Arnaud Montebourg et la « grammaire des affaires »...

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  1192  mots
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Ainsi donc en France, en 2012, un ministre, fut-il du « Redressement productif », peut s'affranchir des bornes de l'impuissance publique en menaçant un investisseur étranger d'un pays ami de l'exproprier (contre indemnisation, quand même) parce qu'il ne se plie pas aux conditions fixées par un de ses concurrents pour reprendre un site industriel menacé... Drôle de conception du droit de propriété, garanti par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et drôle de vision de la concurrence dans un monde ouvert.

Ironie de l'histoire, au moment même où Arnaud Montebourg lançait, dans les « Echos », sa violente charge contre Mittal -« Nous ne voulons plus de Mittal en France, parce qu'ils n'ont pas respecté la France »- sa colloègue de Bercy, la ministre au commerce extérieur, Nicole Bricq publiait un communiqué tonitruant sobrement intitulé « Les investisseurs russes sont bienvenus en France » ! Piquant, lorsque l'on sait que parmi les candidats à la reprise du site de Florange, dans sa totalité, y compris la filière "aval", celle que Mittal considère comme « stratégique », figure le russe Severstal, principal concurrent de Mittal sur le marché mondial.

L'idée séduit à gauche et les élus concernés (dont certains de droite), c'est normal

On l'aura compris, à force de mouliner, Arnaud Montebourg a fini par franchir le Rubicon. Avec sa nationalisation-sanction, on se croirait revenu en 1981, voire en 1946, quand l'Etat avait repris, avec de plus solides arguments historiques, le contrôle de la Régie Renault. Mais, puisque c'est d'une nationalisation temporaire qu'il s'agirait, pour céder le site de Florange à un nouvel investisseur, parlons plutôt d'une ingérence de l'Etat dans les affaires privées. L'idée séduit à gauche et les élus locaux concernés (dont certains d'opposition), c'est normal. Elle a des partisans à droite, notamment Thierry Breton, l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, qui avait vainement tenté de s'opposer en 2006 à l'OPA de Mittal sur Arcelor, en invoquant ce qu'il appelait la « Grammaire des Affaires ». L'Etat n'étant plus actionnaire d'Arcelor, il s'était efforcé de faire signer au milliardaire anglo-indien installé à Londres une série d'engagements avec les parties prenantes de l'aciériste, Etat, collectivités locales et salariés.

Parmi ceux-ci figurait la promesse de ne pas fermer les hauts-fourneaux de Gandrange et de Florange. Mais c'était compter sans la crise. Prudent, Mittal avait bien pris soin de préciser que cet engagement nécessitait « des perspectives favorables à moyen et long terme ». Or, le marché de l'acier s'est retourné depuis 2007, notamment avec la chute des ventes automobiles en Europe. Et la restructuration, inévitable et longtemps retardée, de la sidérurgie lorraine est revenue en boomerang à la figure de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. Arcelor avant Mittal prévoyait déjà de fermer Gandrange et Florange. C'est Mittal qui en subit les conséquences politiques.

Bien sûr, le groupe Mittal n'est pas loin s'en faut un enfant de ch?ur. Son comportement évoque plus celui d'un investisseur financier sans états d'âme qu'un véritable industriel qui a une stratégie et un projet pour les pays où il a investi. Avec ses 20.000 emplois, ses 4,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires et ses 150 implantations, la France ne pèse que 7% sur l'échiquier du premier groupe mondial. Le gouvernement lui reproche à raison de n'avoir pas tenu les engagements pris lors de son OPA sur Arcelor-Mittal en 2006. Mais le risque d'une nationalisation même temporaire en vaut-il vraiment la chandelle ? Qu'est-ce qui garantit l'existence de  repreneurs pour les hauts-fourneaux de Florange et sa pérennité dans un marché mondial de l'acier en surcapacités ? Le vrai faux repreneur libyen de Petroplus ne vient-il de s'évanouir dans les sables du désert..

Quoi qu'on en pense, c'est le droit de Lakshmi Mittal de fermer ces usines

Même s'il a en partie adouci son propos ce lundi en déclarant qu'il ne visait que le site de Florange et pas la totalité des activités de Mittal en France, Arnaud Montebourg a-t-il mesuré les dégâts qu'il vient de faire pour l'attractivité de la France ?Quels que soient les torts du groupe Mittal, lui reprocher de vouloir rationaliser ses activités de hauts-fourneaux sur les sites de Fos et de Dunkerque, bien mieux placés pour des raisons géographiques évidentes, est une ingérence de l'Etat dans sa liberté de gestion. Quoi qu'on en pense, c'est le droit de Lakshmi Mittal de fermer ces usines, tout comme cela a été le droit et la responsabilité des dirigeants de PSA-Peugeot-Citroën de fermer le site d'Aulnay, ou de Danone de fermer ses biscuiteries. D'ailleurs, sur Aulnay, Arnaud Montebourg n'a rien pu y faire, en dépit de ses attaques répétées contre la famille Peugeot.

Comment justifier en gouvernance publique, un acte aussi fort qu'une nationalisation de la sidérurgie lorraine, sans immédiatement se voir appelé à faire de même pour toutes les industries en difficultés ? Pourquoi ce qui serait valable pour 650 salariés de Florange ne le serait-il pas pour 500 ouvriers de l'automobile (PSA) ? Pour 350 chercheurs en pharmacie (Sanofi) ? L'Etat va-t-il avec Montebourg sauver sur fonds publics toute l'économie française ? C'est peut-être le rêve secret du chevalier blanc du redressement productif, un rêve sympathique et populaire, mais en réalité populiste. Ce n'est évidemment pas possible, avec une dette publique qui se rapporche des 100% du PIB et les agences de notation en embuscade. Sauver PSA, à l'image de la nationalisation de General Motors par Obama (qui a d'ailleurs accepté une très dure restructuration du groupe automobile) ou bien une banque comme le Royaume-Uni, pour éviter de faire sauter la planète financière, pourquoi pas. Mais sauver un haut-fourneau, aussi symbolique soit-il, entre-t-il vraiment dans la vocation de l'Etat en 2012 ?

François Hollande ferait donc bien d'y réfléchir à deux fois avant de suivre son ministre du redressement productif

Enfin, quel investisseur étranger va prendre au sérieux un gouvernement qui changerait à ce point la grammaire des affaires en France ? Voilà un pays où l'on vous accueille à bras ouverts quand tout va bien mais où l'on vous conchie lorsque les affaires vont mal et qu'il faut restructurer une activité pour s'adapter à un changement durable de l'environnement économique. Ajouté à un environnement fiscal parmi les plus défavorable des pays développés, la France qui ne manque pourtant pas d'atouts, de par sa position géographique, la qualification et la productivité de sa main d'?uvre et la qualité de ses infrastructures publiques, va finir par faire fuir les meilleures volontés.

François Hollande ferait donc bien d'y réfléchir à deux fois avant de suivre son ministre du redressement productif sur ce terrain. La méthode Montebourg qui sait à merveille se servir des médias pour faire parler de lui, pourrait bien finir par détruire plus d'emplois qui ne se créeront pas ou plus qu'il ne parviendra à en sauver, de guerre lasse, parce que l'Etat, sans aucune légitimité autre qu'un politique industrielle défensive, viendra se substituer à des investisseurs privés.