Une « jaunisse » salutaire pour Macron

Par Philippe Mabille  |   |  1017  mots
Rassemblement des "Gilets jaunes" devant l'Assemblée nationale, à Paris, le 17 novembre 2018. (Crédits : Charles Platiau)
ÉDITO. La violence qui s'est exprimée à Paris samedi 24 novembre a suffisamment ébranlé le pouvoir pour l'obliger à changer de méthode face à une contestation multiforme qui, si elle n'est pas bientôt apaisée, pourrait faire basculer la France dans l'inconnu, un scénario à l'italienne par exemple. Par Philippe Mabille, directeur de la Rédaction.

« On ne peut pas être le lundi pour l'environnement et le mardi contre l'augmentation du prix des carburants. » « Ce que dit cette crise, c'est le sens profond du consentement à l'impôt. » « Au fond, ce que nous sommes en train de vivre peut-être utile et favorable. Parce qu'il y a trop de problèmes de frustration, de non-dits qui traînent depuis plusieurs décennies et ils empoisonnent la vie de la Nation »... Ces quelques extraits du discours prononcé mardi matin par Emmanuel Macron montrent comment le chef de l'État a décidé de contre-attaquer face à la crise des « gilets jaunes » : ne renoncer en rien à la transition écologique et à la taxe carbone, tout en proposant des aménagements ; reprendre l'initiative sous l'angle de la dépense publique et de sa contrepartie, la possibilité de baisser les impôts ; entendre la colère, mais y opposer une lecture à froid de la situation, en se donnant du temps, et en proposant de « changer de méthode ».

Smic : le refus du coup de pouce, pas forcément la bonne idée

Apparemment, la parole présidentielle n'a pas suffi pour calmer la colère populaire. Les « gilets jaunes » ont annoncé un nouveau mouvement samedi 1er décembre et de monter sur les Champs-Élysées.

Le refus d'Édouard Philippe de donner un coup de pouce au Smic en janvier risque de durcir encore plus les revendications sur le pouvoir d'achat. Mais la violence qui s'est exprimée à Paris samedi 24 novembre a suffisamment ébranlé le pouvoir pour l'obliger à changer de méthode face à une contestation multiforme qui devient un immense défouloir.

Le répit de la chute des prix du pétrole

Par chance, le reflux de plus de 20 % des prix du pétrole pourrait offrir un répit, au moins temporaire, au président de la République sur la question des coûts du carburant. Le Haut Conseil à l'action climatique s'est vu confier la mission de lancer une concertation de trois mois pour « rendre plus intelligente » la taxe carbone appliquée aux carburants, qui frappe aujourd'hui « à l'aveugle ».

Emmanuel Macron semble vouloir rétablir le mécanisme de « TIPP flottante » mis en œuvre en 1998 par Lionel Jospin pour adapter la fiscalité aux fluctuations du cours du pétrole. Le mécanisme était simple : il s'agissait de faire en sorte que l'État ne « s'enrichisse » pas indûment sur le dos des automobilistes parce que la taxe intérieure sur les produits pétroliers supporte aussi la TVA, ce qui amplifie les recettes fiscales en cas de brusque tension des cours mondiaux du carburant.

Ce mécanisme a juste un défaut : relativement coûteux pour le budget, il ne fait qu'atténuer de quelques centimes le prix à la pompe. Ce n'est donc qu'un pis-aller. La réponse du Haut Conseil à l'action climatique se devra d'être plus globale et plus sociale : il s'agit de faire de « l'écologie populaire » pour la rendre acceptable socialement.

En attendant les « solutions concrètes et accessibles »

La concertation qui s'ouvre devra donc déboucher sur des "solutions concrètes et accessibles" pour aider les plus modestes à s'adapter, à changer de voiture ou de chaudière, à isoler leur logement dans une « nouvelle méthode » qui, au lieu, d'imposer d'en haut des mécanismes conçus pour que les gens n'y comprennent rien et donc les utilisent le moins possible, devra « au plus près du terrain » et « avec les acteurs économiques, sociaux et les territoires » devenir une "réalité tangible".

Traduisons : le chef de l'État va contraindre Bercy à dépenser plus en proposant des mécanismes d'aide plus puissants que l'actuel crédit d'impôt pour la transition écologique.

Fiscalité : jusqu'où devra céder Bercy ?

Jusqu'où devra céder Bercy ? La pression des « gilets jaunes », très mobilisés et très déterminés sur le terrain, pourrait amener l'État à débourser davantage que Bercy n'aurait eu à le faire si le gouvernement avait anticipé cette crise - comme l'y avait invité avant de démissionner Nicolas Hulot  !

Au-delà de cette réponse circonstancielle, le chef de l'État affirme aussi vouloir apporter une réponse plus globale aux « gilets jaunes » sur le terrain fiscal. Le président n'apporte certes aucune réponse à ceux qui lui enjoignent de rétablir l'ISF, péché originel du début de quinquennat qu'il traîne comme un boulet avec le sobriquet de « président des riches ». Emmanuel Macron refuse d'entrer dans ce débat-là, mais il propose de bâtir un « nouveau contrat social du XXIe siècle », qui consistera à remettre en face-à-face les choix de dépenses publiques et les recettes fiscales permettant de les financer. Cette pirouette lui permet de relancer la réforme de l'État. En creux, Emmanuel Macron place les « gilets jaunes », mais aussi toute la classe politique et ce qu'on appelle aux États-Unis le « deep state », l'alliance de tous ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change, face à leurs contradictions.

Correction salutaire... ou bascule dans l'inconnu

Transition écologique et nouveau contrat social, voilà deux chantiers, "deux combats jumeaux" qui, selon le chef de l'État, ont comme point commun d'être un même défi démocratique. D'un mal peut donc sortir un possible bien : les « gilets jaunes », par leur exigence et leur volonté d'avoir un rapport direct au chef de l'État - leur objectif assumé, c'est l'Élysée, soit pour le prendre, façon sans-culottes 1789, soit pour l'obliger à répondre à leur malaise - auront peut-être rendu service à Emmanuel Macron, qui avait sans doute besoin de recevoir, dix-huit mois après son élection, une sérieuse correction pour réapprendre à parler avec considération à tous les Français, à commencer par ceux qui souffrent le plus.

Si c'est le cas, ce changement de méthode du chef de l'État est bon à prendre. Si Emmanuel Macron n'y parvient pas, ce sera l'inconnu, et certains voient déjà la France basculer dans un scénario à l'italienne d'alliance des extrêmes. Autant dire qu'Emmanuel Macron a intérêt à ne plus décevoir...