario Monti a beau parler beaucoup de croissance ces temps-ci, il a signé le traité budgétaire, comme les 24 chefs d?Etat qui se trouveront face au candidat socialiste s?il est élu. Par ailleurs, à Madrid et à Rome, on ne veut pas se mettre à dos les marchés en se donnant des airs de résistants. Les marchés parieraient alors sur une scission de la zone euro et attaqueraient immédiatement les pays « faibles ». François Hollande pourrait aussi chercher l?appui des onze pays qui ont signé une initiative sur la croissance en février dernier, et que Paris et Berlin avaient refusé de signer. Mais ce programme est un programme libéral, d?ouverture des marchés des services notamment qui colle mal avec les propositions du candidat.

Reste la solution de la « chaise vide » dont il menace à mots couverts Berlin dans le Handelsblatt. Menace piquante puisque son principal adversaire l?avait déjà formulée dimanche. Dans ce cas, le risque serait cependant le même qu?en cas d?attaque frontale contre l?Allemagne. En 1966, lorsque De Gaulle adopta cette postion, si l'on ose dire, la France comptait plus qu?aujourd?hui en Europe et l?Allemagne... beaucoup moins. Surtout, le marché commun n?était pas aussi important que l?UE d?aujourd?hui. Le blocage de l?UE conduirait cette fois à une attaque des marchés. L?Allemagne, prenant acte de la mauvaise volonté de ses partenaires, y réfléchirait à deux fois avant de s?engager à nouveau dans le soutien à l?euro?

Le piège du 25 mai

Autre problème : le calendrier. Bundestag et Bundesrat doivent se prononcer le 25 mai sur le traité budgétaire. En fin stratège, Angela Merkel a beaucoup insisté pour maintenir cette date. A ce moment, le nouveau président français sera à peine investi. S?il est élu, François Hollande, sera en campagne pour les législatives. Il lui faudra donc montrer sa volonté d?imposer la renégociation du traité. Or, si l?Allemagne ratifie le traité, Angela Merkel pourra se réfugier derrière le vote des représentants de son peuple pour repousser toute renégociation. François Hollande aura alors le choix : ou reconnaître son impuissance au risque de perdre de la crédibilité intérieure en pleine campagne législative ou engager le rapport de force avec Berlin, au risque de déclencher une tempête sur des marchés qui ne croient aujourd?hui guère à cette option et qui en réagiront donc d?autant plus violemment. Dans les deux cas, il est perdant.

L?espoir SPD ?

Son seul espoir réel réside dans les négociations entre le SPD et Angela Merkel pour la ratification allemande. La chancelière a besoin des voix du SPD. Celui-ci exige un « volet croissance » et des Eurobonds  et pourrait donc lui imposer le programme Hollande. Mais là encore, l?espoir est mince. Le SPD est divisé sur le sujet et son aile droite, menée par le populaire Peer Steinbrück, ancien ministre des Finances, n?acceptera sans doute pas que le parti fasse échouer le traité. Surtout, la situation politique allemande a changé.

Avec la poussée des Pirates ces dernières semaines, le SPD et les Verts ne sont plus majoritaires dans les sondages. On reparle désormais d?une grande coalition. Les deux partenaires doivent donc se ménager. L?affrontement frontal entre SPD et CDU semble donc peu probable. D?autant que le SPD ne souhaitera pas apparaître comme le « cheval de Troie » du président français.« Pouvoir ce qu?on veut et vouloir ce qu?il faut » était, pour Bossuet, les deux secrets de la félicité. Un adage qui ne fait guère rêver, mais que l?heureux élu du 6 mai aura sans doute l?occasion de méditer lors de son premier voyage à Berlin.