Une taxe internationale sur les ultrariches

Par Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, Centre d'Histoire Sociale du XXe Siècle (université de Paris-I).  |   |  889  mots
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Nicolas Sarkozy a déclaré au cours de la campagne qu'il voulait taxer les exilés fiscaux au-delà d'un certain seuil de revenus. On peut en effet rester français et échap-per aisément à l'impôt en changeant de pays de résidence. Les pays européens utilisent un système d'organisation territoriale selon lequel tout revenu gagné hors du territoire fiscal n'est pas imposable. Tout encourage encore aujourd'hui le riche Européen à devenir résident d'un pays qui jouit d'une faible charge fiscale tout en conservant sa nationalité. Des études récentes montrent que, par exemple, sur les vingt-huit milliardaires vivants en Suisse, seulement onze sont citoyens suisses?; de même, quatre vivent à Monaco alors que seul l'un d'entre eux est citoyen de la principauté.

Justice fiscale et nationalité

Mais la proposition de Nicolas Sarkozy n'est qu'une demi-mesure, comme le montre l'exemple des États-Unis?: les ultrariches peuvent non seulement changer de résidence, mais aussi de nationalité... Car lorsqu'un État soumet ses ressortissants à des impôts au-delà des frontières nationales, quel que soit leur lieu de résidence, ces personnes optent de plus en plus souvent pour un changement de nationalité. Les États-Unis, seul pays développé à imposer un impôt fondé sur la citoyenneté plutôt que sur le domicile, subissent ce phénomène. Cette pratique a incité les mégariches à renoncer à leur nationalité afin d'éviter de payer des impôts américains. Le Heroes Earnings Assistance et le Relief Tax Act de 2008 ont tenté d'atténuer ce phénomène en soumettant certains expatriés volontaires (des citoyens qui abandonnent leur citoyenneté et des résidents permanents qui renoncent à leur carte verte) à une « exit tax ». Cela n'a pas empêché que, depuis 2008, le nombre d'Américains expatriés a été multiplié par quatre au moins (passant de 238 en 2008 à 1?027 en septembre 2010).Comment instaurer plus de justice fiscale tout en respectant le droit de chaque être humain à avoir une nationalité, à ne pas en être privé contre son gré?? En soumettant les individus les plus fortunés à un impôt international indépendant de la nationalité ou du lieu de résidence. À titre d'exemple, un impôt annuel de 1 % sur la fortune appliqué aux 1?210 milliardaires du monde entier aurait représenté 45 milliards de dollars en 2011. Deux hypothèses. Soit l'État de nationalité ou de résidence de chacun de ces milliardaires perçoit par l'impôt sur le revenu et/ou tout autre impôt national ce 1 %?: le milliardaire est quitte. Si, après avoir payé d'éventuels impôts sur son lieu de résidence ou dans son pays de nationalité, ce milliardaire n'a pas atteint la somme de 1 % de sa fortune, il devra payer le reste de la somme due. S'il a changé de nationalité ou ne réside pas dans son pays de nationalité, le montant de l'impôt sera réparti entre les États auxquels il aura appartenu dans le pré-sent et dans le passé, proportionnellement au nombre d'années passées sous telle ou telle nationalité. Si un Américain devient suisse à 49 ans, les États-Unis percevront 49/50 de cet impôt lorsque ce contribuable aura 50 ans et la Suisse 1/50, puis 49/51 à 51 ans, etc.

Financer les organismes internationaux

Cet impôt serait perçu par le pays de résidence ou, en cas de refus ou d'échec de la perception de l'impôt, par un quelconque autre pays de l'ONU signataire de cet accord. Cet impôt réparti entre les États nations pourrait contribuer prioritairement à financer les organisations internationales (à titre d'exemple et de com-paraison, le budget de l'ONU est de 13 milliards de dollars). Il pourrait venir en déduction des contributions dont doit s'acquitter chaque État envers les différentes organisations internationales auxquelles il appartient (priorité serait donnée aux agences de développement de l'ONU, à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international). Si le montant de l'impôt perçu dépasse le montant de ces contributions aux organisations internationales, l'excédent pourra être utilisé pour rembourser les dettes de ces États nations auprès de ces organisations internationales ou pour le financement direct de dépenses ayant un impact international, comme les dépenses d'environnement ou de développement.Un tel impôt bénéficierait aux plus grands pays et à leurs citoyens en réduisant les besoins de financement de ces États et en dissuadant l'évasion fiscale. Il pourrait décourager une partie des personnes qui changent de pays de résidence et/ou de nationalité à le faire. Car, même si la Suisse, Monaco ou les îles Caïmans refusent de signer l'accord, leurs résidents expatriés et leurs ressortissants ne pourront plus voyager dans les États de l'Union européenne, la Chine, la Russie, les États-Unis - tous pays qui subissent l'évasion fiscale et ont intérêt à l'accord - sans risquer de se le voir imposer. Cet accord profiterait aussi aux pays pauvres en renforçant les orga-nismes internationaux auxquels ils appartiennent. Les coûts seraient supportés principalement par les ci-toyens les plus fortunés du monde et par les paradis fiscaux, qui deviendraient potentiellement moins at-tractifs. Mais n'est-il pas temps?? Au prochain président de la France de proposer à ses collègues du G8 ou du G20 la création d'un tel accord et d'une telle taxe.