Fiscalité : Jean-Marc Ayrault ouvre la boite de Pandore

Par Philippe Mabille  |   |  1173  mots
Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction de La Tribune
La "remise à plat" de la fiscalité annoncée par Jean-Marc Ayrault est une contre-attaque politique habile qui redonne au pouvoir un bien précieux, le temps. Mais il n'est pas sûr qu'il puisse en faire le meilleur usage.

Bien joué ! Coincés dans les cordes et obligés de jouer en défense face à la fronde fiscale des bonnets multicolores et autres mouvements aux noms d'oiseaux rigolos, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont, comme l'équipe de France de football face à l'Ukraine, trouvé des ressources insoupçonnées pour reprendre l'offensive.

La "remise à plat" annoncée par le Premier ministre de la fiscalité française est une contre-attaque politique habile qui redonne au pouvoir l'ingrédient le plus précieux, le temps. Tout ceux qui ne voyaient d'issue à cette crise politique que dans un vaste remaniement ou la dissolution en seront, pour l'instant au moins, pour leurs frais.

 

Un chantier qui divise

Le gouvernement s'est donc donné six mois, jusqu'à la préparation du budget 2015, pour concevoir, avec les partenaires sociaux et la majorité, une réforme fiscale dont l'objectif, tel qu'il a été exprimé, apparaît double : réhabiliter l'impôt, aujourd'hui décrié, en le rendant plus simple, plus juste et mieux accepté ; et ouvrir une réflexion sur le poids de la dépense publique et la façon dont elle doit être financée.

Le PS applaudit, y voyant le retour de la promesse numéro 14 du candidat Hollande d'une fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG… Les syndicats et le patronat sont plus dubitatifs, pour des raisons évidemment contraires. Et l'opinion reste sceptique, car ce vaste chantier risque bien de poser rapidement plus de questions qu'il ne va en résoudre.

 

Une réforme explosive

Certes, le pouvoir se garde bien d'employer le terme de "Grand soir fiscal", auquel rêvent parfois quelques extrémistes, de droite comme de gauche. Mais le concept de "remise à plat" laisse songeur. Le problème de la fiscalité, c'est que, comme il y  a autant de supporters de l'équipe de France de football qu'il y a d'entraineurs, chaque Français a son idée de la fiscalité idéale. En général, elle se résume assez simplement : le moins possible pour soi, le plus possible pour les autres…

 Au cours de ses États généraux de la fiscalité, Jean-Marc Ayrault va rencontrer assez vite le mur des intérêts individuels et des lobbys de tous poils. S'il veut faire bouger les lignes fiscales à prélèvements constants, toute réforme fera forcément des gagnants… et des perdants. Et probablement, plus de perdants que de gagnants. Politiquement, cela peut très vite devenir explosif. L'image de la boite de Pandore, qu'il est très imprudent d'ouvrir car peut s'en échapper des maux pire que le remède espéré, vient à l'esprit.

 

Fusionner IR et CSG ? Une idée charmante...

Prenons l'exemple de la fusion IR/CSG. Très belle idée sur le papier. Le premier rapporte 70 milliards d'euros, avec des trous béants correspondant aux "indulgences" accordées au fil du temps par l'État aux uns et aux autres, et est fondé sur deux principes : la progressivité en affichant des taux faciaux d'imposition élevés ; la "familialisation" pour tenir compte des charges réelles supportées.

La CSG rapporte quant à elle 100 milliards d'euros avec un taux relativement bas, mais dans une logique de proportionnalité et d'assiette large, presque universelle, et individualisée. Certes, avec le plafonnement des niches fiscales à 10.000 euros et le rapprochement entre taxation des revenus du travail et du capital, impôt sur le revenu et CSG sont plus proches que jamais. Les fusionner pour créer un impôt individuel moderne, prélevé à la source, semble séduisant.

 

Un enjeu fiscal... et politique

Oui, mais… Le premier risque, pointé du doigt dans une note de janvier 2012 de l'Institut Montaigne par Philippe Wahl, le nouveau patron de la Poste qui fut à l'origine de la création de la CSG sous Michel Rocard en 1991, est que "le mauvais impôt chasse le bon" ! En clair, que la nouvelle CSG progressive qui serait issue de la fusion soit rendue moins efficace par le jeu des abattements que négocieront telle ou telle clientèle politique pour en amoindrir les effets.

Les syndicats, toujours très sourcilleux s'agissant des ressources propres de la Sécurité Sociale, ne voient pas tous d'un très bon œil cette irruption de l'État dans leur pré carré et s'inquiètent à juste titre qu'au final, le jeu soit à somme négative. Car, si l'IR et la CSG fusionnent, cela veut dire aussi mettre fin à la séparation, certes de plus en plus fictive, entre budget de l'Etat et budget de la Sécu, qui est un des acquis du plan Juppé de 1995. L'enjeu n'est pas que fiscal, il est aussi politique.

 

Du danger d'ouvrir le chantier fiscal

Remettre à plat la fiscalité ne pourra par ailleurs pas se faire sans ouvrir d'autres débats très difficiles. Celui des impôts locaux n'est pas le moindre. Faut-il un impôt local en fonction du revenu ? La gauche en rêve depuis longtemps, mais ce grand soir fiscal là risque d'être une déclaration de guerre aux classes moyennes, ce qui ne semble pas l'intention affichée.

La fiscalité écologique est aussi sur la table, mais on voit mal comment le gouvernement va s'y prendre pour faire mieux accepter dans six mois l'écotaxe sous sa forme actuelle. Sauf à en neutraliser les effets par de nouvelles subventions…

 On le comprend bien, il est très dangereux de vouloir ouvrir le chantier fiscal. Un vieux dicton dit que le bon impôt est le vieil impôt. Cela ne veut pas dire qu'il faut se résoudre à ne rien faire. Mais passer aussi brutalement de la pause à la pose fiscal est un coup de bluff audacieux que François Hollande engage soit trop tard - sa légitimité étant bien entamée - soit trop tôt, parce que la croissance est trop faible pour la réaliser dans un objectif plus vendeur politiquement de baisse des prélèvements obligatoires.

 

Le gouvernement dissout sa propre responsabilité

 Or, à prélèvements constants, il sera très difficile au gouvernement d'échapper à l'accusation de duplicité et d'hypocrisie. Car, que veut-il vraiment faire, au fond ? Déguiser, via la création en apparence consensuelle de la retenue à la source, une hausse de la CSG inévitable pour combler le trou de la Sécu ? Faire un tour de passe-passe afin de neutraliser la hausse des cotisations retraites des entreprises par un transfert des cotisations de la branche famille vers un impôt d'Etat ? Et quid du financement de ce transfert ? Sera-t-il payé par les ménages via la TVA ou la CSG ou par des économies budgétaires ? Là est bien le seul et le vrai débat.

En se réfugiant derrière la recherche d'un consensus improbable entre des intérêts divergents, le gouvernement donne surtout l'impression de ne pas jouer franc jeu et de dissoudre sa propre responsabilité, qui est de prendre des décisions même impopulaires, en les faisant endosser par d'autres.