Face à l'intelligence artificielle, augmenter le QI de l'humanité

Par Philippe Mabille  |   |  1005  mots
Les pionniers fondateurs de l'intelligences artificielles. (De gauche à droite, Trenchard More, John McCarthy, Marvin Minsky, Oliver Selfridge, and Ray Solomonoff - Photo prise en 1969)
Plutôt que de spéculer sur une hypothétique prise de pouvoir par l'intelligence artificielle (IA), on ferait mieux de réfléchir aux véritables risques du futur déploiement des machines intelligentes... et aux moyens d'y répondre : augmenter les cerveaux humains...

Le mathématicien John McCarthy, mort en 2011, fut l'un des pionniers de l'intelligence artificielle, dont l'acte de naissance officiel date de la conférence de Dartmouth, pendant l'été 1956, au cours de laquelle il présenta un algorithme ancêtre de celui qui permettra à Deep Blue, le 10 février 1996, de battre le champion russe Gary Kasparov aux échecs. McCarthy reçut en 1971 le prix Turing pour ses travaux en intelligence artificielle, dans le laboratoire qu'il fonda en 1962 à l'université de Stanford.

L'intelligence artificielle (IA, ou AI en anglais) est longtemps restée confinée aux laboratoires de recherche et à la science-fiction - de l'ordinateur HAL 9000 dans 2001, l'Odyssée de l'espace à Terminator -, jusqu'à ce qu'elle fasse son apparition dans notre quotidien au cours des dernières années.

Vingt ans après Deep Blue, c'est Google qui, avec AlphaGo développé par DeepMind, franchit en 2016 une nouvelle étape en battant le meilleur joueur de go. Et au début de cette année, une intelligence artificielle a vaincu les quatre meilleurs joueurs de poker du monde. Point commun de ces super-ordinateurs : ils utilisent les techniques de l'apprentissage profond (deep learning) pour apprendre par eux-mêmes. Ici un jeu, comme les échecs, le go ou le poker - le plus complexe, puisque les mains des autres joueurs sont cachées.

Demain, les IA apprendre un métier, et pourquoi pas le vôtre

D'ores et déjà, l'intelligence artificielle et l'apprentissage automatique, combinés aux méga-données (big data) parviennent à réaliser des progrès inimaginables en médecine, pour vaincre des maladies que l'on pensait incurables. L'intelligence artificielle permet aussi de rendre nos voitures complètement autonomes, sert d'assistant personnel dans nos messageries (les fameux chatbots, les robots conversationnels) et nos smartphones... C'est vertigineux et cela va plus vite encore que ce que l'on prévoyait il y a seulement deux ans.

Interrogé sur le sujet à Davos, le cofondateur de Google, Sergei Brin, qui a une formation scientifique de très haut niveau, a lui-même reconnu être « incapable de prédire les limites de ce que feront ces choses » auxquelles il n'a pourtant longtemps pas cru, n'y voyant qu'un gadget. Et, de fait, nous n'en sommes aujourd'hui qu'à l'époque de l'IA « faible », une machine sans conscience, qui cherche à simuler les comportements humains. Et encore bien loin du rêve des transhumanistes de la Silicon Valley qui investissent des milliards pour faire naître une IA « forte », capable non seulement de reproduire, mais de dépasser, nos comportements cognitifs, et d'acquérir ainsi une autonomie propre.

Cette perspective d'un homme dépassé par la machine, qui a fait dire au physicien Stephen Hawking, ou à l'entrepreneur Elon Musk que l'intelligence artificielle non maîtrisée pourrait constituer un jour une menace pour la survie de l'humanité, reste un fantasme. Mais certains résultats commencent à faire froid dans le dos. Par exemple, la revue Wired a relaté une expérience menée par des chercheurs de Google qui ont montré que DeepMind, l'ordinateur qui a servi à vaincre au jeu de go, peut adopter des comportements « hautement agressifs » lorsqu'il se retrouve en situation de « stress », en l'espèce lorsqu'il sent qu'il perd à un jeu.

Les machines seraient-elles donc capables d'être « méchantes » ?

Belle question philosophique qui hante la science-fiction. En réalité, la machine se contente de rechercher la stratégie la plus efficace et si le jeu repose sur l'agressivité, elle s'y applique, en bonne machine qu'elle est. Heureusement, il reste encore quelques jeux dans lesquels l'homme demeure supérieur à la machine : c'est le cas des jeux de stratégie en temps réel, auxquels nos enfants sont devenus « addicts » : StarCraft, League of Legends représentent l'ultime complexité du comportement humain...

Mais jusqu'à quand ? S'il est trop tôt pour avoir vraiment peur de l'intelligence artificielle, encore faut-il nous préparer à son arrivée. Il faut donc saluer, même si elle est tardive, l'initiative d'Axelle Lemaire, la ministre du Numérique et de l'Innovation, de doter la France d'une stratégie en la matière, afin de valoriser les avancées des chercheurs français et commencer à réfléchir aux régulations qui permettront d'assurer une bonne cohabitation entre l'Homme et la machine. Pour l'heure, la principale inquiétude concerne le nombre d'emplois qui risquent de disparaître.

Cette question est réelle, mais guère différente de ce qui s'est passé lors des précédentes révolutions industrielles. Ce qui surprend, c'est l'accélération, qui alimente un début de révolte contre la technologie, à l'image des Luddites anglais du XIXe siècle, ou des canuts lyonnais. Certains, comme le philosophe français Éric Sadin, vont plus loin et voient la Silicon Valley prendre le contrôle de nos vies. D'autres, comme Luc Ferry, ont un regard plus optimiste sur les opportunités fantastiques des progrès technologiques, en santé notamment.

Le défi de l'éducation pour tous

Comme le dit dans une tribune publiée dans Le Monde Eric Schmidt, président exécutif d'Alphabet, la maison mère de Google, nous sommes face à deux enjeux : il faut s'assurer que « la technologie s'adresse à tous et non pas uniquement aux plus riches et aux plus puissants ». La démocratisation des progrès est essentielle pour vaincre les peurs et les fantasmes. Ensuite, « il faut préparer au mieux nos sociétés à ces changements et s'assurer qu'elles n'en seront pas déstabilisées ». Le défi, c'est l'éducation, l'augmentation du QI de l'humanité.

Finalement, la tendance digitale de 2017, ce n'est pas l'intelligence artificielle, c'est l'humain. Bonne nouvelle, selon une récente étude Deloitte sur la génération des Millenials, six jeunes Français sur dix ne considèrent pas la robotique, l'intelligence artificielle et l'automatisation comme des menaces. Mais un tiers d'entre eux s'attend à ce que ces révolutions aient un impact négatif sur le nombre des emplois disponibles. C'est sans doute l'une des raisons de la popularité actuelle de l'idée de revenu universel.