La mer, trésor français (1/14) : Combien de marins, combien de capitaines...

Par Philippe Mabille  |   |  837  mots
Être entrepreneur, c'est comme prendre la mer : le risque et l'inconnu sont au rendez-vous. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le capitalisme des origines est né de la mer.
[ Série d'été - Hebdo #178 "La mer, terre d'entrepreneurs" ] Sait-on que notre pays possède le deuxième domaine maritime mondial, juste derrière les États-Unis? Hélas, ce potentiel reste très mal et trop peu exploité. La France est assise sur un tas d'or bleu, mais se comporte comme si ce potentiel n'existait pas.

La Mer, espaces infinis, source et origine de toute vie. Et ressource presque infinie pour une Terre de bientôt 9 milliards d'âmes, qui s'épuise à petit feu. La mer, terre d'entrepreneurs, lieu de toutes les aventures d'une humanité en quête d'ailleurs. C'est le défi que nous nous sommes fixé pour ce numéro d'été. L'occasion d'une rencontre, avec Marc Thiercelin, le marin qui voudrait voler avec son trimaran Ultime, un projet entrepreneurial avec lequel ce navigateur, qui a parcouru 700.000 km - près de deux fois la distance Terre-Lune - sur tous les océans du monde, cherche à réaliser son rêve. « Prendre la mer est une véritable entreprise », nous raconte-t-il, parce que pour « courir » sur les océans, il faut mobiliser des dizaines de métiers, autant de compétences, trouver des financiers et des sponsors. Être entrepreneur, c'est comme prendre la mer : le risque et l'inconnu sont au rendez-vous. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le capitalisme des origines est né de la mer.

La mer, c'est une évidence, est une richesse française. Nous sommes encore la sixième puissance économique mondiale (la cinquième, devant le Royaume-Uni, avec la dévaluation de la livre depuis le Brexit), alors que nous représentons moins de 1% de la population du globe et 0,43% de sa surface. Mais sait-on que notre pays possède le deuxième domaine maritime mondial, juste derrière les États-Unis ? Hélas, ce potentiel reste très mal et trop peu exploité, que ce soit en métropole ou outre-mer. La France est assise sur un tas d'or bleu, mais se comporte comme si ce potentiel n'existait pas.

Où est le ministre de la Mer, disparu corps et biens depuis les années Mitterrand ? Un seul homme politique en France porte un discours et une stratégie offensive sur la mer : Jean-Luc Mélenchon, celui-là même qui a un jour traité François Hollande de « capitaine de pédalo ».

Marc Thiercelin a donc créé la Fondation l'Or bleu, pour nous faire prendre conscience de ce grand gâchis. « Les Français restent des terriens », dit-il, ce qui nous différencie de tous les peuples qui ont pris la mesure de leurs richesses maritimes. À commencer par le Royaume-Uni, dont l'Empire marchand a fait la conquête du monde et qui, Brexit ou pas, restera tourné vers le monde. Une des causes de cette désaffection française pour la mer est son centralisme. Le roi de France a installé sa capitale dans une terre, la bien nommée Île-de-France, et s'est toujours méfié de ses périphéries, surtout maritimes. Or, en Europe, 22 pays ont une façade maritime et la plupart des grandes capitales du monde sont de grands ports. Ce devrait être une priorité du Grand Paris que de s'ouvrir un débouché sur la mer, vers Le Havre.

La France peut pourtant rattraper son retard dans quelques domaines où elle dispose de pôles d'excellence. Dans les fameuses biotechs bleues où, à partir des algues et des animaux marins, peuvent s'inventer l'alimentation et la santé de demain. 80 % des êtres vivant sur Terre sont des organismes aquatiques. Et si, au lieu de financer la énième start-up d'e-commerce, l'argent des capital-risqueurs regardait du côté de l'aquaculture et de l'algoculture ? Notre deuxième levier de croissance, ce sont les énergies marines, dans lesquelles nos grands énergéticiens investissent trop peu.

Enfin, la France peut être un leader mondial dans les chantiers navals, de la plaisance aux yachts de luxe, en passant par le recyclage et le démantèlement des navires. À condition de s'en donner les moyens. Il n'y a pas que la compétition entre la place de Paris et celle de Londres pour le titre de capitale de la finance. L'enjeu du leadership mondial dans le maritime est au moins similaire.

L'économie maritime tricolore pèse 450.000 emplois et, avec 4.170 km de côtes, le tourisme en représente la moitié. Encore un domaine où la France pourrait se saisir de la première place et se développer, à condition d'investir dans la qualité de service, encore trop médiocre, alors que notre pays attire le plus grand nombre de touristes du monde entier.

Nous terminons notre voyage avec une utopie, celle de l'architecte Vincent Callebaut dont les rêves ont fourni la couverture de ce numéro : avec Aequorea (du nom d'une méduse), place à l'urbanisation sous-marine, autonome en énergie, une ville bâtie grâce au recyclage de nos déchets plastiques. Un véritable sixième continent qui pourrait fournir une nouvelle matière première, l'Algoplast, pour construire des cités du futur, sur et sous les océans.

Par Philippe Mabille

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