Ceci n'est pas une réforme fiscale !

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  933  mots
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Chacun connaît le fameux tableau de René Magritte « Ceci n?est pas une pipe ». Ce chef d??uvre du surréalisme belge (le pays où la taxation des plus-values est? nulle) illustre à la perfection l?absurdité de la situation fiscale dans laquelle la France est plongée depuis la présentation du projet de loi de finances 2013. Hier donc, le gouvernement a opposé une stricte fin de non recevoir à l?amendement voté par la commission des finances visant à soumettre les ?uvres d?art à l?impôt sur la fortune. C?est Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, qui a mis fin à l?inquiétude du milieu de l?art en assurant dans « les Echos » qu?une telle intégration aurait « un coût économique considérable » et « de lourdes conséquences pour le marché de l?art et les collections nationales ».
L?argument opposé par la ministre est particulièrement intéressant dans le contexte de la réforme de la taxation des plus-values : « Le marché de l?art est un écosystème », dit-elle et l?exonération d?ISF dont bénéficient les ?uvres d?art fait partie de « l?exception culturelle française ». En d?autres termes, dans une économie ouverte où la compétition fait rage entre les grandes métropoles occidentales pour attirer le marché de l?art, un alourdissement de la taxation, déjà lourde pour les cessions, serait se tirer une balle dans le pied.


Dont acte. Mais alors comment comprendre dans ce cas qu?avec les mêmes arguments ?défendre la création d?entreprise dans une économie ouverte-, le gouvernement persiste à vouloir taxer les plus-values de cession de parts ou actions d?entreprise au barème de l?impôt sur le revenu, ce qui conduit à doubler à presque 65% le prélèvement global opéré par l?Etat ? Certes, sous la pression du mouvement des Pigeons, des ajustements ont été proposés pour tenir compte de la durée de détention des titres et maintenir, dans certains cas le prélèvement forfaitaire libératoire à 19%. Mais les conditions à réunir pour limiter la hausse d?impôt sont très strictes -détenir au moins 10% des titres et travailler dans l?entreprise ou être mandataire social- et peu adaptée à une économie moderne où la mobilité et la rapidité de mouvement sont souvent le gage de la réussite.
Les Pigeons ne sont donc pas satisfaits de l?équilibre trouvé avec Bercy, d?où leur appel commun avec d?autres associations patronales pour que François Hollande retire son projet d?aligner fiscalité du travail et de capital. Avec le même argument que celui qui a conduit Aurélie Filippeti à rejeter l?ISF sur les ?uvres d?art : tel qu?il est prévu, l?alourdissement de la fiscalité des plus-values serait nuisible à la croissance en désincitant les créateurs à le faire en France. Sous-entendu : un créateur d?entreprise est comme un artiste ou un tableau un actif facilement délocalisable. S?il n?est pas encouragé à exercer son activité en France, il peut  partir le faire ailleurs, là où la fiscalité est plus douce et moins complexe.
Bref, comme l?ont dit les Pigeons dans leur premier manifeste, l?art (ou l?immobilier) vaudrait-il donc mieux que l?entreprise et l?emploi ? Le paradoxe peut en effet apparaître choquant et on voit bien qu?il y a eu, dans le recul très rapide du gouvernement Ayrault face aux Pigeons le signe d?une mauvaise conscience fiscale. D?ailleurs, les ministres en charge à Bercy, Pierre Moscovici pour l?Economie et Jérôme Cahuzac, ont publiquement reconnu avoir fait une erreur et être prêts à la corriger.
Le problème, c?est qu?en intervenant à son tour pour tenter de récupérer un mouvement qui l?a complètement débordé, le Medef est en train de retourner complètement l?opinion publique contre les pigeons. Le communiqué signé par les douze associations d?obédience patronale et appelant à un « état d?urgence entrepreneurial » a eu un effet contre-productif sur le député socialiste de base qui assimile désormais les « gentils » pigeons entrepreneurs avec le « méchant » patronat du CAC 40. Alors que les pigeons avaient remporté la bataille de l?image et semblaient en train de gagner aussi celle des idées, le rapprochement en cours entre Medef, UMP et entrepreneurs menace de tuer un mouvement spontané jusqu?ici plutôt sympathique et de rendre impossible tout retour en arrière de la part de Hollande. Bien au contraire, alors que les pigeons font des petits, chez les médecins et les indépendants, la tentation est forte dans la majorité socialiste de durcir le ton et de siffler la fin du réveil des lobbys en durcissant les ajustements proposés par Bercy.
L?expérience montre qu?il n?est jamais bon de court-circuiter le parlement. En reculant aussi vite, les ministres ont donné d?eux une image d?amateurs et d?apprentis sorciers de l?impôt. En politisant encore plus un dossier jusqu?ici technique, le Medef a pris le risque de provoquer un blocage dont l?économie française sera la principale victime. Et le gouvernement de son côté est en train de rendre totalement illisible la réforme fiscale qu'il voulait mettre en oeuvre, et dont l'intention, louable, était de rendre l'impôt plus juste en favorisant le risque contre la rente. Force est de constater que c'est le message inverse que les acteurs économiques entendent.