L'automne de tous les dangers !

Par Philippe Mabille  |   |  771  mots
Dans la longue liste des gourous qui prédisent le pire pour l'économie mondiale, Martin Armstrong (qui n'a rien à voir avec celui qui a marché sur la Lune !) occupe une place à part. Ce financier américain, condamné pour fraude par un tribunal de New York qui l'a jeté en prison pendant sept ans, est le héros d'un film documentaire, The Forecaster (« L'Oracle » qui sort en salle en France le 16 septembre), dans lequel celui dont le père a été ruiné par la crise de 1929 annonce disposer d'un modèle prédictif qui date l'implosion du château de cartes de l'endettement public en octobre de cette année.

Pour Armstrong, la dette publique, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, est une immense chaîne de Ponzi dont la faillite est inévitable. Son oracle fixant le « Big One » en octobre 2015, repose sur une utilisation assez délirante du nombre Pi qui serait, selon son modèle magique, un indicateur déterminant du comportement historique des marchés dont les cycles se retourneraient tous les 3141 jours (π multiplié par 1 000), soit en gros tous les 8,6 ans.

Armstrong, qui s'est rendu célèbre en prédisant au jour près le krach d'octobre 1987, était en prison lors du déclenchement de la crise des subprimes. Mais, si l'on suit son raisonnement, difficile de ne pas voir que nous sommes entrés, depuis le mois d'août, dans la zone de danger déterminée par son modèle puisque plus de huit ans et demi se sont écoulés depuis le démarrage de la dernière crise financière.

Si l'on observe la situation de l'économie mondiale et des marchés financiers en cette rentrée 2015, force est de constater que les signaux semblent hélas donner raison au gourou américain. Le FMI vient de réviser en baisse, de 4 % à 3,3 %, sa prévision pour la croissance mondiale, et les économistes commencent à craindre une nouvelle récession planétaire en 2016. Parmi les signaux forts, le recul simultané du prix des matières premières, notamment du pétrole, la panne de l'économie chinoise et le coup d'arrêt à la croissance du commerce mondial.

Le krach de la Bourse de Shanghai, qui a perdu 40 % depuis juin (mais dont les cours restent encore supérieurs de 30 % à ceux d'octobre 2014) rappelle l'adage boursier qui veut que « les arbres ne montent pas jusqu'au ciel ». Certes, cette purge peut sembler salutaire après une période d'exubérance irrationnelle de la part d'investisseurs cupides qui ont financé leurs achats en Bourse à coups d'endettement, profitant de l'argent facile et bon marché.

Mais le plus inquiétant est l'attitude des autorités chinoises qui, effet de la panique ou de dissensions au sommet, ont multiplié les signaux contradictoires cet été, donnant le sentiment d'avoir perdu la baraka qui leur a permis de piloter le formidable développement du pays. Ils ont tour à tour augmenté brutalement les taux d'intérêt pour contrer la spéculation, pour les diminuer aussi vite au lendemain du lundi noir de la fin août ; ouvert la porte à la convertibilité du yuan, ce qui a été interprété comme une volonté de le dévaluer ; et multiplié ordres et contre-ordres aux institutions publiques pour acheter des actions. En France, au gouvernement, on minimise l'effet de ce krach chinois qui ne devrait pas avoir trop de conséquences sur la modeste croissance espérée cette année. Mais, avec une économie à l'arrêt au deuxième trimestre, les espoirs d'une fin de quinquennat enfin portée par une croissance plus dynamique sont battus en brèche. Les États-Unis sont le dernier moteur de la croissance mondiale et cela risque de ne pas suffire, alors qu'en 2016 l'Oncle Sam va entrer dans une année d'élections présidentielles.

Le monde semble condamné à une longue période de croissance faible, conformément à la thèse de la stagnation séculaire formulée par l'ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, Larry Summers. On voit bien dans l'hésitation de la Fed à remonter les taux et dans la persistance de déficits publics élevés (sauf en Allemagne), que cette thèse est prise au sérieux.

Une approche alternative à cette explication de la croissance faible a été récemment proposée par la Banque des règlements internationaux, souligne l'économiste Jean Pisani-Ferry (voir son article "Deux théories pour une croissance décevante" sur latribune.fr). Selon la BRI, la cause de tous nos maux serait, bien au contraire, que les banques centrales ont dû, en réaction à la crise de 2008, réduire beaucoup trop les taux d'intérêt, ce qui aggraverait nos difficultés structurelles en favorisant une mauvaise allocation de l'épargne : en témoignent les bulles immobilières et boursières, et la déficience des investissements de long terme. Un cercle vicieux qui déprime la croissance potentielle. La solution serait de mener des politiques d'offre et de « normaliser » les politiques monétaires. Thèse intéressante mais qui, au vu du chômage de masse et de l'effet déflationniste des nouvelles technologies, semble pour le moins prématurée...

>>> Bande annonce du film "L'Oracle" dans les salles mercredi prochain