Produire autant avec moins de ressources  : une fausse bonne idée  ?

Par Régis Chenavaz, Stanko Dimitrov, Frank Figge  |   |  683  mots
Un exemple est celui de la consommation de carburant. Lorsque les moteurs deviennent plus efficaces et que les voitures consomment moins, les consommateurs sont moins réticents à l’utiliser de manière plus régulière et pour des trajets plus longs. (Crédits : Charles Platiau)
Pour que l'éco-efficience soit vertueuse, c'est à dire pour que l'environnement soit préservé, elle doit être associée à une modération de la demande. Par Régis Chenavaz, Stanko Dimitrov, Frank Figge*.

Une entreprise mène une politique d'éco-efficience lorsqu'elle améliore son processus de fabrication pour produire autant avec moins de ressources naturelles. C'est par exemple le cas de Coca-Cola, Nestlé ou du brasseur InBev, qui diminuent la quantité d'eau nécessaire à la fabrication de chacun de leurs produits.

A priori, cette politique bénéficie à la préservation de l'environnement ,puisque moins de
ressources doivent être utilisées pour une même quantité de produits fabriqués. Mais en
pratique, ce n'est pas toujours le cas.

Le paradoxe du consommateur « vert »

Le consommateur, sensible au respect de l'environnement, perçoit le produit comme plus vert, ce qui stimule les ventes. La demande augmente d'autant plus si le prix reste inchangé.  Ainsi, du point de vues des bénéfices pour l'environnement, d'un côté on gagne par la baisse des ressources nécessaires par produit, mais de l'autre on perd avec la stimulation de la demande.  Le consommateur, en ayant bonne conscience, achète davantage.

Cette situation, où l'éco-efficience rebondit, s'observe pour les produits de masse caractérisés par un faible prix et une forte demande. Un exemple de rebond classique est celui de la consommation de carburant. Lorsque les moteurs deviennent plus efficaces et que les voitures consomment moins, on peut supposer que le carburant utilisé va diminuer. Pourtant dans les faits, les consommateurs, qui ont l'impression que l'utilisation de leur voiture leur coûte moins cher en carburant, sont moins réticents à l'utiliser de manière plus régulière et pour des trajets plus longs. Au final, l'utilisation de la voiture augmente et les gains espérés en carburant ne sont pas au rendez- vous ...

Le rebond remet en cause l'efficacité environnementale totale de l'éco-efficience. Dans le cas extrême du sur-rebond, il y a même plus de ressources utilisées au total qu'avant la politique d'éco-efficience. Cette situation paradoxale apparaît lorsque le consommateur décomplexé est prêt à acheter bien plus, mais non à payer plus cher, pour des produits plus verts. Le sur-rebond existe dans le transport aérien. Avec les compagnies low-cost, certaines personnes n'hésitent pas à faire un aller-retour à Lisbonne ou Berlin pour un week-end. Les gains en kérosène dus à une meilleure motorisation des avions s'annulent devant des besoins en kérosène croissants pour répondre à cette demande de voyageurs. En fin de compte, cette situation est dommageable pour l'environnement.

Pour une modération de la demande

Pour que l'éco-efficience soit vertueuse, c'est à dire pour que l'environnement soit préservé, elle doit être associée à une modération de la demande. Cette modération pourrait passer par une intervention publique de régulation du marché. Mais la régulation publique n'est pas forcément nécessaire. En effet, deux autres scénarios sont possibles pour contenir la demande.

Premièrement, les entreprises peuvent augmenter leurs prix. Un prix plus élevé incite
naturellement le consommateur à acheter moins. Ce comportement est bénéfique non
seulement pour la marge de l'entreprise mais aussi pour l'environnement car la demande n'augmente pas et, par conséquent, les ressources totales utilisées diminuent.

Deuxièmement, le consommateur peut se montrer raisonnable et ne pas acheter plus
qu'avant un produit plus vert. Le passage à une consommation responsable implique une prise de conscience du consommateur citoyen correctement informé et averti. C'est à ce niveau-là que nos politiques ont un rôle à jouer.

Si les entreprises vantent l'éco-efficience dans leur politique RSE, elles profitent surtout à leurs chiffres d'affaires. En effet, au-delà de l'augmentation de la demande du fait de
consommateurs soucieux de leur impact sur l'environnement, le coût unitaire de production baisse, puisque l'entreprise achète moins de matières premières, et les ONG saluent l'effort de l'entreprise ce qui réduit le risque de litige environnemental et de boycott par le consommateur.

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*Régis Chenavaz est professeur associé en économie managériale et marketing à Kedge Business School
Stanko Dimitrov est professeur associé en sciences du management à l'Université de Waterloo
Frank Figge est professeur de responsabilité sociétale des entreprises et de développement durable à Kedge Business School