Vol au-dessus d’un nid d’écolos

Par Philippe Mabille  |   |  515  mots
Pour faire face à la problématique de réduction des émissions, l'industrie a pris des engagements forts : d'ici à 2050, diviser par deux ses émissions de CO2 par rapport à 2005. Aucun secteur ne promet autant. (Crédits : Reuters)
ÉDITO. Parti de Suède, le phénomène « Flygskam » (« honte de prendre l'avion ») commence à inquiéter les compagnies aériennes. Le transport aérien encourt un sérieux risque économique à ne rien entreprendre pour changer cette image de pollueur. Par Philippe Mabille, directeur de la Rédaction.

« Les emmerdes, c'est bien connu, ça vole toujours en escadrille »... La formule, prêtée à un ancien président de la République, illustre à merveille la situation du transport aérien à l'aube des années 2020. Poussée de fièvre protectionniste dans une guerre commerciale états-Unis-Chine, pression écologiste avec un vif débat sur la taxation du kérosène, exonéré depuis la signature en 1944 de la Convention de Chicago qui a fondé l'Organisation de l'aviation civile internationale : le secteur, en bonne santé, va entrer dans une zone de turbulences.

Parti de Suède, le « Flygskam » (« honte de prendre l'avion ») veut faire prendre conscience aux passagers de l'empreinte carbone d'un ciel de plus en plus encombré : à l'horizon 2050, il y aurait plus de personnes voyageant en avion que d'habitants sur la Terre... Les plus ultras voudraient carrément interdire l'avion. En tout cas, lorsque des transports « propres » alternatifs sont disponibles.

En clair, les écolos veulent nous faire préférer le train, louable objectif, mais assez irréaliste lorsqu'il s'agit de très longues distances, et assez incompatible avec une économie mondialisée dont l'aviation est un pilier, celui de la liberté d'aller et de venir.

Surtout, les écolos sont à l'ouest, et les touristes sont à l'est : face à la démocratisation de l'aviation, la plus noble conquête de l'homme depuis le cheval, comment interdire aux classes moyennes des pays émergents de l'utiliser, maintenant qu'elles sont de plus en plus nombreuses à y avoir accès ?

Un sérieux risque économique

Le phénomène commence à inquiéter les compagnies aériennes. Le transport aérien encourt un sérieux risque économique à ne rien entreprendre pour changer cette image de pollueur. L'industrie a pourtant pris des engagements forts : d'ici à 2050, diviser par deux ses émissions de CO2 par rapport à 2005. Aucun secteur ne promet autant, sachant que les émissions de carbone de l'aérien ne représentent que 2 % des émissions mondiales, bien moins que l'automobile ou le bâtiment. Cet objectif est atteignable, grâce au progrès technologique.

La flotte aérienne mondiale va doubler en taille pour atteindre 48 .000 avions dans vingt ans : l'occasion de les remplacer par des modèles plus économes, voire électriques, après 2050. En attendant, plutôt que de taxer le kérosène au niveau national, ce qui est impensable dans l'univers de concurrence de l'aérien, ou de prendre des mesures démagogiques et liberticides, la balle est dans le camp des compagnies.

En généralisant la compensation de leurs émissions de CO2, explique Bertrand Piccard, l'aventurier suisse de Solar Impulse, les conséquences sur le prix des billets seraient mutualisées sur tous les voyageurs et ceux-ci seraient déculpabilisés. À défaut, le risque est grand de voir la « honte de prendre l'avion » servir de prétexte aux gouvernements pour prendre des mesures fiscales qui, au final, coûteront plus cher encore, aux compagnies aériennes, comme aux voyageurs, sur qui elles seront répercutées.

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