Impôts : ce que nous dit le voyage de Depardieu

Par Eric Walther, directeur de la rédaction  |   |  775  mots
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En Belgique (on l?avait presque oublié) pour un exil fiscal, en Russie pour un passeport, et ce lundi en Suisse (non, non, rien à voir avec les impôts) pour la remise du ballon d?or de la Fifa. Gérard Depardieu sera peut-être mardi à Cuba histoire de serrer une dernière fois les louches malades de Fidel Castro et d?Hugo Chavez, à Téhéran jeudi (le temps de se remettre du voyage, mais pas d?infliger à son corps fatigué les outrages du décalage horaire) pour féliciter quelques mollahs de leur formidable travail de perpétuation de la culture perse. Et pourquoi pas un petit saut ce week-end end en Afrique du sud pour deviser sur les vertus thérapeutiques de la polygamie avec le président Zuma.

La folie médiatique qui a transformé le plus célèbre et désormais controversé de nos acteurs en star mondiale d?on ne sait plus trop quoi, est à la hauteur de l?hystérie tout court que provoque en France la moindre controverse fiscale. Elles sont malheureusement toutes les deux aussi vaines. Passons sur la première à laquelle La Tribune n?a pas complètement échappé, reconnaissons-le bien volontiers, qui ne durera que le temps d?un médiocre opus d?Astérix chez les gogos. Peut-être aura-t-on droit à une courte saison 2, lorsque l?acteur reviendra s?installer rue du Cherche-Midi à Paris faute d?avoir trouvé son bonheur ailleurs?et un acheteur pour son hôtel particulier (mise à prix... 72 millions d'euros).

La fiscalité ne souffre pas l?approximation

La seconde est beaucoup plus éclairante. L?impôt continue de repousser les frontières du territoire de nos fantasmes. Comme s?il restait impossible d?en parler calmement, raisonnablement, bref un peu sérieusement. Que n?a-t-on dit à propos de Depardieu! Que n?a-t-il dit lui-même ! Et de mélanger allègrement impôt sur le revenu et impôt sur le capital, nationalité et résidence fiscale (rappelons que ce n?est pas parce que le généreux Poutine lui a accordé la nationalité russe que Gégé paiera ses impôts en Mordovie). Et le troupeau aux basques de ce périple grotesque d?entretenir cette simple antienne qui veut que, de toute façon, « trop d?impôt ce n?est pas bien ». C?est vrai. Mais on ne peut pas se contenter de cette évidence. L?importance de ce sujet majeur mérite mieux que des certitudes. Les Américains qui s?empoignent sur la question depuis des mois le savent.

Matière complexe, la fiscalité ne souffre pas l?approximation. Prenons la vague d?exils qui serait en train d?emporter la nation vers le précipice. Oui, il y a des départs, oui il y a un regain de demande d?informations auprès des cabinets de conseil sur les « meilleures » destinations. Mais combien de divisions vont réellement partir ? Probablement assez peu et certainement pas assez pour déstabiliser le pays. Alors, on nous parle de climat. Cette décrétée chasse aux riches serait très préjudiciable à l?ambiance. Mais pourquoi la fiscalité devrait-elle être affaire de psychologie ? Les bons manuels nous ont appris que c?était le cas pour l?économie. Mais les impôts, ça s?analyse, ça se chiffre, ça s?optimise.

Une chose trop sérieuse pour être confiée à nos politiques ?

La réalité est que l?instrumentalisation politique de la fiscalité a atteint un tel degré de dérangement, que toute tentative de débat réfléchi, et donc de réforme, semble vouée à l?échec. Un gouvernement s'honorerait pourtant de s'y attaquer. Vraiment. De rendre notre fiscalité lisible, n'osons pas le mot juste, mais au moins équilibrée. Le chantier est d'autant plus stratégique, que seul son achèvement rendra crédible un programme de dépenses publques. Faute de quoi, un impôt mal compris fera toujours de l'Etat un monstre trop gourmand.

La pantalonnade de ce weekend sur l?affaire des 75% nous rappelle que l'on en est encore très loin. On a ainsi entendu un Jérôme Cahuzac annoncer que peut-être, oui peut-être, la nouvelle mouture de cet impôt pourrait durer pendant toute la législature et non plus deux ans comme prévu.  Pierre Moscovici le contredira quelques heures plus tard. Malheureux à dire, douloureux à entendre, mais la fiscalité va finir par être une chose trop sérieuse pour être confiée à nos politiques. Sauf qu?elle demeure l?un des rares leviers économiques sur lesquels elle peut encore agir. Ennuyeux.