Election présidentielle, vers un match à quatre ?

Par Philippe Mabille  |   |  906  mots
Les Français sont un peuple révolutionnaire, ils l'ont maintes fois prouvé dans leur histoire. Par son caractère imprévisible, l'élection présidentielle de 2017 est en train d'enclencher une révolution dans les urnes en offrant un scénario inédit pour le premier tour, le 23 avril.

Pour l'instant, Marine Le Pen et Emmanuel Macron restent en tête, mais, depuis la mi-mars, leur avance s'est effritée et la tendance des sondages montre clairement une inflexion à la baisse, depuis la mi-mars pour la candidate du Front national et depuis début avril pour celui du mouvement En marche. La surprise de ce premier tour, c'est la montée en flèche de Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise, qui a aspiré les voix du candidat socialiste Benoît Hamon dont le positionnement à gauche de la gauche lui a fait perdre sur les deux tableaux. Une partie du PS, disons la gauche du gouvernement, s'est ralliée à Macron ; et l'autre reporte son vote vers Mélenchon.

Il y a sans doute dans ce choix une part de « vote-plaisir », mais il traduit aussi un sincère désir de radicalité. Avec Mélenchon, la jeunesse de gauche semble avoir trouvé son « Sanders français ». La comparaison vaut par l'âge, avec un Mélenchon offrant au visage de la contestation une figure devenue plus apaisée, et par le projet, qui porte une volonté de transformation de gauche radicale, avec un slogan qui fleure bon son mai 1981 au son du « les riches vivent au-dessus de nos moyens ». Malgré un programme insensé aux plans budgétaire et fiscal, le candidat de la France insoumise séduit, en jouant la carte de l'humain contre l'austérité. Comme Emmanuel Macron, il "ubérise" la présidentielle en se revendiquant le candidat du peuple contre le "système", mais pas le même peuple évidemment. Mélenchon en arrive même à faire oublier qu'il est soutenu par le parti communiste, et se dit "prêt à gouverner".

Six possibilités de tirage pour le premier tour ?

L'autre surprise de la campagne est l'étonnante résistance de François Fillon qui se maintient juste en dessous de 20% et table sur une remobilisation de la droite républicaine après le difficile épisode du « Penelopegate ». Convaincu que « les Français vont renverser la table » et que le désir d'une « véritable alternance » va l'emporter au finish, François Fillon a choisi son adversaire : le candidat d'En Marche caricaturé en « Emmanuel Hollande » et cible de toutes les attaques de son camp. Cette stratégie politique, qui a sans doute porté ses fruits au vu du léger recul des intentions de vote en faveur d'Emmanuel Macron, a un angle mort, celui de la montée spectaculaire de Jean-Luc Mélenchon qui pourrait bien devenir le troisième homme de l'élection. Et pourquoi pas le deuxième, se demandent les sondeurs...

De fait, la prolongation des tendances actuelles pourrait bien réserver un premier tour à suspense, avec un abaissement du seuil de qualification au second tour autour de 21% ou 22% pour un match à quatre : Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, François Fillon, les jeux sont faits, rien ne va plus... Quatre finalistes, pour six possibilités de tirage : Le Pen-Macron, le plus probable pour le moment, ou bien Le Pen-Fillon, voire, Le Pen-Mélenchon. Ou bien Macron-Mélenchon, Macron-Fillon, voire, avec une cote assez basse, Fillon-Mélenchon. Il y a de quoi donner le tournis aux bookmakers.

L'imprévisible de moins en moins improbable

Tout se jouera sur la mobilisation des électeurs dans la dernière ligne droite et sur un scénario lequel la dynamique Mélenchon deviendrait une verticale Mélenchon, si Benoît Hamon venait à se résigner à se retirer en sa faveur. L'hypothèse d'une absence du parti socialiste à l'élection présidentielle est certes improbable, mais pas complètement impossible. S'il se produisait, toutes les cartes seraient rebattues car, sur le papier, les Français se retrouveraient alors face à un dilemme, imprévu et imprévisible, d'un second tour Mélenchon-Le Pen.

Évidemment, si cette perspective devait prendre corps, il faut s'attendre à des effets en retour sur les intentions de vote en faveur d'Emmanuel Macron et François Fillon. Surtout du premier d'ailleurs, si l'on croit en l'estimation selon laquelle un tiers des électeurs de Hamon choisiraient Macron. Reste une inconnue : après le "vote utile" des électeurs de gauche en faveur de Macron, y aura-t-il un mouvement similaire des électeurs de droite en faveur du candidat d'En Marche, parce qu'il est crédité de la meilleure chance de battre Marine Le Pen ? Ou au contraire, verra-t-on les électeurs (de droite) de Macron être tentés de revenir au bercail des Républicains pour donner à François Fillon le soutien nécessaire pour passer au second tour ? L'incertitude n'est pas prête de disparaître, lors que 40% des électeurs n'auraient pas encore fait leur choix définitif à deux semaines du scrutin.

Cette confusion électorale, qui met la France sous les projecteurs du monde entier, inquiète de plus en plus nos partenaires européens et Bruxelles. Elle donne de la France l'image assez étrange d'un pays jouant son destin à coups de dés. Avec un paysage politique ainsi fracturé, en quatre quarts irréconciliables, on se demande aussi avec quelle majorité politique pourra gouverner le président élu, quel qu'il soit, lorsque la France sortira mi-juin des élections législatives. Car, ce que révèle cet indigeste « quatre quart électoral », c'est un pays divisé, désabusé par l'Europe et pour l'instant incapable de dégager une vision commune sur les grands choix politiques susceptible de lui redonner une dynamique.