Pandémie : faut-il vivre et laisser mourir ?

Par Abdelmalek Alaoui  |   |  981  mots
Abdelmalek Alaoui, Editorialiste (Crédits : Guepard/LTA)
Rupture(s). Clairement, le seuil de tolérance maximum est atteint par la majorité de la population mondiale. Après l’épreuve du confinement, la vie faite de mesures barrières, de masques, de gel hydro alcoolique et autres instruments pour faire barrage au virus est devenue insupportable pour beaucoup d’entre nous. Résultat : les digues sautent, le virus circule, les services de réanimation se remplissent à nouveau, les écoles ferment, les entreprises sont asphyxiées et les commerces à l’agonie. Allons-nous « vivre et laisser mourir », comme l’appelait de ses vœux récemment Nicolas Bedos ? Ou bien allons-nous retrouver le chemin du principe de précaution ?

Au-delà des aspects sanitaires, économiques et sociaux, la pandémie du Coronavirus est d'abord une crise de la verticalité. Dans un XXIème siècle où le digital - éminemment horizontal- a investi tous les domaines, vivre au rythme des injonctions de la force publique et des inévitables paradoxes qui l'émaille n'est tout simplement pas viable. A tous les niveaux ou presque, la contestation est de mise et la polémique est permise. Il existe toutefois une exception à cela : la science. En neuf mois, les progrès enregistrés par le monde scientifique sont inouïs, grâce à une dynamique de coopération sans précédent, permettant d'entrevoir la possibilité d'un vaccin anti Covid-19 avant la fin de l'année, là où il aurait fallu près d'une décennie il y a encore moins de vingt ans. Dans ce domaine, reconnaissons-le, le Coronavirus aura véritablement été une « chance pour l'intelligence collective » comme le résumait avec talent le chercheur Marc Santolini, affirmant même qu'« Un boom collaboratif mondial est en train de changer la manière dont la science se fait ». Ignorant les continents, les barrières et la politiques, les scientifiques du monde entier ont mis à jour une dynamique de coopération qui devrait durablement changer la manière dont la science est produite.

Seule la science a réussi un bond collaboratif

Mais le miracle se limite presque à cela. Pour tous les autres grands sujets qui structurent nos sociétés et leur avenir, le soufflé est retombé. Après la vague quasi euphorique de bouillonnement intellectuel qui a mobilisé penseurs de tous horizons pendant le confinement, l'on a le sentiment de revenir aux méthodes du XXème siècle pour affronter une crise du XXIème. Pour résoudre la crise économique, les Etats ont à nouveau recours à la même recette qui avait permis de résorber la crise financière mondiale de 2008 en activant un hélicoptère monétaire massif, augmentant d'autant l'endettement. Bien que beaucoup aient appelé à mettre l'« imagination au pouvoir » pour réinventer les structures productives ainsi que la répartition des richesses, les gouvernements ont préféré actionner des méthodes classiques, reprenant à leur compte le célèbre adage : « lorsque l'on ne dispose que d'un marteau, l'on envisage tous les problèmes comme des clous. » Bien entendu, le champ sémantique a évolué depuis dix ans et la crise des subprimes. L'on affirme désormais que la manne financière, notamment en Europe, servira en priorité à renforcer la résilience et à accélérer la décarbonation de l'économie. La réalité est un peu plus contrastée, comme l'expliquait récemment l'économiste Jean Pisany-Ferry, qui estime à juste titre que l'Europe vient d'entreprendre un pari risqué. Si la reprise n'était pas au rendez-vous malgré les quelques 750 Milliards d'euros injectés, un « cercle vicieux de thésaurisation et de perspectives négatives pourrait s'enclencher, entraînant une récession à double peine ». Car au final, c'est un actif immatériel qui conditionne l'économie : la confiance. Or celle-ci est profondément altérée.

Une crise de la verticalité et de la confiance

En effet, le moins que l'on puisse dire, c'est que la crise du virus est devenue au fil des mois une crise de la confiance. Un peu partout, la parole de l'Etat s'est démonétisée, les politiques publiques mises en place pour faire face au virus ayant opéré de nombreux revirements à la faveur de l'évolution de la connaissance scientifique et de l'approfondissement de la recherche. Science non exacte, la science politique a montré ses limites avec l'avènement de la pandémie, alors même que les attentes du public sont grandissantes, réclamant une ligne directrice intangible et des mesures qui permettent à la fois de garantir la liberté tout en protégeant de la pandémie. Impossible sur le plan pratique, ce grand écart permanent a occasionné de la confusion, a brouillé les lignes, et in fine, a creusé encore plus le fossé entre gouvernants et gouvernés. C'est dans ce contexte qu'il convient de lire l'attitude des jeunes au sortir du confinement - qui ressemble par bien des aspects à un refus de l'autorité - et la récente sortie de l'humoriste Nicolas Bedos, lequel, sans toutefois appeler à la désobéissance civile, a remis en cause les mesures barrières dont le port du masque. Cette attitude ne vient pas de nulle part, car même au sein de la communauté scientifique, il existe des voix qui appellent à laisser le virus circuler, notamment chez les jeunes. Il y a deux mois, l'infectiologue Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière, prenait le contre-pied de la stratégie poursuivie par l'Etat français en estimant que seule la libre circulation du virus chez les jeunes serait en mesure de garantir l'immunité collective.

Dictature des convictions mal acquises

En creux, la crise de confiance que nous traversons a trouvé dans la pandémie un terreau fertile pour que se développe sans limite un autre mal, plus insidieux et autrement plus dangereux. Popularisé par le philosophe et physicien Etienne Klein, l'utracrépidarianisme désigne cette attitude qui consiste à « parler avec assurance de choses que nous ne connaissons pas ». Avec l'avènement de la pandémie, Klein a observé nombre de personnalités politiques qui assènent « leurs » vérités sur la manière de gérer le Coronavirus, sans s'appuyer sur la science mais uniquement sur des convictions, souvent mal acquises au gré des lectures ou des discussions. Dans un monde où la connaissance est à portée de clic, peut-être que le chemin le plus difficile qu'il nous reste à parcourir pour contrer le virus constitue désormais le plus grand défi pour l'humanité de 2020 : celui de l'humilité...