A ceux qui rêvent d'un "shutdown" à la française

Par Philippe Mabille  |   |  815  mots
Philippe Mabille | DR
Est il vraiment raisonnable d'imaginer que la France puisse se retrouver dans une situation de blocage budgétaire comme celle que connaissent les Etats-Unis?

La dernière idée à la mode, chez les libéraux, est de prier pour qu'il y ait en France un « shutdown » budgétaire, à l'image du bras de fer politique qui vient de démarrer aux États-Unis sur le plafond de la dette. Soyons clair, ce genre de « Grand Soir », qui est déjà arrivé une fois chez nous en 1980 lorsque le RPR de l'époque avait refusé de voter le budget de Raymond Barre, n'est pas forcément une si bonne nouvelle. Aux États-Unis, la grève budgétaire du Congrès en 1995 avait duré trois semaines et coûté cher à la croissance. Le « shutdown » actuel pourrait amputer la reprise américaine de 1,4 point au quatrième trimestre selon Moody's si le blocage sur l'Obamacare durait plus d'un mois.

Les désaccords budgétaires finissent par se résoudre

Heureusement, ce n'est pas le plus probable. Déjà, la fermeture de certaines administrations et services touristiques aux États-Unis donne l'image déplorable d'un pays ingouvernable, un peu à l'image de l'Italie, menacée jusqu'au milieu de la semaine d'un "risque létal" par les derniers feux du berlusconisme.

Heureusement aussi, ces désaccords budgétaires finissent toujours par se résoudre. Aux "Etats-Désunis d'Amérique", la fronde des ultras du parti républicain commence à faire désordre à l'intérieur même du parti de l'éléphant, tant il paraît évident que le président Obama, dont c'est le deuxième et donc dernier mandat, ne cèdera sur la réforme-phare de sa présidence : l'assurance-santé pour tous.


Revivifier la démocratie parlementaire

L'idée d'un "shutdown" en France peut, sur le principe, apparaître séduisante. Depuis 40 ans, depuis 1974 exactement comme le rappelle l'économiste Pierre-François Gouiffès dans son livre "L'Âge d'or des deficits" (La Documentation française - voir son blog Génération Déficits), aucun budget n'a été en équilibre. Droite et gauche réunies portent donc une lourde responsabilité dans l'accumulation sans limite de l'endettement public qui dépassera l'an prochain le seuil des 2000 milliards d'euros, soit 95,1% du PIB.

Responsables, mais pas coupables, les députés pourraient donc s'honorer à changer de pied et jeter leurs « godillots » pour se mettre à examiner un peu plus sévèrement les budgets qui leurs sont présentés. C'est d'ailleurs l'esprit même de la LOLF, la Loi Organique relative aux Lois de Finances - votée à l'unanimité en 2001, sous Lionel Jospin - que de revivifier la démocratie parlementaire et de redonner au peuple - qui vote la loi fiscale - le pouvoir de dire « non » au gouvernement.

Bien évidemment, n'en déplaise aux partisans d'une telle voie, cela n'arrivera pas. D'abord parce que, malgré ses problèmes d'autorité au sein de son gouvernement et de sa majorité, François Hollande a, pour l'instant du moins, une majorité à l'Assemblée nationale. Et que celle-ci est tenue de voter le budget. On n'est donc pas dans le cas de figure américain qui est une sorte de cohabitation entre Obama et le Congrès. Ensuite parce que cela serait immédiatement sanctionné par un plongeon en récession, tant le poids de l'Etat est grand dans le fonctionnement de l'économie. Qui prendrait une telle responsabilité surtout en pleine sortie de crise.

L'usine à gaz du "Businesscare" de François Hollande

Ce qui pourrait se passer durant l'automne budgétaire est tout autre. La pression monte en effet à gauche contre une mesure que les députés ont voté comme un seul homme l'an dernier mais dont l'effet, décalé en 2014, n'avait pas été perçu comme un problème politique à l'époque. Il s'agit bien sûr du Crédit impôt compétitivité emploi, la mesure la plus importante prise jusqu'ici par le président de la République : 20 milliards d'euros de baisse de l'impôt sur les sociétés pour rembourser les charges sociales et baisser ainsi à terme, en 2015, de 6% le coût du travail en France. Financée par la hausse de la TVA, cette réforme fait rentrer la France dans l'ère de la politique de l'offre.

Certes, quelques aménagements au budget le rééquilibreront un peu en faveur des ménages modestes, mais l'orientation générale ne changera pas, au nom de la priorité donnée désormais à l'entreprise. Ce CICE est certes imparfait: trop général parce qu'il touchera des secteurs non exposés à la concurrence, pas assez ciblé sur l'industrie, comme l'aurait pourtant souhaité Louis Gallois. Mais il a le mérite d'exister, et malgré son côté usine à gaz, le patronat, qui se rebelle contre la création d'un « impôt imbécile » sur l'excédent brut d'exploitation, ne peut pas, sur ce terrain en tout cas en faire reproche à François Hollande. Comme Obama pour l'ObamaCare, François Hollande se battra pour son « BusinessCare ».