Macron, la taxe carbone et les trottinettes

Par Philippe Mabille  |   |  1094  mots
(Crédits : Francois Lenoir)
[ÉDITO] Depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron, les prix du gazole ont augmenté de 25%. Et ce n'est pas fini. Mais comment faire en sorte que la nécessaire transition écologique ne se fasse pas au détriment du pouvoir d'achat ou de la compétitivité des entreprises ? Par Philippe Mabille, directeur de la Rédaction.

Sacrés Gaulois réfractaires ! Ils ne sont pas à une contradiction près. Ils peuvent « en même temps » sacraliser en Nicolas Hulot, le champion démissionnaire de l'Écologie, leur personnalité politique préférée (palmarès Ipsos-Le Point d'octobre) et « se plaindre » de voir flamber le prix des carburants. Comme si ce n'était pas sous l'impulsion du ministre Hulot que le gouvernement avait décidé d'accélérer l'alignement des taxes sur l'essence et le diesel. Le résultat est une hausse de 25 % des prix du gazole depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron. Et ce n'est pas fini : avec la nouvelle augmentation votée dans le budget 2019, le prix du litre de diesel va s'installer durablement au-dessus de celui du sans-plomb, l'effet de cette hausse étant amplifié par la poussée des prix du pétrole.

Ségolène Royal n'a pas manqué l'occasion de dénoncer dans cette écologie « punitive » un « matraquage fiscal ». Selon l'ancienne ministre de l'Environnement, « taxer d'une façon aussi violente les automobilistes, c'est prendre l'écologie en otage ». Elle affirme même que cette hausse des taxes sur les carburants n'est pas légale, car « le gouvernement ne respecte pas l'article 1 de la loi sur la transition écologique de 2015 » qui prévoit une neutralité fiscale : pour un centime de hausse de la fiscalité carbone, il devrait y avoir un centime de baisse d'une autre taxe.

Or, selon Olivier Faure, le patron du PS, le compte n'y est pas. Il dénonce une « arnaque » budgétaire qui, sous prétexte de fiscalité écologique, est en réalité selon lui une mesure de rendement qui va « prélever sur cinq ans 55 milliards d'euros, dont seulement 10 petits milliards » seront destinés à financer la transition écologique. En clair : les automobilistes, surtout les plus modestes, qui roulent au diesel, sont des « vaches à lait » appelés à payer à la pompe les cadeaux fiscaux du « président des riches ».

Coup de pompe pour les automobilistes

Face à la polémique qui flambe au rythme des prix à la pompe, le gouvernement reste droit dans ses bottes : « Quand on a aimé Nicolas Hulot, on assume d'avoir une fiscalité destinée à faire évoluer les comportements » s'est emporté Benjamin Griveaux, porte-parole de l'exécutif et possible candidat LRM à Paris (parmi d'autres, dont Mounir Mahjoubi, Cédric Villani...) face à Anne Hidalgo. Et de faire valoir que le gouvernement a créé une prime à la casse pour aider les automobilistes à se convertir à des modes de transports propres, prime qui sera portée à 2.500 euros au 1er janvier pour les voitures électriques et les véhicules hybrides. Certes, mais en effet le compte n'y est pas : la hausse des taxes sur les carburants servira plus à rembourser la dette publique qu'à accompagner les Français dans la transition écologique.

Emmanuel Macron, dont la courbe de l'impopularité épouse presque parfaitement celle de la hausse du prix à la pompe, assume le caractère punitif de cette politique, dont l'objectif est d'adresser un « signal prix » pour forcer au changement des comportements. Sans le dire ouvertement, c'est bien une taxe carbone que le président de la République a imposée aux automobilistes. Pourquoi pas, à condition que les Français ne se retrouvent pas otages de cette transition. D'autant qu'on n'est qu'au début de changements majeurs pour tenir les objectifs de réduction des émissions de CO2. Le président de la République a promis des mesures « structurantes et historiques » dans les prochains mois. Problème : comment faire en sorte que cette nécessaire transition écologique ne se fasse pas au détriment du pouvoir d'achat ou de la compétitivité des entreprises ? Car les ménages ne sont pas les seules victimes de la hausse des carburants. En 2019, Bercy va prélever 2 milliards d'euros sur les entreprises, dont 1 milliard avec la fin de la possibilité pour les secteurs non agricoles d'utiliser le GNR, le gazole non routier, 50 centimes moins cher.

Faire participer les poids lourds ? Bon courage...

Et ce n'est pas fini : la ministre chargée des Transports, Élisabeth Borne, aura fort à faire pour mettre en place une participation des poids lourds, notamment ceux en transit sur le territoire français, au financement de son plan de rénovation des infrastructures routières. Le mot « écotaxe », devenu un chiffon rouge, est proscrit, mais, au final, quelle sera la différence, sinon sémantique ? Le projet de « tarif de congestion » que la loi d'orientation sur les mobilités va concrétiser en une forme de péage urbain va dans le même sens, même si ce sera aux élus locaux d'assumer l'impopularité de son (éventuelle) mise en place.

À l'évidence, si on prend un peu de recul, cette fiscalité écologique « punitive » commence à produire des changements de comportements. Les industriels de l'automobile ont compris que la fin du diesel pourrait bien être plus rapide que prévue, que les normes de pollution vont continuer à être durcies, et donc que les mobilités en seront bouleversées. On en a des signaux avec l'explosion de l'autopartage, du covoiturage, alors que vélos, trottinettes et gyropodes partent à la conquête de nos villes. C'est sans doute un progrès pour les habitants des grandes métropoles, mais ce n'est pas sans poser de sérieux problèmes de cohabitation sur l'espace public. Ce développement anarchique de solutions en free floating (libre-service sans bornes), au départ encouragé par les maires, tourne au capharnaüm, faute de régulation. On ne compte plus le nombre de passants blessés sur les trottoirs par des usagers de trottinettes électriques filant droit comme des « i » au-delà de la limite de vitesse autorisée (6 km/h). Or, on continue de vendre ou de louer des petits bolides qui vont bien au-delà de 25 km/h.

Élisabeth Borne le dit : le Code de la route sera adapté pour réguler la circulation de ces véhicules. Il est plus que temps. Mais il faudra aussi adapter nos routes à la cohabitation entre ces engins, les vélos, les scooters et les voitures. Quant aux habitants des zones rurales ou périphériques, obligés de posséder une voiture, il va falloir les aider fiscalement à basculer vers la voiture électrique, comme le fait massivement la Chine, et en construisant un réseau de bornes de recharge adéquat. On en est encore loin. Pour réussir la transition écologique, il va falloir que Bercy redonne à l'écologie l'ensemble des taxes sur les carburants, de la même façon que l'argent des radars est destiné à près de 100 % à la sécurité routière.