Made in France ou made in Monde ?

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  839  mots
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Le « made in France » peut-il tenir lieu de « redressement productif » des filières industrielles qu'Arnaud Montebourg, le ministre star de François Hollande, veut incarner, jusque dans son image personnelle?

Depuis qu'il a arboré fièrement une marinière et un mixer, le patriotisme économique est revenu à la mode. Comment être contre? Tous les pays le font, à commencer par les États-Unis avec leur Buy American Act et leur Small Business Act qui privilégie les PME nationales dans les appels d'ores.

Trois Français sur quatre se disent prêts à acheter un produit fabriqué en France même s'il faut pour cela le payer (un peu) plus cher. La conscience du consommateur, appelé à faire son « devoir », est donc là. Mais comment être sûr que l'acte citoyen ne fasse pas le lit de marchands d'illusions? Dans bien des cas, le produit n'est présenté comme français que grâce à la dernière étape de la chaîne d'assemblage.
Pour lutter contre ce danger, un effort de labellisation a été engagé pour assurer la traçabilité de la production et apporter une « Origine France Garantie » au consommateur patriote. Certains pays, comme le Royaume-Uni, vont jusqu'à publier sur le Net la liste des produits estampillés nationaux, une démarche qui pourrait tenter Arnaud Montebourg.

Un virus nationaliste et autarcique
Après tout, pourquoi pas... La marque France vaut bien une messe et, au pays de l'exception culturelle, elle constitue une arme de communication puissante pour affronter la concurrence mondiale. La diplomatie économique est aussi une affaire de soft power, et l'on n'a rien à perdre à communiquer sur la qualité de nos produits. Mais le danger que court notre ministre du Redressement productif dans ce combat légitime pour maintenir en France les emplois et les savoir-faire est de basculer vers le redressement contre-productif en inoculant dans l'opinion un virus nationaliste et autarcique.

Nous de vivons plus dans le vieux monde de la division internationale du travail et du commerce bilatéral, n'en déplaise aux chantres de la démondialisation. Certes, de nouvelles tendances, comme le prix de l'énergie, des matières premières et des transports ou la prise de conscience des risques environnementaux, poussent à relocaliser les usines près des lieux de consommation. Mais faire du « local » le contraire du « global » est un grave contresens dont il faut protéger notre Montebourg national... Pascal Lamy, futur ex-directeur général de l'OMC et peut-être futur (Premier) ministre de François Hollande s'y est employé en reprochant au bouillant Arnaud de piloter son action avec « un GPS détraqué ». L'immense majorité des produits que nous consommons sont devenus « made in monde ». Selon l'OMC, plus de 60% des échanges commerciaux concernent des composants et des pièces détachées. Quand on achète une Renault, quand on vole dans un Airbus, on ne roule pas ou on ne vole pas « français » à 100%, mais dans une machine à haute intensité technologique dont les composants viennent du monde entier. Et ce n'est pas un problème, c'est une solution.

Valeo innove en France, ce qui ne l'empêche pas d'avoir 16 usines en Chine
Car quoi qu'on en pense, les gens - qu'ils soient producteurs ou consommateurs - n'agissent pas la plupart du temps par devoir, mais par intérêt. Pour une entreprise française à la recherche de gains de compétitivité, il est rationnel, y compris pour protéger l'emploi en France, d'importer des pièces du monde entier. Ne pas le faire serait le plus sûr moyen de courir sinon à la faillite, du moins vers de graves difficultés.
Malgré un déficit commercial record, la France reste le cinquième exportateur mondial et n'a aucun intérêt à adopter une vision protectionniste, car c'est du monde que lui vient, et lui viendra, la croissance. Au concept un peu suranné de « fabriqué en France », on doit donc substituer celui plus moderne et plus productif de « conçu en France ». Un modèle incarné par Apple qui capte en Californie plus de 90% de la valeur de ses produits, pourtant fabriqués en Chine. Mais Apple n'est plus seul. Valeo, par exemple, innove en France, ce qui ne l'empêche pas d'avoir 16 usines en Chine. Pour mener une politique industrielle efficace, au service du site France, Arnaud Montebourg ferait donc bien d'être un peu plus architecte que démineur, afin de préparer la transition vers une « économie de la contribution », où l'essentiel de la valeur ajoutée résidera dans les brevets, le design, l'innovation, la recherche et le marketing. Car c'est là, dans cette « iconomie », que demeurent les gisements d'emplois de demain.
S'il est indispensable de garder un tissu industriel vivace, sain et compétitif, l'avenir c'est d'écrire « Designed in France, assembled everywhere ». C'est le plus sûr moyen de sortir de la malédiction du « fabless », l'entreprise sans usine décrite par Serge Tchuruk en 2001 et qui a sans doute en grande partie ruiné Alcatel. Heureusement, cela avance : selon l'Office européen des brevets, la France a été en 2012 numéro 2 en Europe, avec une activité considérable dans le domaine des transports, notamment l'automobile, et... d'Alcatel ! De quoi être optimiste pour le redressement productif.