L’heure est venue pour les pilotes de quitter le cockpit

Par Steve Ganyard (*)  |   |  1073  mots
"On estime que le vol autonome permettrait aux constructeurs aéronautiques, à leurs fournisseurs et aux compagnies aériennes d'économiser plus de 110 milliards de dollars par an. Des économies provenant de l'optimisation des vols, d'une capacité de prévision accrue, de la réduction des coûts d'assurance et de formation des pilotes" (Steve Ganyard, ancien pilote de chasse du Corps des Marines). (Crédits : DR)
OPINION. L'aviation commerciale est aujourd'hui confrontée à un choix : une décennie de stagnation ou une ère du transport aérien d'un type nouveau. Par Steve Ganyard (*), conseiller d'Avascent, société du conseil stratégique en aéronautique, espace et défense.

Confrontés aux ravages économiques provoqués par la Covid-19 sur la filière aéronautique commerciale, limités par l'état de l'art des technologies actuelles, et exposés au développement du "plane-bashing" particulièrement en Europe, les constructeurs aéronautiques sont aujourd'hui sur la défensive. Dans ce contexte, une stratégie audacieuse consisterait à accélérer l'inévitable substitution des pilotes par des algorithmes, participant à la relance de l'économie mondiale avec des vols moins chers, plus fiables et plus sûrs.

Pour l'aéronautique commerciale, les ressources financières sont un premier défi : le retour à la normale du trafic aérien repoussé à plusieurs années, l'énorme perte de revenus et les effets en chaîne de la dette creusée par le Covid-19 auront un effet de sape tant sur les budgets de R&D que sur les investissements. Constructeurs aéronautiques, compagnies aériennes, et finalement l'écosystème dans son ensemble, n'auront avant longtemps ni les fonds pour le développement, ni la demande en termes de passagers, ni même les technologies, pour lancer un nouveau programme aéronautique tel qu'envisagé avant la crise sanitaire.

Avions sans pilote : 110 milliards d'économies par an

Dans le monde d'avant, de nouvelles méthodes de production, l'augmentation des rendements de la propulsion et l'emploi de meilleurs matériaux ont généré de telles améliorations d'efficacité des avions commerciaux que les 20 à 30 milliards de dollars d'investissements nécessaires à la conception de nouveaux modèles jusqu'à leur mise en service étaient justifiés. Aujourd'hui, et pour les dix à quinze ans à venir, les technologies existantes et naissantes ne peuvent guère que générer des améliorations marginales des moteurs et de la cellule. Dans l'attente de la révolution de l'avion à hydrogène, notamment menée par Airbus, il convient de chercher ailleurs les leviers de baisse des coûts.

Il n'est pas non plus impensable que les compagnies aériennes soient attirées par une coûteuse amélioration de 5% du rendement moteur lorsque le cours du pétrole avoisine les 40 dollars le baril. En l'absence d'améliorations nettes de l'efficacité et d'un retour sur investissement plus rapide, les compagnies aériennes vont plutôt être hésitantes pour acheter de tels "nouveaux" appareils.

Où trouver des gains en efficacité substantiels si les technologies aéronautiques stagnent pour dix à quinze ans ? La réponse se trouve dans le cockpit. On estime que le vol autonome permettrait aux constructeurs aéronautiques, à leurs fournisseurs et aux compagnies aériennes d'économiser plus de 110 milliards de dollars par an. Des économies provenant de l'optimisation des vols, d'une capacité de prévision accrue, de la réduction des coûts d'assurance et de formation des pilotes.

Dans 80% des crashs, une erreur de pilotage

La croissance générée sera beaucoup plus importante que les économies réalisées. L'aviation commerciale est une industrie, qui dépasse le milliard de milliards de dollars avec plus de 10 millions d'emplois associés dans le monde. La diminution globale du nombre de pilotes sera largement compensée par l'amélioration de l'économie mondiale qu'apporte le vol autonome.

Traîner des pieds vers de vol autonome peut avoir de graves conséquences : concevoir des systèmes logiciels pour pallier les insuffisances d'origine humaine plutôt que de progresser vers l'autonomie s'est déjà avéré mortel. Le système défectueux MCAS du Boeing 737 MAX est un triste exemple d'une automatisation dévoyée, pas d'une autonomie défaillante : en tentant de recréer une "sensation" humaine, Boeing s'est attaqué au maillon le plus faible de l'interface homme-machine, ouvrant de facto le champ à l'erreur humaine qui a coûté la vie à 346 passagers.

Plus globalement, la fréquence des accidents sur des vols commerciaux (bien que très rares) ne diminue pas en moyenne. Boeing estime qu'une erreur humaine de pilotage est à l'origine de plus de 80% des crashs. Une approche volontariste et phasée vers l'autonomie - d'abord un cockpit complet, puis mono-pilote, avant d'atteindre éventuellement l'autonomie complète assurée par le contrôle aérien au sol uniquement - est paradoxalement nécessaire pour atteindre des niveaux de sécurité plus importants.

Il reste évidemment beaucoup de travail pour garantir la sûreté des algorithmes ainsi que du contrôle aérien. Toutefois, les progrès technologiques sont bien plus rapides qu'auparavant, notamment du fait des avancées dans les domaines de l'intelligence artificielle, du machine learning et de la généralisation du guidage spatial (GPS, viseurs d'étoiles). « La seule raison pour laquelle nous avons encore des pilotes, c'est l'opinion publique », confiait récemment (mais discrètement) un dirigeant de la FAA (Federal Aviation Administration, équivalent américain de l'Agence Européenne de la Sécurité Aérienne). Cette « opinion publique » peut cependant évoluer si l'on sait créer un climat de confiance par la démonstration de la sécurité, de la redondance et de la sûreté de l'avion autonome. Cela passera par des efforts considérables de sensibilisation et de pédagogie.

Airbus a récemment prouvé que les phases de roulage au sol, décollage et atterrissage pouvaient être autonomes, avec une première phase de tests concluants effectués en janvier 2020 avec un A350. Airbus envisage que les premiers avions à voler avec un seul pilote dans le cockpit entreront en service d'ici à 2030.

Boeing est leader dans le domaine militaire avec notamment son « Loyal Wingman » (un drone de combat avancé). L'US Air Force a récemment simulé un combat aérien entre un algorithme et un pilote de F-16. Résultat sans appel. Algorithme : 5 - Pilote : 0. Les mêmes avancées existent dans le domaine du cargo : deux start-ups de la Silicon Valley ont opéré des petits avions-cargos autonomes, avec une intégration complète des systèmes de contrôle aérien au sol. Le PDG de FedEx est aujourd'hui convaincu d'utiliser ce type de solutions pour desservir certaines zones particulièrement éloignées du territoire américain. Le changement de paradigme vers l'autonomie a déjà commencé. L'heure est venue pour les pilotes de quitter le cockpit.

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(*) Steve Ganyard est un ancien pilote de chasse du Corps des Marines, avec plus de 4.200 heures de vol sur 12 types différents d'avions tactiques. Il compte aujourd'hui parmi les conseillers d'Avascent, société de conseil stratégique en aéronautique, espace et défense.