Pourvu que ça marche

Par Philippe Mabille  |   |  1081  mots
La chance d'Emmanuel Macron est de lancer ces réformes dans une conjoncture propice. L'Europe entre dans un cycle de reprise, certes encore modeste, mais incontestable. C'est donc le bon moment pour mettre en oeuvre des actions visant à installer la croissance dans la durée, à promouvoir l'investissement afin de réaliser les quatre priorités que sont la réforme du travail, le soutien à l'innovation tant industrielle qu'agricole, la transformation numérique de l'Etat, et l'accélération de la transition écologique.

À l'issue de la présentation du projet de budget, cette semaine, Emmanuel Macron aura mis en œuvre l'essentiel du programme économique annoncé pendant sa campagne.

Ordonnances réformant le marché du travail : signées et déjà applicables dans les entreprises. Présentation du « Grand plan d'investissement de 50 milliards d'euros » pour équilibrer la rigueur budgétaire : depuis lundi, c'est fait, et même un peu mieux puisqu'en y intégrant le PIA3, la partie du programme des investissements d'avenir non financée, on atteint même, en affichage, 57 milliards. Retour du déficit public sous les 3% pour 2018 et présentation d'une programmation pluriannuelle des finances publiques compatible avec les exigences de l'Union européenne : c'est l'engagement pris par le chef de l'État, qui permet à la France de sortir de la procédure pour déficits excessifs qu'avait engagée Bruxelles. Réforme fiscale enfin, avec des mesures emblématiques, comme la suppression de l'ISF (remplacé par un nouvel impôt foncier qui rapportera cinq fois moins), la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique de 30% sur tous les revenus du capital et les plus-values, le transfert, progressif, d'une partie des cotisations salariales vers la CSG, l'exonération sur trois ans de taxe d'habitation pour 8 contribuables sur 10, et la baisse séquencée sur cinq ans de l'impôt sur les sociétés, qui sera ramené à 25% en 2022.

Et si, finalement, la France était « réformable » (et prête à le faire...)

Quoi qu'on puisse en penser, nul ne pourra dire qu'Emmanuel Macron et son gouvernement ont été « fainéants » depuis les élections de mai et juin. Et si, finalement, la France était « réformable », et prête à se transformer ? Pour le monde économique, la direction prise est jugée « bonne », mais il reste maintenant à démontrer que l'action engagée produira des résultats. Ceux-ci ne vont pas arriver comme par magie : tous les économistes savent qu'il faut du temps pour que les réformes structurelles produisent leurs effets. Il a fallu cinq ans pour que la politique de l'offre enclenchée avec le CICE relance l'emploi dans le secteur privé, en baissant le coût du travail. Il en faudra autant avant que le nouveau choc d'offre que constitue la politique d'Emmanuel Macron ne vienne mordre vraiment sur le chômage de masse, l'objectif visé étant de le faire retomber à 7,2% en fin de quinquennat.

La séquence politique qui s'ouvre va être celle de la gestion du temps et des frustrations que ne manquera pas d'entraîner l'absence de résultats immédiats du tournant économique qu'il vient d'engager. La chance d'Emmanuel Macron est de lancer ces réformes dans une conjoncture propice. L'Europe entre dans un cycle de reprise, certes encore modeste, mais incontestable. C'est donc le bon moment pour mettre en oeuvre des actions visant à installer la croissance dans la durée, de promouvoir l'investissement, au sens économique du terme, comme l'explique Jean Pisani-Ferry, qui a piloté la conception du Grand plan d'investissement (GPI) voulu par le président de la République.

Un plan centré sur quatre priorités

Certes, ce plan a été gonflé à l'hélium en recasant, pour la moitié des 57 milliards annoncés, des crédits déjà prévus. Ce repackaging n'est pas en soi choquant car au moins ces financements seront sanctuarisés avec un rôle central donné à la Caisse des dépôts (CDC) qui sera le bras armé de l'État, avec BPI France, pour l'investissement dans les territoires. Au final, on compte donc seulement 30 milliards d'euros de moyens nouveaux, dont 6 milliards de plus pour le programme des investissements d'avenir (PIA3). C'est certes modeste, réparti sur cinq ans, mais, à condition que l'action soit bien ciblée, cela peut être efficace : le gouvernement en espère 300.000 emplois et une baisse d'un point du chômage structurel.

Le plan fixe quatre priorités : 15 milliards d'euros pour la formation des jeunes non qualifiés et des chômeurs, élément essentiel du volet sécurisation pour équilibrer la réforme du marché du travail ; 13 milliards afin de soutenir l'innovation, notamment pour l'industrie du futur et la transition vers un nouveau modèle agricole ; 9 milliards pour l'État numérique ; et enfin 20 milliards pour accélérer la transition écologique, dont 9 milliards pour la rénovation thermique des bâtiments (avec un soutien aux ménages modestes et au parc social pour faire les travaux), 4 milliards pour les transports durables et 4,9 milliards pour augmenter de 70 % notre production d'énergies renouvelables.

Ce dernier volet, le plus important en masse, va permettre enfin l'éclosion des fameux « emplois verts » de la transition écologique. Cela fait dix ans que l'on en parle mais ce secteur va connaître dans les années qui viennent une véritable explosion. Rénover des millions de logements qui sont autant de passoires thermiques, c'est un chantier pour quinze ans qui va nécessiter de nouvelles compétences et créer de l'activité non délocalisable. De même, avec la baisse rapide du prix des énergies renouvelables, éolien et solaire, désormais compétitifs par rapport au nucléaire, la France va enfin pouvoir passer à la vitesse supérieure, comme l'a fait son voisin allemand.

Réussir en même temps les transitions écologique et numérique

Avec là aussi des milliers d'emplois à créer. Les industriels ne s'y trompent pas, à l'image de Total qui vient de décider d'investir massivement dans les énergies renouvelables.

Emmanuel Macron a bien compris que son principal défi est d'accompagner la France sur le chemin de cette double transition, numérique et écologique, car c'est la clef de la croissance future. C'est pour cela qu'il veut faire de notre pays à la fois une startup nation et une green nation. C'est pour faire émerger une nouvelle classe d'entrepreneur qu'il réforme la fiscalité du capital ; et c'est pour accélérer la révolution verte qu'il a pris la tête du combat pour le respect des accords de Paris face à Donald Trump. Rêvons un peu : et si, pour une fois, la France était sur le bon chemin, avait fait les bons choix stratégiques pour préparer son avenir ? Les uns diront sans doute qu'elle en fait trop ici, ou pas assez là. C'est possible. Mais objectivement, rarement au cours des quinze dernières années, la politique économique menée dans notre pays n'a été aussi cohérente et lisible qu'aujourd'hui. Espérons maintenant que ça marche !